samedi 29 mai 2021

 

Les Démons de la Création 


 
Les Démons de la Création

    Brouillon du 3 avril : 

    Chères démones et chers monstres, je reprends ma plume de l'horreur et le clavier de la terreur pour nourrir votre peur ! Confinons-nous ensemble dans l'antre de l'épouvante ! Un blog est comme un journal intime à cœur ouvert, une opération chirurgicale à ciel découvert de la pudeur. Hier, j'ai promis dans un long message mon grand retour ! Je me suis emballée car j'ai assuré que j'allais vous divertir avec au minimum deux articles de blogs par semaine. Je ne sais pas ce qu'il m'était passé par la tête car honnêtement, je ne suis pas l'écrivaine la plus prolixe de la toile et ma tendance au perfectionnisme dans l'art me pousse à relire chaque phrase et placer la virgule à sa place la plus appropriée pour assurer la plus inquiétante des sonorités. 

    Je croise les doigts pour conserver mon ambition car cas échéant, cet article de blog se perdra dans les abysses d'Internet. Blague morbide à part, j'ai certainement trouvé THE concept qui assurera au moins trois articles par semaine ! Mesdames et messieurs, ladies et gentleman, je déclare le One Woman Horror Show lancé ! Non sans rire, la plupart du temps, je pense tellement avoir touché du doigt l'idée du siècle si unique en son genre que je la mets en application et, bien souvent, les conséquences sont aux antipodes de ce que j'imaginais. Pour résumer, j'ai une imagination loufoque qui amène tous les jours son lot de bizarrerie. Ma touchante maladresse va vous apeurer autant qu'elle va vous amuser ! J'ai trouvé THE thématique : ma propre vie sans artifice sera mise en scène bientôt sur ce blog ! Préparez-vous ! 

    (PS: Je relis ce premier jet d'article de blog. C'est frais, spontané, mais il faut gratter jusqu'à se limer complètement les ongles pour trouver l'horreur. Je ne sais pas si je posterais ce que j'ai écrit en fin de compte ! (lol) Si vous pensiez que je mettrais mon perfectionnisme de côté, vous vous fourrez le doigt dans l’œil si fort et si vite que vous pourriez vous exploser la cervelle et vous fissurer le crâne ! Par toutes les cornes de l'enfer, le sens du style monstrueux que j'aime revient peut-être enfin !) 


    Brouillon du 6 avril

    Salutations, je saute dans mon nouveau concept et mets ma vie en scène pour vos plus horribles plaisirs, j'entame le deuxième chapitre du :"3615, je raconte ma vie". Je n'ai pas publié l'article rédigé dernièrement, je ne sais pas pourquoi mais quelque chose me chiffonne. Et pourtant, présentement, je me confie de nouveau. Mais à qui ? Et pourquoi ? Vais-je me cantonner à l'aspect journal intime de ma démarche et mettre de côté ces brouillons pour la postérité ? "Si vous lisez ceci, c'est qu'il m'est arrivé quelque chose de dramatique!" Non, je déconne mais j'imagine le tableau de la publication post-mortem du récit de mon confinement ! Oui, je sais j'ai trop d'imagination ! ;) 

    Bien, votre attention s'il-vous plaît, le One Woman Horror Show commence ! Aujourd'hui je suis tombée dans l'escalier. Merci de ne pas rire (lol). Je ne sais toujours pas comment ça a pu arriver : les marches n'étaient pas cirées, les peaux de bananes absentes et je n'avais rien bu ou fumé ! En fait si, je crois que vous pouvez rire de ma propre maladresse. En tout cas, pour ma part, j'en plaisante ! La chute aurait pu être plus grave, j'ai juste dégringolé trois marches, et comme je suis robuste et solide, je ne finirai pas dans un fauteuil roulant. Mais dans ma chute, j’ai flingué mes deux genoux : deux grosses plaies béantes les enjolivent. J’ai une douleur insupportable quand je plie les jambes mais je ne pense pas que l’ossature soit touchée. Je vais vous exposer les horreurs que sont devenus mes genoux. Qu’en pensez-vous ? 



Les Démons de la Création



    Dans mon malheur j'ai aussi explosé ma tablette, elle est tombée écran le premier sur le sol, et a rendu son âme en mille éclats. Et là c'est bien problématique puisque, confinement oblige, les déplacements sont limités et l'achat d'une tablette n'est pas franchement de première nécessité. Une tablette, peu importe l'usage qu'on en fait, est juste du matériel mais c'était mon outil principal de lecture et d'écriture. Je suis une écrivaine qui adore bouger et avoir son IPad et un clavier externe, glissés dans son sac. Je ne me souviens pas avoir fait de sauvegardes et Ô rage, Ô désespoir j'ai dû perdre pas mal de textes. 

    A chaque problème, une solution, c'est ce que je me dis toujours. On ne ne maîtrise pas les ennuis et le malheur qui glisse entre vos doigts et se répand partout où il le souhaite tel une fumée anxiogène et irrespirable. Ma rémission, mon sauveur n'est rien d'autre qu'un vieil ordinateur d'où je vous narre ma mésaventure. Avec un bon reset de la bête, le PC est fonctionnel, il va même plutôt vite en réalité. J'ai collé un morceau de scotch opaque, de ceux qu'on utilise pour les déménagements. Ne me demandez pas pourquoi.

    Mon nouvel outil de travail est pratique, mais j'ai cherché le meilleur antivirus tout l'après-midi : je suis persuadée que la fragilité du système va amener des malwares et virus. J'ai peur qu'on me surveille. Cette crainte est vieille comme le monde et énormément répandue pour peu qu'on connaisse Big Brother et les vidéos conspirationnistes sur YouTube. 

    La résolution de l'ordinateur est quand même moyenne, je m'en suis rendu compte en voulant paramétrer mon blog et surtout en lisant mes toutes premières Creepypastas. A tel point que je voudrais les faire renaître, insuffler une seconde vie. J'ai toujours eu cet élan de donner d'autres tournures, de remodeler les fins, d'avoir de nouveau un lien particulier avec les personnages, mais cette fois-ci ce besoin de réécrire certaines parties est vital et me titille l'être. Affaire à suivre ! 


