jeudi 23 avril 2020

La nécrose du masque respiratoire



" Nous sommes heureux de proposer aux acheteuses les plus intéressées, des masques réutilisables avec une cartouche de protection de qualité. Les masques respiratoires sont faits avec les composantes et matières les plus nobles. Nous allons nous rencontrer. J'aurais besoin de toutes vos informations personnelles ! Votre nom, adresse tout ... " Oh vous, hypocondriaques, prenez garde aux derniers modèles de masques respiratoires et à ce que vous seriez prêts à faire pour en obtenir ...



    

      " Société ARIES, à votre service.

     - Allo. Bon-Bonjour monsieur. Je vous appelle car c'est vraiment important. Pas la peine de préciser pourquoi mais ... J'aurais besoin de ... C'est une question de vie ou de mort s'il vous plaît. Je voudrais passer commande pour tout votre stock en masques respiratoires, gants, combinaisons aussi. Tout ce que vous auriez pour la protection.

     - Allons, allons calmez-vous. Tout d'abord, j'ai une question à vous poser. Êtes-vous considérée comme une patiente à risques ?

     - Non, mais ...

     - Alors vous souhaitez visiter une parente atteinte du virus ?

      - Non. C'est pour mon usage personnel. Je n'ai pas mis le nez dehors depuis le début de l'épidémie : à la télé, on voit des cas de plus en plus graves. J'ai une peur panique des microbes et virus. Je ne sors plus de chez moi et comme j'habite dans une zone boisée et isolée, aucun livreur ne dessert mon foyer pour les livraisons. Je ..

     - Je suis navrée de vous dire que vous n'êtes pas dans les cas prioritaires madame. De plus, vous semblez en bonne santé ? Quel âge avez-vous ?

     - 20. J'ai 20 ans, mais ...

     - Ah, vous voyez bien mademoiselle ! Et quand bien même, vous seriez prioritaire nous n'avons plus de produits de protections bactériennes jetables. Pensez bien, la rupture de stock est mondiale. La société ARIES et moi-même sommes navrés, mais nous ne pouvons satisfaire votre demande. Je vais vous laisser maintenant pour prendre d'autres appels. Au revoir.

     - Non, je vous en prie ne raccrochez pas. Le prix ! Si c'est une question de prix pour que vous trouviez du stock, je serais prête à engager la somme que vous voudrez. Je ferais n'importe quoi !

     - ...

     - Vous êtes toujours là ?

     - Il y a peut-être un moyen.

     - Merci infiniment. Vous me sauvez la vie. Je vous écoute !

     - Nous sommes heureux de proposer aux acheteuses les plus intéressées, des masques réutilisables avec une cartouche de protection de qualité. Les masques respiratoires sont faits avec les composantes et matières les plus nobles. La cartouche filtre l'air de toutes particules nocives pour les voies respiratoires, virus y compris. Nous allons nous rencontrer. J'aurais besoin de toutes vos informations personnelles ! Votre nom, adresse tout ce que vous pourriez me donner.

     - Je m'appelle Georgia Ska...

     - Georgia ?

     - Georgia Skalski. J'habite au 85, Baptist Corner Road à Ashfield. Dans la zone boisée. L'endroit est peu animé mais au moins vous ne bataillerez pas pour trouver une place de parking.

     - Vous vivez seule ?

     - Euh, oui.

     - Bien. Je vais venir avec une grande valise de démonstration, que souhaitez-vous voir d'autres ?

     - Une valise ? Je ne pense pas que cela soit nécessaire.

     - J'ai un créneau disponible dimanche prochain à 18h00.

     - Un dimanche ?

     - La société ARIES satisfait sa clientèle 7/7, 24/24. Imaginez dans deux jours, vous aurez entre vos mains la meilleure protection respiratoire sur le marché. Ainsi que tout ce que vous voudrez. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour satisfaire notre clientèle !

     - Bon, faisons comme ça. Bonne journée et à dimanche.

