samedi 23 décembre 2023

 

 Tales Of The Krampus


Tales Of The Krampus

 

      La monstruosité secoua la tête en riant. Elle arborait une crinière noire emmêlée. Son corps était couvert de poils noirs drus. Au sommet de sa tête, des cornes de bélier ensanglantées se dressaient. Elle darda une immense langue de serpent. Ses yeux de reptiliens étaient d’un rouge profond et hypnotique. L’horreur lécha la peau de la petite fille terrorisée. Elle arracha des morceaux de vêtement mêlés à des lambeaux de chair. « As-tu la moindre idée du sort que je réserve aux enfants insupportables ? ». La terreur emporta l’enfant hurlant dans le bas monde, là où toutes les autres âmes perdues l’attendaient. L’épouvante était à son paroxysme car…


     « Vanished when I saw your face

All I can say is, it was enchanting to meet you » 

 

     Brusquement, Stephen chuta de son monde, où monstruosité et atrocité régnaient en maître, pour atterrir dans le monde de paillettes et princesses. Il reposa brutalement la bande dessinée « Tales Of The Krampus » sur son lit. Dans la chambre voisine à la sienne, Taylor Swift continuait à fredonner, à son Roméo imaginaire, son plaisir de l’avoir rencontré. Hanna, son insupportable petite sœur, était devenue une Swiftie. Elle avait délaissé l’univers aseptisé de la K-Pop, pour s’immerger dans le monde, tout aussi fade de la Pop. Elle écoutait en boucle les chansons mielleuses de son idole : Taylor Swift. 


     Il faudrait un miracle pour que Hanna écoute de la vraie musique et soit transportée par les sons grinçants  du métal. Un miracle ou une barre de fer enfoncée qui transpercerait sa tête, entrant par une oreille, sortant par l’autre. À cette pensée, Stephen pouffa de rire. Il tenta de replonger dans l’univers gore de sa BD préférée. Il s’était à peine repu de l’ambiance malsaine d’une planche, que sa petite sœur switcha vers une activité encore plus atroce que la précédente : martyriser sa guitare. Elle entonna le premier couplet d’un hit mièvre à souhait composé par… Taylor Swift. Qui d'autre ? Stephen grimaça. Il enfonça sa tête sous l’oreiller. Et, comme cela ne suffisait pas pour atténuer le chant désastreux de Hanna, il mit les écouteurs de son iPod sur les oreilles. Du métal. Au volume maximum.


     Stephen s’endormit avec le concert de guitares électriques déchaînées. Avant d’aller vers le sombre pays des rêves, il pria Dieu, Satan, le Père Noël, la marmotte avec son foutu chocolat, le Krampus, et d’autres instances supérieures, d’emporter sa sœur vers un autre monde. Au beau milieu de la nuit, il se réveilla en sursaut. Un boucan de tous les diables venait de la chambre de sa sœur. Rien à voir avec les chansons abominables qu’elle écoutait habituellement. Mais un grondement bestial. Un bruit de grattement. Des sons d’os brisés. Que Diable faisait-elle ?


     Stephen sortit de son lit. Il se munit d’une lampe torche et de son inséparable : sa fameuse bande dessinée préférée qu’il emportait partout avec lui. Sur la pointe des pieds, il quitta sa chambre pour rejoindre celle de sa sœur. La porte était entrouverte. La chambre était sens dessus dessous. Les tiroirs étaient renversés. Les draps du lit dégoulinaient de sang. Une monstruosité était dos à lui. Elle était démesurée. Une odeur de soufre se dégageait de son corps couvert de poils noirs drus. Stephen avisa les cornes de bélier ensanglantées. La queue du Diable touffue. La même créature horrible que celle de sa BD. Le Krampus.



     Le vilain croque-mitaine imaginé pour terroriser les enfants à l’approche de Noël se tenait devant lui. Stephen se frotta les yeux. Et s’il dormait encore ? Les affreux monstres n’existaient que dans les fictions. De plus, l’enfant avait l’habitude de faire des rêves éveillés où il pouvait se promener et agir à sa guise. Les plus grands artistes faisaient ce genre de songes éveillés. C’est là que les créateurs de l’épouvante puisaient leurs idées. Plus tard, Stephen serait le plus grand maître de l’horreur. Mais en attendant, il guignait sa sœur effrayée. Elle était suspendue par le pied. La main difforme du Krampus, tenait fermement la cheville d’Hanna. Le pied de sa sœur était déformé. Sa jambe était couverte de plaies et d’ecchymoses. Du sang dégoulinait de son cuir chevelu. Des gouttes d’hémoglobine arrosaient le sol. 


     Comme dans « Tales Of The Krampus » , le monstre demanda à la petite fille terrorisée : « As-tu la moindre idée du sort que je réserve aux enfants insupportables ? ». Stephen soupira de soulagement. C’était un rêve. Lentement, le Krampus se tourna vers Stephen. Le regard bestial de l’infamie croisa le regard émerveillé de Stephen. Son imagination avait représenté une atrocité d’une monstruosité sans égal. Il bavait du sang. Il poussait des grondements effrayants. Stephen souffla d’admiration. Il était  un génie en herbe avec un imaginaire délirant. Tout n’était qu’imagination et illusion. Il referma la porte de son songe, où sa sœur agonisante était livrée à son triste sort. 


     Le lendemain, le petit fut réveillé par des cris perçants. Dans le couloir, sa mère murmurait le prénom de sa sœur comme une incantation. Hanna avait disparu. L’odorat sur-développé de Stephen perçut l’odeur de soufre. L’œil de lynx aperçut des gouttes de sang, et une infime partie de la chevelure scalpée sur la moquette. 


     Stephen tut ce qu’il avait vu. Il garda pour lui la scène horrifique avec le Krampus. De toute façon, ce n’était qu’un rêve… N’est-ce pas ? Il encadra la première de couverture de « Tales of The Krampus » et l’accrocha au mur. Il n’entendit plus jamais miauler Taylor Swift ; comble du bonheur, il ne revit plus jamais sa sœur.