    Brouillon du 13 avril : 

    Bien le bonjour, il est très tôt le matin. Je ne suis pas forcément matinale et disons que là, l'histoire n'est pas de se demander si je me suis levée aux aurores ou pas, car j'ai fait nuit blanche. Cela ne m'était jamais arrivé. Je pensais que l'écrivain qui restait éveillé pour conter ses romans était un mythe. Pourtant, cette nuit c'était le cas. De minuit à six heures du matin, je n'ai pas arrêté de taper sur le clavier et de réinventer la ratte humaine d'un ancien écrit. Je lui ai conféré un aspect physique plus humain, plus séduisant pour qu'elle puisse se fondre dans la masse de la société. Je l'ai extirpé de l'égout Rattenwater où elle croupissait et ne faisait qu'attendre. Son sort était peu enviable alors je l'ai fait renaître dans une suite où elle se promène dans les rues parisiennes, s'accouple avec tous les hommes qu'elle envoûte et s'assure une descendance indécente qu'elle lâche sur le monde. L'histoire est en plein dans le bad end et surtout la plus morbide et précise que je n'ai jamais créé. 

    J'étais tellement dans une bulle de création que mes doigts eux-mêmes étaient de petites bulles qui craquaient, pétillaient et sautaient sur le clavier. Je n'ai pas vu le temps passer et j'étais dans une ailleurs de la création tellement imagée que je pouvais toucher du doigt l'immondice des rats humains. C'en était à entendre les couinements des rats excités sur le plancher. Avoir autant d'inspirations est le rêve de tous créateurs de l'horreur, pourtant, ça m'a fait flipper. Comme si, si je n'obéissais pas à mon propre besoin de créativité. Les dialogues et, les lieux de l'intrigue me submergeaient. Je pouvais voir les centaines de repoussants rongeurs sur le sol qui me poursuivraient ou que j'aille si je n'écrivais pas davantage. 

   J'ai relu ma nouvelle version dans son intégralité. Cent pages de sang et de pas ineptes. Le récit le plus effroyable dans son réalisme, une histoire sans espoir pour les protagonistes humains. L'oppressant élan qui m'a poussé à réécrire m'a amené dans la folie de l'impression de ces cent pages. La nouvelle est écrite, imprimée, prête à envoyer à un éditeur.... Mais ça me déchire de prendre cette décision : il n'est pas question d'envoyer quoi que ce soit. Tant de talent ternit ! Le gâchis est ici, vous avez raison. Mais peu importe, j'ai enfermé mon manuscrit dans une boîte terrée au fond de ma cave. Cette histoire est comme maudite et ne doit pas être lue. 

    J'affabule peut-être et c'est la raison pour laquelle je ne publierais pas l'article de blog que je tape. Vous ne comprendrez pas, moi-même j'ai du mal à suivre. Une part de moi est dans une transcendance inouïe quand j'écris, mieux que le meilleur trip d’un drogué, mais ... je ne veux plus écrire. D'où vient l'imagination des nouvelles glauques ? Qu'est-ce-qui influence le besoin de malsain ? Pourquoi tant de passion dans la création ? Je me pose moult questions sur l'écriture et les réponses que je pourrais trouver me terrifient ... 

 

 Pour la version intégrale en Littérature audio : Clique-moi


lundi 17 mai 2021

 La ramasseuse de carcasses



 

 "OFFRE URGENTE 

Vous serez en charge de l'attrapage, l'abattage et le ramassage des volailles sur différents sites du département "Loire Atlantique". Vous serez amené(e) à faire du nettoyage de bâtiments. Vous êtes physique, robuste et avez l'estomac solidement accroché. Débutant(e) accepté(e). Salaire à définir selon profil." 

     Avez-vous déjà été dans le même état d'esprit ? Dans cet état d'urgence de devoir accepter n'importe quel type de poste pour peu qu'il nécessite peu de qualification et rémunère assez bien. Je ne vous parle pas des métiers atypiques comme thanatopracteur - car cela nécessite une formation - ou encore gogo danseuse - quoiqu'au final, je danse assez bien . Mais j'évoque avec vous le sordide métier de ramasseuse de carcasses. Je ne vous détaillerai pas les horreurs des missions inhérentes au poste, enfin pas tout de suite, je ne voudrai pas d'emblée, vous faire fuir. J'aimerai emballer l'effroi de ma situation dans un doux et soyeux papier cadeau avant de tout vous dévoiler. 

     Mon nom est Athina Normga. J'ai 24 ans et suis fraîchement diplômée d'une Licence en psychologie. Plus jeune, j'avais des idéaux à la fois naïfs - je voulais un travail utile qui me rendisse heureuse - et à la fois ambitieux : j'espérais étudier les êtres humains, décortiquer leurs psychés, mais la chienne de destinée en a voulu autrement. J'ai d'abord voulu monter mon propre cabinet de psychologie, mais le confrère avec qui j'avais eu cette riche idée avait disparu du jour au lendemain emportant tout le pactole avec lui. Cela faisait donc une année que j'avais abandonné mes projets de travailleuse indépendante, en vivotant de travail sans qualification en boulots ingrats pour payer les factures. 

     Jusqu'à cet oasis en plein désert. Cette carotte fripée au bout d'un bâton sale et fatigué. Cette proposition d'offre d'emploi urgente était, peut-être, la solution à mes problèmes. Le recrutement ne prit que deux jours. Deux petites journées où je n'eus pas le temps de contacter un marchand d'organes sur le DeepWeb et lui vendre mon rein pour régler les factures en retard. En réalité, j'eus plutôt droit à une succession d'appels durant lesquels, les recruteurs me vendirent du rêve, puis enfin, la réponse fut prononcée. Elle était positive. Dès la semaine prochaine, moi, Athina Normga, qui avait le souhait de devenir une Freud 2.0, allait mettre les pieds dans l'enfer animalier. Je n'allais pas disséquer les cortex de patients qui s'imaginaient dingues mais devenir une ramasseuse de carcasses. A la base de ma pyramide de Maslow personnelle se trouvait l'argent. C'était la nécessité du moment pour nourrir mes besoins physiologiques alimentaires, ainsi, j'acceptai mon nouveau travail. 