     - Passez une bonne journée Georgia. Sola Gratia. "

     Le temps qui suivit l'appel téléphonique passa si vite que Georgia n'eut pas le loisir de s'appesantir sur le comportement étrange du commercial. Elle fit bien quelques recherches sur la signification de "Sola Gratia", mais tomba sur plusieurs sites religieux incompréhensibles. Comme elle n'était pas croyante, et avait de toute façon un besoin impérieux de protections respiratoires, elle laissa vite de côté la pointe d'appréhension qui la dérangeait. Car elle était déjà préoccupée par la crise sanitaire et l'impact sur sa propre santé. Bien que jeune et robuste, elle souffrait d'une hypocondrie à un stade avancé. Elle vivait l'épidémie du Covid-19 cloîtrée chez elle, entourée de produits antibactériens aux odeurs chimiques. Elle toussait beaucoup, pas à cause du Coronavirus, mais à cause de la composition agressive des produits qui nettoyaient son quotidien. Elle avait des quintes de toux à en cracher ses poumons et s'en arracher les cordes vocales, elle supposait que c'était dû aux microbes dans l'air, alors elle briquait tellement sa maison nuit et jour que la peau de ses mains se mettait à brûler et à peler.

      " Vous vivez dans un cadre magnifique, au milieu du végétal, des écorces et branches d'arbres. " furent les étranges paroles du commercial de la société ARIES. La semaine touchait à sa fin et les jours s'étaient bousculés si vite que le dimanche faisait déjà place. Le vendeur fut ponctuel, Georgia suspecta même qu'il avait fait du zèle et était arrivé plusieurs minutes en avance. Car elle ne vit pas son véhicule, alors que les places pour se garer ne manquaient pas près de la maison ; elle ne perçut pas même un bruit de moteur.

     Pourtant le commercial qui se présenta sous le nom de Théo Hill, arriva comme un cheveu sur la soupe. Sa chevelure était bizarre, comme désaccordée avec le reste du personnage. La tignasse était épaisse et blonde et contrastait avec les sourcils poivre et sel de l'homme. Le regard inquisiteur fouillait la silhouette de Georgia. Les yeux noirs de fouine dévoraient le corps féminin alors que la bouche trop fine et pincée laissait échapper des pensées à voix haute, toujours les mêmes : " Sola gratia (et d'autres paroles incompréhensibles)" . Le désagréable invité portait des lunettes à double foyer : il semblait très âgé, au moins la soixantaine. Georgia pensa avec appréhension qu'il n'avait peut-être pas toute sa tête. L'impression globale était inquiétante, mais l'hypocondriaque avait tellement besoin de masques respiratoires pour se protéger, qu'elle fit fi de l'angoissante allure.

      Au bout de quelques minutes de présence, Théo Hill prit place sur l'un des fauteuils. Son importante corpulence s'enfonça, avec force et maladresse, dans le tissu. Georgia s'assit le plus loin possible du commercial qui caressait voluptueusement l'énorme malle noire qu'il avait amenée avec lui. L'ambiance pesait de tout son poids sur les faibles nerfs de Georgia dont l'esprit lucide menaçait de céder, alors elle meubla le silence du mieux qu'elle put : " Vous êtes originaire du coin ? " Ce à quoi l'inquiétant vendeur répondit : " J'ai grandi à Cambridge et habite à Plainfield depuis peu. C'est un coin sans histoire où il fait bon vivre." En entendant ses paroles, Georgia paniqua : Plainfield était le berceau d'un sérial killer, la honte de la région que tous les sains d'esprit rêvaient de quitter.

     Mal à l'aise, Georgia se leva. Elle pouvait saisir n'importe quel prétexte pour s'éclipser et appeler son petit ami à l'aide, il rappliquerait dans la seconde.

      - " Vous désirez boire du thé ? Du café peut-être ?

     - Non merci, je préfère rester à jeun. D'ailleurs vous le devriez aussi. "

     Alors que Georgia se rasseyait, non sans jeter un coup d’œil nerveux vers l'issue la plus proche, Théo se décida enfin à ouvrir l'imposante valise et en sortit un masque pour la protection respiratoire, et un vieil appareil photo avec impression instantanée des clichés. Il les posa cérémonieusement sur ses genoux. Il ne fouilla pas dans la valise, comme si en fin de compte, elle n'était qu'accessoire et utilisée pour transporter ce masque et cet appareil photo. Il toucha encore et encore la protection respiratoire, en respirant très fort comme s'il était en transe.

     - " Avez-vous la moindre idée de tous les processus pour avoir ce produit fini d'exception ?

     - J'ai entendu du bruit dehors, peut-être un voisin qui voudrait quelque chose ...