     Le soir qui précéda ma prise de poste, à l'heure du repas, mon estomac protesta. Mes faibles économies m'imposaient de consommer des repas à base d’œufs. Omelette, œuf au plat, à la coque, miroir. Les modes de préparation n'avaient aucun secret pour moi. Mais ce soir le vitellus - le jaune de l’œuf - strié de lignes rougeâtres m’écœura. L’œuf - probablement fécondé - au fond de la poêle était là : tâche jaune sur fond bleu de mon outil de cuisine avec des stries rouges qui bougeaient quand j'agitais la poêle et qui soufflaient à mon inconscient : "sale fille, regarde ce que tu t'apprêtes à faire" . 

     Pluton, le chat du voisinage, qui quémandait souvent de la nourriture à ma fenêtre se régala du festin. Pas moi. Je décidai de ne rien manger et de jeûner, me couchai tôt le ventre vide car de toute façon qui dort, dîne. Cette nuit-ci, je dormis d'un sommeil agité. Le lendemain, en fin de journée, je conduisis jusqu’à l'usine agroalimentaire. Une fois arrivée sur le lieu de mon prochain calvaire, je garais ma voiture tout au fond du parking, le plus loin possible de l'entrée. Une odeur de mort planait. 

     Emmett Prothéos m'accueillit en grande pompe. Ses gestes étaient saccadés comme secs, robotisés et contrastaient avec son rire gras puis ventre proéminent. Ce directeur de l'usine d'abattage de volailles me fit faire - ce qu'il appela - le tour du propriétaire. Ses réflexions et rires gras, lui donnèrent l'air d'un énorme porc. Enfin, il commença la formation. Il m'enferma dans une salle. Il projeta un film éducatif qui pourrait faire passer les tortures humaines du film Hostel pour le plus pur et doux des Disney. Pendant une heure, je découvris l'abattage, le ramassage, le désossage, et le découpage de la viande. Ce que j'allais faire n'était pas très clair. Je compris juste que je m'improviserai en grande faucheuse de la faune. Que personne ne bouge et qu'ça saigne ! 

     Mon quotidien fut donc ponctué de chants mortuaires, de manipulations brutales et de morts douloureuses. Car je ne ramassais pas que des carcasses lors du second service de mon entreprise, mais je récupérais aussi des poulets de chair. Je les attrapais vivants par une seule patte et par lots de trois provoquant au passage des fractures et hémorragies sur les corps des animaux. Je les envoyais valser dans des sortes de tiroirs qui étaient chargés dans un camion et menés à l'abattoir. 

     Dans cette atmosphère de violence, je tins une semaine. Je ne donnai pas ma démission, car j'avais trop besoin de revenus, mais demandai à ce qu'on me fasse faire autre chose. Quoi ? Je n’arrivai pas vraiment à expliquer. Ainsi, je fus en un rien de temps, promue. Je ne crus pas à cette entourloupe, une seule seconde. Même en Enfer, il existait des mondes, comme des stratosphères, toujours pires que les précédentes. J'évoque la théologie démoniaque, même si je n'y crois pas du tout : je suis une femme de science et de raison, rappelez-vous. 

     Ma raison, mon esprit et mes revendications, me conduisirent au cœur de l'abattage animalier. Je fus basculée dans l'équipe qui intervenait la nuit et qui pratiquait cette technique barbare de l'électronarcose par bain d'eau. La méthode consistait à placer les pattes des volailles sur des rails, mettant les poulets et dindes, têtes en bas. Les têtes passaient ensuite dans des bains d'eau électrifiés, dans le but d'étourdir les suppliciés. Mais, la plupart ne sombraient pas dans l'inconscience car les courants électriques étaient trop faibles. Ils étaient donc pleinement vivants et conscients quand je les saignais avec des couteaux. Comprenez-bien que je n'avais pas le choix. J'agissais à contre-coeur et me mettais en pilotage automatique. J'étais froide et méthodique et faisais des mises à mort étudiées, propres et rapides.

     Néanmoins, mon nouveau mode de vie provoqua des troubles du sommeil importants. La lune semblait me murmurait des paroles. Je l'écoutais. Mes semi-repos nocturnes étaient trop légers, peuplés de songes tous plus monstrueux les uns que les autres. Avant d'aller dans mon enfer professionnel, je tentais de me reposer. Je sortais de ces petites siestes exténuée, affamée et salie par mes pensées morbides. Mon moral en pâtit également. Je me refermai sur moi-même, ne participai plus à la vie du voisinage. Je ne voyais plus mes voisins, et n'entendis plus Pluton, le chat adoré de tous, qui grattait autrefois à la fenêtre de mon appartement. Mon logement devint aussi mal entretenu. Des effluves pestilentielles envahirent chaque mètre carré. 

     Une semaine fila et effila tous les plaisirs de mon existence. Mon monde partait de travers. Au travail, j'étais apparemment moins performante car le directeur, Emmett Prothéos, planifia froidement un nouvel entretien avec moi à la fin du mois. Je devenais une loque et j’étais inquiète car ... Voyez-vous, je ne comprenais plus rien. C'était comme si quelqu'un me hurlait : " Prends-garde derrière toi une information capitale arrive" et que je lui répondais " Dis-lui de venir à moi sans chercher à me ménager". 

     Nous étions dimanche. Ce soir-là, je ne travaillais pas. Je tentais de me donner de la force pour épurer les canalisations qui dégageaient une odeur irrespirable, mais j'allumai plutôt la télévision. Je n'aimais pas les journaux télévisés : il n'y a pas besoin de journalistes pour nous informer de toute les misères humaines. Et puis, les infos sont souvent tronquées, manipulées, réinventées ... Comme cette affaire de nouveau mouvement engagé, des activistes végans qui luttaient contre le malheur animal. Des pancartes scandaient : " Stop, à la chair de poule" , "Libérez l'humanité" , "La tuerie des animaux n'est plus un mal nécessaire" "Êtres non-humains mais vivants". Depuis des années, les végans menaient leurs opérations coups de poings en manifestant et en visant les boucheries, mais à présent, ils avaient entamé des méthodes musclées qui avaient portées leurs fruits. Ils avaient frappé forts. Des usines d'abattages entières avaient été attaquées par des centaines d'activistes armés de leurs idéologies et d'une technique bien huilée. Une partie des végans avait saccagé les locaux, pendant qu'une autre, libérait les animaux : des bovins, des ovins et surtout ... des volailles. 

     Nauséeuse, je me levais doucement. Comment était-ce possible ? Ces nouvelles méthodes avaient commencé depuis des semaines. Pourtant, j'avais toujours du travail. Certes, en ce moment, dans les locaux, je ramassais surtout des carcasses mais j'avais toujours des cadavres animaliers à transporter... Comme j'étais mal en point, j'entrepris de prendre de grandes bouffées d'air. Malade, je me précipitai vers la cuisine toute proche pour vomir dans l'évier. Mes pieds glissèrent sur des asticots qui rampaient près d'un meuble. Là où l'air était plus irrespirable qu'ailleurs. 

     J'ouvris les portes et, par la même occasion, fis la lumière sur ma conscience. Jusqu'à présent, j'avais muré la preuve de ma nouvelle monstruosité, dans ma prochaine tombe. Pluton, la mascotte du voisinage, le doux et tendre animal qui réclamait caresses et friandises était inerte sous mes yeux affolés. Des mouches ravageaient ce qu'il restait de son scalp. Car le malheureux félin, avait été dépouillé de sa carcasse. Les os étaient absents. Seuls la peau moisie et les poils trônaient. Pluton, avait des compagnons d'infortunes avec lui, douze autres animaux. Et bien d'autres planqués dans le placard de la salle de bain et dans la penderie de la chambre. Un véritable carnage, des êtres tous privés de leurs carcasses. 

     La preuve flagrante de ma nouvelle folie et des mes obsessions nocturnes était fièrement affichée. Tout était clair comme jamais. Mon besoin de me laver de mes songes morbides comme une envie irrépressible de déloger la crasse et le sang. Les fringales insatiables que j'avais au réveil suite à mes recherches effrénées et épuisantes de cadavres animaliers. Depuis le début, la lune me confiait d'étranges missions, elle me susurrait d'horrifiques suggestions pour garder mon travail. Mais la lune n'était qu'une salope. Contrairement à Socrate, elle ne me connaissait pas comme moi-même je me connaissais. J'entrepris donc de lui parler de mon for intérieur. J'évoquai mes rêves de grandeur et le plus essentiel, je voulais toujours un travail utile qui me rendisse heureuse. La lune m'aida à retrouver mes esprits et tracer mes nouvelles missions. Je ne pouvais tuer inintelligemment et froidement. Chaque action devait avoir sa raison d'être. 

     Alors moi Athina Normga vint à la vie. Le sommeil ne sera plus le moyen de canaliser la démence au fond de la trappe sombre du subconscient pour buter les êtres innocents, mais au contraire, le réveil sera le défouloir de la justice dans sa nouvelle main de fer. Et un aigle dévorera le foie du persécuteur, du meneur de la barbarie qu'était Emmett Prothéos. 

     Je fus méthodique et froide et comme la lune me soufflait toutes les réponses à mes interrogations, je trouvai bien vite la solution. Dénicher le lieu de vie d'Emmett Prothéos, fut un jeu d'enfant. Il vivait dans un coin aisé dans cette ville de Nantes où coula déjà beaucoup d'encre et de sang mais : "Chut, cela est une autre histoire". 

     Silencieusement, je fracturai la fenêtre du rez-de-chaussée et montai à l'étage. Lors de cette première infiltration, peut-être, fus-je bruyante mais le porc engoncé dans les couvertures du lit, situé à l'étage, ronflait si fort que cela devait amoindrir tous les bruits. 

     Avez-vous déjà saigné un porc ? Non ? Eh bien, vous perdez quelque chose ! Le cochon pleurait quand j'épluchai le derme de tout le corps. Il hurlait lorsque le couteau fouinait dans les organes internes. Il criait toujours quand le foie fut déniché. Avez-vous déjà dégusté un foie ? Un foie humain s'entend ? Non ? Eh bien, vous devriez ! Hannibal Lecter le dégustait avec des fèves au beurre. Moi, Athina Normga le mangeai cru, directement à la source, encore partiellement logé dans le corps du porc. Quand tout fut fini, je ne regrettai pas mon premier massacre punitif, mais il fut quand même compliqué de fracturer la carcasse en morceaux pour la déplacer plus facilement. J'avais dû improviser avec la lampe en fer forgé. Et puis, toutes ces éclaboussures de sang. Comment faisait Dexter déjà ? Ah oui ! C'est vrai ! Il protégeait les murs avec des bâches en plastique. J'avais dû faire avec les moyens du bord et protéger tant bien que mal avec les draps du lit et éponger tout le sang avec les vêtements. 

     Tout ce cheminement en valait la peine car je fus en marche vers ma nouvelle destinée ! J'étais une nouvelle justicière. "Toc, Toc, Toc ! Qui était là ? La souris qui joua au chat et vengea toutes les pauvres volailles. Etait-ce une souris ? Comment était-ce possible ? Elle portait un couteau ensanglanté et un rictus aux lèvres qui promettait de venger toutes les victimes de la barbarie ! Est-ce qu'elle allait s'arrêter là ? Elle n'oubliera jamais qui elle est et, tant qu'il y aura des êtres à persécuter, elle continuera

 

lundi 3 mai 2021

L'ultime photographie de la Whitechapel Gallery


Jack l'éventreur était à l'aube d'une nouvelle Ère victorienne où les prostituées seraient propulsées aux rangs de morbides suppôts de Satan...

 

    

      "Attention ! Même si on ne bouge plus, soyez les plus vivants et naturels possibles"

     Le flash d'un antique appareil photo explosa et aveugla partiellement chaque être vivant du studio de la Whitechapel Gallery. La mère de famille tressauta. Cette matriarche, peu gâtée par la vie, était une triste fille de joie qui s’appelait Luna. Elle avait été contactée par un photographe peu connu de la populace Londonienne. Le preneur de photo immortalisait les doux enfants qui passaient les portes de la modeste galerie. Il offrait gracieusement un souvenir impérissable aux prostituées qui amenaient, dans la clandestinité, leurs enfants illégitimes pour les photographier. Il fallait graver dans la mémoire et sur le papier les visages juvéniles car on ne sait jamais quels sorts pouvaient être réservés aux marmots des prostituées... 