     - Je n'ai rien entendu. Détendez-vous voyons, nous sommes entre nous. - Georgia ,médusée d'effroi, ne sut quoi faire et laissa Théo poursuivre - Le cuir issu de la plus belle espèce animale compose ce chef-d’œuvre. Nous sommes ici pour l'admirer, lui rendre hommage. Essayez-le ! "

     La voix rauque ordonna et l'homme étrange poussa le masque vers Georgia dans une invitation qu'elle ne pouvait refuser. Celle-ci déglutit mais prit quand même la protection respiratoire. Le masque était des plus étranges. Le cuir trop fin, trop brillant et chargé d'une odeur qui s'apparentait à un puissant produit médical. Georgia eut immédiatement l'impression que la pièce se resserrait autour d'elle en tournant. Sa vision floue lui montra une créature à deux têtes campée à l'autre bout du fauteuil. Une blonde avec un visage fin et une bouche pincée d'alien, une brune avec faciès maigre et d'énormes lèvres.

     L'appareil photo ondulait comme s'il dansait une chorégraphie inquiétante. La distorsion des sens était telle qu'elle entendit des sons formant une phrase sans sens : " Meeeeetttsss-leeee. Sourrrrriiiiis et diiiiis chiruuuuuurgggiiiie !"

     La victime, presque droguée, enfila maladroitement le masque au contact visqueux et à l'odeur de produits chimiques mélangés aux forts relents d'éther. D'abord, elle toussa et expulsa un peu de sang. Ensuite, elle pensa que la chiruuurgggiiie n'avait rien à faire là. Puis, elle se dit que ça sentait l'anesthésiant. Enfin, elle tenta d'enlever le machin gluant autour de sa bouche mais il semblait ne faire plus qu'un avec son être.

     Elle secoua la tête, tenta de viser le visage de ses mains, mais, ne réussit qu'à griffer l'air d'une façon étrange. Dans sa panique, la victime aspira de plus longues bouffées d'air asphyxiantes qui précipitèrent l'extrême mollesse puis l'inconscience.

     Le vendeur de cauchemar ouvrit, prestement en grand la malle noire, plia dans des angles alambiqués le corps drogué et endormi et le fourra dans la valise. Le fou prononça un " Sola Gratia" religieux et quitta les lieux en emportant avec lui sa funeste cargaison.

     Si l'enfer devait être pavé de sensations toutes plus atroces les unes que les autres, il serait l'endroit cauchemardesque où Georgia se réveilla nue. Un cadre en bois adapté à la forme de sa tête maintenait celle-ci en place. L'instrument de torture boisé était lié à la structure d'un lit médical, mais sale, qui obligeait la captive à garder la position assise. Ses mains étaient scotchées ensemble, tout comme ses pieds.

     La séquestrée remua ce qui n'eut que pour effet de faire grincer le lit et dégager une odeur putride. Affolée, elle poussa des cris stridents ce qui amena son kidnappeur à se placer juste devant elle. Le vendeur était plus effrayant que jamais. Il avait retiré l'étrange costume épaississant qui lui donnait un air gauche. Mis à part, ses lèvres trop pulpeuses, il était sec, rigide et maigre. La perruque blonde avait laissé place à un crâne mal rasé par endroits. L'allure était nerveuse, froide et austère ; le regard fou.

     - " Chut. Ne me force pas à t'imposer le silence. Habituellement, je travaille sur des femmes qui dorment. Ne m'oblige pas à te faire plonger dans un sommeil éternel. Nous sommes bien ici, regarde nous sommes entre nous. "

     Le psychopathe se déporta sur le côté laissant à Georgia l'occasion de voir le mur des horreurs. Au fond de la pièce, dans une étagère mortuaire, des têtes humaines chauves, privées des cheveux et du derme étaient exposées sur des socles. Les lèvres, les peaux des joues étaient manquantes exposant les chairs aux regards effrayés de Georgia. Des essences olfactives putrides venaient des souvenirs indécents de Théo. La réaction de la captive ne se fit pas attendre : elle ne hurla plus mais vomit son dernier repas.

     L'auteur du mur des horreurs, recueillit le dégueulis en ricanant un : " il ne faut pas gâcher la nourriture : des humains meurent de faim partout dans le monde." Il pinça avec violence le nez de Georgia, qui ouvrit la bouche, par réflexes, pour respirer, et lui enfonça le vomi dans le gosier. Il aboya des menaces à propos ce qu'il lui ferait si elle ne se tenait pas tranquille et comme elle ne se rebella plus, il lui tapota la joue et rejoignit l'étagère composée de visages humains.