     Luna admira la pose tranquille de ses deux petits protégés, sages comme des images. Elle apprécia le moelleux et le volume de la chevelure de l'aînée de la fratrie. Les cheveux de Romy étaient gonflés par l'humidité du bain qu'elle avait pris il y une poignée d'heures. Le corps de l'enfant avait été bercé par l'apaisant clapotis de l'eau. Luna avait amené sa chère enfant au bord de la Tamise, située au Sud de Londres. Le cadre était idyllique et la journée s’annonçait radieuse. Le ciel était bleu, le soleil brillait et les oiseaux chantaient. Le souffle du vent se conjuguait avec les puissants pépiements des oiseaux et... les incessants hurlements de l'enfant. Malgré les paroles rassurantes de la mère, la jeune Romy se débattait comme un beau diable dans le fleuve. Bizzarement, ses poings s'agitaient sous la surface aqueuse et ses jambes essayaient vainement de repousser sa mère adorée. Selon Luna, c'était juste une baignade forcée pour faire disparaître la preuve flagrante de sa vie de débauchée. Alors , sans faillir, elle maintenait la tête de sa gamine sous l'eau. Le corps de l'enfant convulsait. Les robustes bulles d'air qui sortaient de la bouche de Romy s'amenuisaient rapidement. Jusqu'à ce que tout ne soit plus que calme et apaisement. Après deux longues minutes d'agonie, Romy était enfin morte. 

     Elle était donc décédée mais avait encore cette étincelle de vie qui serait capturée à jamais dans cette photographie post-mortem. Sur la photo que Luna allait récupérer chaque individu apprécierait à jamais la beauté inaltérée de la regrettée Romy. Le talent inné du photographe pour faire sien toutes étincelles de pseudo-humanité n'y serait pas étranger. Jack était un grand professionnel. Il excellait dans son Art et était le plus doué en la matière. Dans l'ombre, il était éditeur des photographies de bambins morts. Trépassés par accidents souvent orchestrés d'une main de maître par leurs mères, des prostituées qui ne pouvaient mener à bien leurs maternités. Ni plus, ni moins que des avortements tardifs. Après tout, ces pauvres avaient déjà des difficultés à gérer leurs propres vies... 

     " Il est de mon devoir de retravailler les accidents de la nature" : de nouveau, Jack grondait ses menaces lourdes de sens. Luna porta instinctivement une main à sa bouche. Elle prit conscience du sordide de la mise en scène. Elle eut un moment de faiblesse et tomba sur le sol. Elle rampa alors vers les deux modèles de la photographie. 

     Romy avait la froideur, la lividité et la rigidité du cadavre. Elle était raide dans sa robe blanche, pure et angélique que son frère Romuald aimait tant. De son vivant, il veillait toujours sur elle. C'était Romuald qui avait tendrement séché le corps mouillé de sa sœur juste après sa baignade. C'était toujours lui qui l'avait vêtue de sa robe virginale. Alors qu'il assurait la mise en beauté de sa sœur pour son ultime photographie, il tapotait l'épaule de la mère qui regrettait malgré tout la trépassée Romy. 

     Romuald était un garçon dynamique et vif. Dans sa prime jeunesse, il avait toujours eu plaisir à envoyer violemment ses pieds dans les jambes de sa sœur pour la faire tomber. Avec fébrilité, il s'amusait à expédier les corps des chatons pour les admirer exploser contre les murs. Mais ce jour, il était calme et immobile. Le regard figé, aussi fixe et inexpressif que celui de sa sœur. 

     Le photographe de la Whitechapel Gallery, Jack, avait assuré à Luna qu'il s'occuperait de la pose de Romuald pour la photographie. Il avait promis d'assurer au petit garçon une mise en lumière idéale, unique et naturelle. Il avait argumenté et réussit à convaincre la mère en assurant qu'il avait "l'habitude" de s'occuper des enfants. Même si Jack était excentrique et arborait ce maquillage étrange de mime avec la face peinturlurée en noir et blanc, Luna l'estimait digne de confiance.

     Quand Luna s'approcha pour s'assurer de la bonne santé de son fils, Romuald ne bougea pas d'un poil. Il ne tiqua pas quand elle l'appela. Il ne cligna pas d'un œil. Il ne bougea pas même d'un pouce. En réalité, il ne pouvait plus se mouvoir : ses membres inférieurs étaient entravés dans un mécanisme de torture moyenâgeux amélioré. Des ceps aux mâchoires acérées bloquaient et mordaient dans les chairs de ses chevilles. De grandes béquilles en fer rouillé, prenaient racine dans les ceps qui emprisonnaient les pieds. Ces béquilles en ferraille remontaient vers le haut du corps et se perdaient dans l'anatomie des jambes du garçon ; les muscles, c'est à dire, les quadriceps et les vastes externes et internes étaient étirés et tressés autour des béquilles. Sur la partie basse du corps de Romuald, la peau était arrachée et exhibait la vie interne du garçon. 

     La mère des deux morts s'époumona. Elle poussa un long cri d'effroi et rampa vers la sortie. Tremblante, elle tenta quand même de se remettre sur ses pieds et s'accrocha aux pieds de l'appareil photo de la Whitechapel Gallery. Maladroitement, dans une pluie de bois et de verre, elle fit tomber l'appareil. L'objet de prédilection, qui était aussi et surtout, l'outil de travail de Jack n'était plus utilisable. Il gisait inerte aux pieds du photographe qui entra dans une rage ravageuse. 

      Il rassembla tous les éclats de verre dans sa main nue. Il saigna abondamment mais n'en avait que faire. Au contraire, il trouvait l'odeur cuivrée du sang euphorisante. Dans un délire mystique, il dessina une croix sur son front et peinturlura ses lèvres avec son propre sang. Ensuite, il cria à l'adresse de Luna :" A toi qui refuse de voir ta véritable nature" . Il sauta vers elle. Il la domina, écrasa son corps avec le sien et plaqua ses mains au-dessus de sa tête. Il saisit un éclat de verre, en apprécia le tranchant en traçant des rigoles de sang sur le visage de la prostituée qui se débattait, puis, creva brutalement l’œil gauche de Luna. Celui-ci éclata en déversant une substance blanchâtre écœurante. L’œil droit ne connut pas un meilleur sort. Jack improvisa un levier pour déloger le globe oculaire de la cavité, et, trancha le nerf optique. Lorsque Jack, eut fini d'écorcher la figure de Luna en une œuvre grotesque. Il coupa la pauvre robe pour exhiber la peau sèche du corps de Luna. Il incisa profondément le bas du vente, traça un chemin ensanglanté du clitoris au nombril et écarta le derme ciselé. Durant une dizaine de minutes, il joua au médecin sadique et trouva l'utérus. Il l'extirpa pour l'admirer et le fourra dans la bouche de Luna pour lui intimer le silence : "Les filles de joie ne devraient pas avoir le droit de parler tout comme cette interdiction formelle de pouvoir enfanter. " 

     Jack, que tous surnommeront l'éventreur, s'extasia devant sa récente création qui reflétait sa vision des prostituées. Cependant, il voulut que Luna puisse voir également sa réalité figée, il espéra qu'elle arrive à voir son identité vraie, ce qu'elle était au fond d'elle. Ainsi, il prit les yeux réduits en charpie, pour les positionner à la place des ovaires. Jack était à l'aube d'une nouvelle Ère Victorienne où les prostituées seraient propulsées au rang de morbides suppôts de Satan. Mieux que sa carrière avortée de photographe mortuaire, Jack dessina son chemin vers les châtiments divins et les réelles nouvelles identités qu'il conférera à toutes les prostituées qu'il croiserait. Ainsi, en 1888, dans la Whitechapel Gallery, une effroyable vocation prit forme...


dimanche 11 avril 2021

                  Alice, dans la Clinique aux Merveilles

 

Les complexes sont tenaces et chaque être qui est concerné par ceux-ci pense qu'il est toujours dans la plus dramatique des situations, surtout quand la bien-pensance le fait croire... Mais quand Alice Liddell vit les patients de la Clinique aux Merveilles, elle se rendit compte qu'il y avait des monstres de la nature bien pires qu'elle...

 

      Chaque personne a souhaité, au moins une fois dans sa vie, aseptiser son comportement pour adhérer à une norme, ou du moins, à l'idéologie supérieure et parfaite de la race humaine. 

     Ce fut le cas d'Alice Liddell. Alice souffrait de troubles dysorthographiques qui pourrissaient son monde de tâches colorées inappropriées. Alice refusait toutes activités littéraires en arguant : "à quoi peut servir un livre sans images ni dialogues ? ". Non par fainéantise intellectuelle, mais à cause de sa dyslexie, car la blondinette voyait les mots des romans se distordre et se brouiller en étranges nuages vaporeux. Alice ne comprenait pas le sens de ses livres et avait l'impression d'évoluer dans un monde où on marchait sur la tête. Alors, elle commit l'erreur de confier son mal-être à un médecin. Le spécialiste qu'elle consulta ne sut diagnostiquer son trouble, il prit en compte son esprit fantasque et les tâches lumineuses qui déformaient la vision d'Alice pour poser son verdict : "trouble mental". D'emblée, le docteur l'expédia dans cet endroit qui promettait aux patients malades de traiter en profondeur leurs problèmes et de leur offrir un nouveau départ pour une renaissance physique et spirituelle. Alice fut envoyée dans : "La clinique aux Merveilles". 

     Alice n'avait jamais entendu parler de cette clinique et ne savait pas quelle était l'idéologie novatrice défendue par cet établissement mais comme elle était désespérée, elle accepta sans broncher sa, presque, déportation dans ce centre au nom étrange. 

     Sept journées s'écoulèrent durant lesquelles Alice préparait ses affaires avec une hâte fébrile. La secrétaire qui l'avait contactée, lui avait promis un nouveau psyché totalement différent du sien contre une semaine entière d'internement. Mais qu'était une semaine de rudes traitements médicaux pour l'assurance d'une manière d'être qui collerait avec les normes de la société ? 

     Le 17 Juillet 1942, Alice mit les pieds dans la clinique aux merveilles. Des fils barbelés décoraient l'enceinte de la clinique et juste à l'entrée de l'établissement, une inscription en police gothique annonçait la couleur : " La norme rend libre". L'architecture du bâtiment hospitalier était austère, les briques grisâtres. De petites lucarnes sales faisaient office de minuscules fenêtres. Les ouvertures entre le monde extérieur et l'antre de la clinique étaient condamnées par des barreaux. Un parterre de fleurs desséchées et fanées tentaient, sans succès, d'égayer le bas des murs. Les lis et les pâquerettes violaient les pensées, et surtout envies, florales et pures d'Alice. Le bâtiment était d'architecture gothique et en forme de U. L'aile Ouest était vraisemblablement une galerie d'Art temporaire. L’aile Est, un corpus de pièces pour soigner les patients et le bâtiment central, l'accueil.

     Alice voulut payer le conducteur de taxi qui la déposa, mais celui-ci refusa. Il souhaita prononcer une seule et unique phrase, mais buta tellement sur les syllabes des mots qu'Alice ne fut pas sûre d'en saisir le sens. Le chauffeur bégaya quelque chose qui ressemblait à : "V-V-Vvous Ve-ve-venez pou-pou-pour l'ex-ex-exposition d'Art ?" Son regard différent était aussi inquiétant que son élocution laborieuse. La jeune Alice pensa juste qu'il n'avait pas toute sa tête, descendit de la voiture et s'approcha de l'étrange clinique. 

     Les complexes sont tenaces et chaque être qui est concerné par ceux-ci pensera toujours qu'il est dans la plus dramatique des situations, surtout quand la norme bien pensante le fait croire. Mais quand Alice vit les patients de la clinique, elle se rendit compte qu'il y avait des monstres de la nature bien, bien pires qu'elle. 

     Tout d'abord, un individu de petite taille sautillait près de l'entrée. Quand il aperçut la nouvelle recrue, il gesticula bizarrement vers Alice en hurlant qu'elle était en retard. La partie basse de la figure du crieur était bizarre : une moustache blanche et drue entourait une bouche en forme de bec-de-lièvre et la dentition grande et proéminente d'un lapin. L'affreux fou tourna encore autour d'Alice et précipita son corps vers l'entrée de "la clinique aux merveilles". 