     - " Je les appelle mes éternelles compagnes endormies. Elles donnent de leurs personnes nourrissant ainsi mon commerce. Elles ont des peaux parfaites faisant les meilleurs masques respiratoires possibles - Théo Hill caressa sensuellement les visages des femmes mortes. - Je sauve le monde : je prends ce que ces femmes me donnent et offrent aux malades une protection. - Le dingue se tourna vers Georgia et posa sur elle un regard presque amoureux - Mère Darlène était aussi belle que toi. Elle m'avait tout enseigné. Les préceptes de sa religion et le pardon accordé par Dieu aux pécheresses dans ton genre. Elle était aussi une passionnée de taxidermie, loisir qu'elle avait appris de son propre cousin. Il se trouve être aussi mon père, mais passons. Cela doit être un secret car personne ne l'a jamais su : mère avait pris soin de me cacher aux yeux du monde. Elle disait qu'il ne fallait qu'un seul scandale à la fois. Elle accoucha sous une identité différente, dans un autre état. Il fallait se protéger. Père était une vedette très connue. Il était partout dans les médias - Théo s'emportait et parlait de plus en plus vite - Il était présenté comme un sociopathe nécrophile, un tueur en série. Vous vous rendez compte, il aimait les femmes au point de vouloir garder les moindres essences d'elles. Il sauvait les parcelles de leurs corps de l'oubli et de la mort et il était catalogué de sérial killer. - Théo éclata d'un rire fou - Ed Gein, père, a fini moqué et haï de tous dans un asile. Moi aussi, j'ai été détesté par ma mère. Elle était aussi belle que toi. "

     Incohérent, les gestes aussi désordonnés que les paroles, le fou revint vers sa victime et chuchota d'une voix menaçante : " Retourne-toi. Je vais te faire à toi, tout ce que j'ai toujours voulu lui faire à elle. Attends, je suis stupide, tu ne peux pas bouger. Tu n'es pas encore endormie mais c'est presque pareil puisque tu es attachée." D'une force impressionnante au vu de son âge et de son gabarit, le psychopathe cassa l'instrument de torture qui maintenait la tête immobile et retourna Georgia sur le ventre. Il appuya sur un bouton pour commander le dossier du lit qui s'abaissa lentement, amenant la malheureuse en position couchée. Théo se munit de protections chirurgicales souillées. Des gants, un masque et un bonnet couverts de sang séché. Il prit un scalpel décoré de couleurs douteuses.

     - " Au pensionnat où j'ai été jeté par mère, les surveillants disaient que les fesses étaient l'endroit le plus accueillant du corps. Ils n'avaient sûrement pas tort. Petite hypocondriaque, voilà ton jour de chance : tu vas échanger le balais coincé dans tes fesses contre un scalpel. " Le sadique empoigna sauvagement les fesses, il les écarta brusquement et enfonça le scalpel directement dans le rectum. Georgia hurla faisant ricaner le pervers. Il traça sur la peau, du bas du dos jusqu'à la nuque, une ligne sanguinolente et éplucha le derme en riant : "c'est comme peler une orange sanguine!" Pendant que l'écorchée vive se vidait de son sang, il découpa minutieusement le tégument offert à ses instruments démoniaques. Une fois la besogne vicieuse achevée, il plaqua la victime encore consciente sur le dos et dit : " Tes phobies de la maladie et de la mort t'ont mené jusqu'à moi, mais Sola Gratia : Dieu t'accorde le salut de ton âme. N'est-ce pas là une chance merveilleuse ? As-tu une dernière doléance ? " Georgia, souffrante, marmonna quelque chose qui ressemblait à "pitié"

     - " Mauvaise réponse, mais merci d'avoir joué !" Le scalpel suivit le relief des pommettes qui dans un ultime élan de vie tressautaient. Théo Hill ne sauva pas - selon ses dires - la peau de la jeune victime mais la charcuta, laissant son outil sanguinaire glisser sur les yeux, les narines et enfin les lèvres. Il s'emporta : " Petite cochonne, tu baves du sang" . De colère, le créateur de l'horreur arracha les lèvres agonisantes et saignantes, en imaginant qu'avec un excellent tannage, elles sublimeraient la boucle d'une ceinture. Il passa une heure à penser des protections, et accessoires de mode pour des corps humains qui ne dormaient pas.

     Lorsqu'il eut fini il récupéra le scalp des longs cheveux de Georgia et l'entreposa amoureusement dans son mausolée, là où reposait, la chevelure de toutes ses victimes et celle de Darlène Hill, sa mère.