     Dans l'établissement, le musée de l'horreur avait ouvert ses portes. Un jeune homme était assis. Son dos était exagérément courbé tel un bossu moderne. Ses bras étaient déformés aux niveaux des coudes et ses mains étaient étranges. Des doigts étaient absents de leurs emplacements initiaux donnant aux mains l'illusion de pinces de homard. Il vit Alice, qu'il dut trouver à son goût, car il avança son bras et, surtout ses mains, spéciales molles et difformes vers cette première qui fut horrifiée et recula. Dans sa précipitation, Alice bouscula une femme aux oreilles félines et poilues. Cette dernière avait un immense sourire dérangeant et figé pourtant ses actes occasionnaient plus de souffrance et de douleur qu'autres choses. Elle griffait avec acharnement son visage avec ses longs ongles effrayants et pointus. De longues traînées sanguinolentes zébraient l'effroyable visage souriant et coloraient en rouge le tapis blanc sur le sol. 

     Alice se dit qu'elle n'avait pas sa place ici et se précipita vers l'entrée du hall d'accueil. A l'instant, où elle allait quitter la clinique, une grande brune à la beauté glaciale, l'apostropha : "Eh bien, vous nous quittez déjà ?" Elle, se rapprocha davantage. Ses cheveux étaient tirés en chignon strict laissant la part belle à un visage à la beauté irréelle. Les yeux bleu Antarctique froid, se plissèrent légèrement pendant que la femme tout aussi glaciale se présenta. Elle se nommait Carole, était la directrice de la clinique aux merveilles et attendait avec grande impatience l'arrivée du nouveau "élément" . Le bras de la dirigeante du centre hospitalier crocheta les épaules de la nouvelle venue, griffa la nuque et sans vraiment écouter ce qu'elle disait la ramena vers l'accueil. Alors qu'Alice remplissait les papiers d'admission, elle leva la tête et tendit l'oreille car elle crut entendre de lointains cris de détresse et d'agonie, mais comme Carole la surveillait froidement, elle se dépêcha de remplir toute la paperasse. 

     Le précipice d'Alice dans la Clinique aux merveilles eut lieu à peine dix minutes après. Une chevauchée des Walkyries, celle de Wagner, accompagna sa brusque chute au sein de la folie. Car si le noyau de la démence devait exister à un endroit précis c'est dans l'antre de la Clinique qu'il se trouverait. Le déséquilibre des lieux grignota rapidement la logique de l'esprit d'Alice. 

     Aucun des couloirs de l'institution n'était droit car les cloisons des chambres où les aliénés étaient enfermés étaient minces, et, tous les dingues se balançaient dans leurs camisoles contre les murs des pièces. Des hurlements incessants ponctuaient les vies nocturnes et diurnes de la Clinique. Les sols de toutes les pièces tremblaient, vibraient et faisaient tomber bien trop souvent les internés. C'était étrange et inquiétant, mais, moins que le personnel soignant.

     L'oncle Mengele régnait avec Carole en maître des lieux. Alice entendait des bruits de couloir bien avant de rencontrer réellement ce Docteur Mengele que tous surnommer l'oncle. Et dans ce nouveau monde, qui était plus atroce que merveilleux, Alice commençait à deviner ce dont il était capable, bien avant de croiser son regard fou. Le scientifique sadique était obnubilé par les liens filiaux et les fratries. A la clinique aux merveilles, la rumeur se répandit que deux frères Tweedledee et Tweedledum venaient d'être internés. Leurs pathologies n'étaient pas claires, il semblait juste qu'ils nourrissaient tous deux une peur panique des corbeaux. Et c'était là leurs seules phobies, enfin Mengele aurait plutôt dit leurs seules anomalies. Tweedledee et Tweedledum étaient donc deux jumeaux aux pensées et craintes similaires. Mais, deux êtres bien distincts jusqu'à ce que Mengele s'en mêle. Le chercheur trouva une technique expérimentale pour souder davantage les deux frères. Il se mit à couper le bras droit à l'un et le bras gauche à l'autre et relia les deux corps des jumeaux ensemble. Tweedledee et Tweedledum devinrent, bien malgré eux, frères siamois. Une chimère cauchemardesque à trois jambes, deux bras, un système digestif, deux têtes et un seul cerveau. Ce nouveau monstre mourut rapidement, mais, exacerba la folie médicale de Mengele qui voulut créer d'autres étrangetés pour "son exposition". 

     Alors, la directrice de la Clinique et le médecin mirent en place l'hydrothérapie et comme Carole avait la phobie de la blancheur, des murs et des dermes blancs. Des bains surprises à l'eau bouillante furent instaurés. Les patients aux peaux les plus crémeuses étaient plongés dans des baignoires avec une eau à 70 degrés. Les corps cramés avaient une apparence unique et effrayante, pourtant, il n'y avait pas encore assez de couleur rouge écarlate sur les peaux cramoisies, alors Carole commença à se passionner pour les cœurs humains poignardés. Elle entra dans une fureur aveugle et massacra avec des pics acérés les cages thoraciques des patients qu'elle avait condamné. Les os éclataient et les cœurs étaient charcutés et explosaient en des gerbes de sang. Ainsi, Carole fut surnommée ... la reine de Cœur. 

     La substance du sablier du temps continua à s'écouler. Le temps fila. Un autre désaxé rejoignit la Clinique : le lièvre de Mars. Contrairement aux malades de la Clinique, simplement originaux, le lièvre de Mars était réellement dangereux. Il souffrait d'érotomanie et, surtout, de nymphomanie. Pour résumer les choses, il abusait sexuellement de toutes les femmes qu'il croisait dont Alice. La reine de cœur fut trop vite dépassée par les évènements, elle instaura un traitement médical insolite et prononça la sentence suivante : "qu'on lui coupe le sexe". Mieux que la lobotomie, la reine de cœur décida donc de couper les sexes, puis les têtes enfin, chaque organe du corps humain pour soigner la moindre folie dès qu'elle était contrariée. Des "qu'on lui coupe" résonnait à chaque heure et à chaque recoin de la Clinique. Le sang coulait à flot. Les malades tombaient puis mouraient. La reine de cœur jubilait. 

     Une autre semaine s'écoula durant laquelle Alice, qui avait échappé au massacre, sympathisa avec un nouveau malade surnommé :"Le Chapelier fou" . Des bruits de couloir circulaient sur son compte, on disait que le Chapelier battait ses camarades de chambre dès qu'ils lui assuraient que le Chapelier n'avait qu'un seul anniversaire par an. Il était possible que le Chapelier fou les frappe jusqu'à ce que ses victimes sombrent dans l’inconscience pour ensuite les étrangler avec une taie d'oreiller. Cette accusation était probable car le Chapelier fou était obsédé par les taies. De préférence avec du laid, c’est à dire le sang et autres substances vitales des malades de la Clinique qu'il jugeait laids. Mais Alice fit fi des préjugés et passa tout son temps libre avec le Chapelier fou. Pourquoi ? Car il assurait à Alice qu'avant l'exposition artistique mensuelle, la reine de cœur et Joseph Mengele allaient organiser une grande partie de croquet avec les têtes des malades de la Clinique. Le temps était compté, il ne fallait pas être "en retard, en retard" . 

     Un soir, une équipe anormale et étrange organisa son évasion. Alice était accompagnée d'un Loir, patient atteint de narcolepsie ; du fameux lapin qui avait peur des montres, de l'heure, du temps qui passe ; puis du malade avec des pinces de homard greffées à la place de ses mains, et, pour finir d'un Chapelier fou. Ce dernier avait attaché tous les linges de lit pour fabriquer une corde robuste afin de s'échapper par une fenêtre. En réalité, ces dingues n'avaient aucune chance...

     Ils ne s'évaderaient jamais car toutes les fenêtres des chambres de l'établissement étaient en fait ... des trompe-l’œil, des illusions. La partie médicale de la Clinique donnait sur une tour des suppliciés. Les réguliers tremblements du sol étaient provoqués par la rotation régulière des pièces de l'aile Est. Au fil des jours, toutes les salles et les chambres s'étaient imbriquées dans une tour dont le centre était un incroyable puits profond.

     Alice ne comprit pas tout de suite qu'il n'y aurait pas d'issue positive alors, elle sauta par la fenêtre la première. La chute fut effrayante. Et enfin, Alice comprit que la fenêtre débouchait dans un genre de vide, presque comme un puits sans fond. Elle vit que les parois étaient tantôt faites de briques suintantes et glissantes, tantôt de fenêtres sales où l'on devinait derrière les têtes squelettiques et effrayées de chaque interné. Alice n'avait aucune prise et ne pouvait qu'espérer que sa chute se finisse rapidement et sans douleur. Elle repensa aux sévices infligés au sein de la Clinique.Elle revécut les gavages de son estomac avec de l'eau bouillante, les parties de cartes qui se soldaient par des mutilations sur ses bras lorsqu'elles perdaient, les monstres de la nature créés par Mengele, les massacres colériques de la reine de cœur. Et, lorsque son esprit s'allégea et quitta enfin son corps meurtri, Alice poussa son dernier soupir en touchant le fond. 

     "V-V-Vvous Ve-ve-venez pou-pou-pour l'ex-ex-exposition d'Art ?" Un individu était en faction près de l’aile Ouest de la Clinique. Il était rien et tout à la fois. Chauffeur de taxi, ouvreur, portier et meneur de danse assurait l'accueil. Son regard différent était toujours aussi inquiétant que son élocution laborieuse. Il conduisait les vicieux visiteurs triés sur le volet pour visiter les galeries de l'exposition artistique mensuelle de la clinique aux merveilles. 

     Les curieux se déplaçaient à travers toute l'Europe. Néos nazes, jeunesse avec une nouvelle vision de la société et de ce qu'est la norme. Tous habillés par Hugo Boss et marchant avec froideurs et raideurs inhumaines. Tous passionnés par l'Art idéologique de la Clinique. La reine de cœur et Joseph Mengele exhibaient fièrement leurs cauchemardesques créations. Certaines fois, Carole se moquait du chauffeur de taxi, ouvreur, portier et meneur de danse en singeant son bégaiement quand il parlait de son "ex-ex-exposition artistique". Elle le reprenait, oui, il s'appelait bien "Charles Do-do-do Dodgson" mais n'avait rien inventé car son idée de base : une expo photographique avec des gamines aux poses aguicheuses n'était rien comparé aux monstres de l'horreur bien plus effrayants que de vulgaires photographies. 

     Carole rejoignit une estrade éclairée par des spots. Elle offrit aux visiteurs une grimace narquoise et un salut militaire et dit :" de quoi vivrait notre Art, si ce n'est que des vices de nos internés ? Dans notre monde où la norme constitue notre idéal, nul salut ne pourra venir des rêves. Créons notre parti, notre race libérée des anormalités". Elle tira théâtralement un drap blanc tâché qui cachait sa nouvelle "race". Une horreur hybride dont le cerveau était la tête du chapelier greffée au corps des défunts Tweedldee et Tweedledum. Un monstre à trois têtes avec les frêles bras scarifiés d'Alice, la queue d'un chat et le bas du corps du lièvre de Mars. 

     Devant cette étrange chimère créée de toutes pièces par la nouvelle idéologie humaine, le public se mit à chanter et applaudir. 

     La Clinique aux Merveilles perdura jusqu'en 1945. Elle continua à exhiber, ce qu'elle estimait comme étant, ses anormalités. Elle créa inlassablement des monstres de la perversion humaine pour nourrir une idéologie nourrie par la seule passion du vice. Les témoins de la récente monstruosité banalisée, et les visiteurs de l'horreur ne furent pas nécessairement retrouvés. Hors de la Clinique, ils cachèrent leurs ignominies derrière des masques de normalité. De nos jours, la Clinique aux merveilles n'est affichée dans aucun manuel historique. Elle ne figure sur aucune carte et elle ne propose aucun lieu de recueillement concret. Peut-être allez-vous rétorquer que tout ceci n'est qu'un mythe et que donc elle n'a jamais existé. Mais, "La Clinique aux Merveilles" était et sera toujours dans les pires pensées de celles et ceux qui stigmatisent et condamnent les moindres anormalités...