samedi 3 septembre 2022

   La bibliothèque hantée


La Bibliothèque oubliée


    Vous vous baladez dans un quartier qui titille un coin de votre mémoire. De vieux souvenirs remuent au fond de vous. Des réminiscences qui couvrent votre corps de chair de poule. Vous tremblez comme si vous souffriez d'une maladie inconnue. Il s'agit là autant du froid environnant que d'une sensation inquiétante.

     Vous avancez dans un paysage envahi par la brume. Tout ressemble à une ville fantôme. Vous vous maudissez de vous être aventuré ici. Seul. Mais un besoin impérieux vous y a forcé. La visibilité est telle que vous voyez mal au-delà d'un mètre. Les rares lampadaires que vous croisez clignotent comme ces fameuses loupiotes pendant les fêtes de fin d'année. Pourtant, nous ne sommes pas encore arrivés à Noël. Enfin. Vous avez perdu la notion du temps, vous ne savez plus vraiment. Je vais vous donner un indice. La fête qui arrive est celle que nous aimons tous. Vous et moi. Sans nécessairement la fêter, la seule atmosphère glauque suffit à vous faire tressaillir de terreur. Halloween approche.

     Tout comme cette vieille demeure victorienne. Elle n'était pas là il y a quelques minutes. Vous en êtes persuadé. C'est comme si elle avait émergé du néant. Les corbeaux croassent. Ces oiseaux de malheur sont posés sur les fragiles bardeaux du toit. Un volatile en fait tomber plusieurs qui se fracassent sur le sol, provoquant un boucan de tous les diables. Le vent brise le calme relatif de la nuit. D'abord, un souffle caresse votre nuque. Ensuite, une bourrasque vous envoie valdinguer aux portes de la demeure.

     Vous tombez brusquement. Votre portable émet un bruit de plastique écrasé. Il est hors service. Si jamais quelque chose vous arrivez, vous seriez incapable d'appeler à l'aide. Personne ne sait que vous êtes ici. Auparavant, vous aviez bien adressé la parole à quelques badauds, mais ils vous ont déjà oublié. Pas vous. Vous ressassez ces paroles empreintes de mystère : “maison hantée”. Pourtant, vous êtes ici. Vous aimez avoir peur.

     Les portes de la maison branlante s'ouvrent en grinçant sinistrement. Une puissance invisible vous pousse sur le perron. L'escalier est constitué de pierres glissantes. Certaines marches sont cassées, rendant votre ascension un rien périlleuse. La porte est en pierre également. Le heurtoir est une gargouille qui s’anime et hurle. Sa bouche est béante, ouverte sur des vociférations qui rugissent à vos oreilles. Le tourbillon du vent transporte d’autres voix criardes. Vous criez à votre tour. Vous êtes apeuré comme vous l'avez rarement été. Mais vous entrez quand même dans la demeure. La porte se referme bruyamment derrière vous. Vous sursautez et vous retournez.

     Il n'y a plus de porte.

     En face de vous, il y a un antique escalier en bois. Vous vous souvenez. Enfin. Un enfant de six ans avait dévalé l'escalier, devenant handicapé. Vous aviez été complice. C'est comme si c’était vous qui l’aviez poussé. Les couloirs sont hantés par des rires malsains et des cris d'agonie. Les fantômes vous soufflent des histoires horrifiques dont vous vous rappelez. Si vous commenciez à fouiller la vieille demeure, vous trouveriez un grenier poussiéreux. Avec une malle qui n'aurait rien à envier à la boîte de Pandore. Avec un rocking-chair qui avale l'âme des êtres qui y prennent place. Cette partie de la maison, vous la connaissez. Vous avez déjà fait l’état des lieux.

     Vous avez alors l'âme d'un explorateur. Cette nuit, vous êtes un conquistador qui visite tous les États de l'effroi. Vous débutez votre conquête par le vieux salon. Le parquet grince sous votre poids. Des planches pourries se désintègrent sous votre corps. La poussière de la pièce vous fait tousser à en cracher vos poumons. Vous trouvez un chandelier rouillé accroché au mur. Vous avez regardé assez de films d'horreur pour savoir que c'est un mécanisme. Vous savez aussi que vous ne devriez pas y toucher. Mais vous êtes là pour ça. Vous aimez avoir peur. Vous tirez le bougeoir vers vous. Un nuage de poussière tombe sur votre visage. Vous toussez à en pleurer. Vos larmes coulent à n'en plus finir. Vos yeux piquent. Vous ne voyez plus rien. Tandis que vous frottez votre visage, vous entendez un mur de pierre qui tourne. Vous êtes aveuglé, mais vos pieds n'ont pas besoin de voir pour marcher.

     Votre vue est revenue. Vous ne toussez plus. Vous regardez partout avec embarras.

     Le bougeoir n'est plus là.

     Vous êtes pris au piège dans une nouvelle pièce. Une bibliothèque oubliée. Rien à voir avec la médiathèque municipale de votre ville. De vieux grimoires poussiéreux décorent de fragiles étagères en bois. Il y a énormément d'allées. Semez des miettes de ce que vous voulez, car vous pourriez vous perdre. Vous avez déjà perdu beaucoup d'éléments. Comme la notion du temps. L'écho d'un tic-tac résonne dans la pièce, vous rappelant la fragilité de l'instant qui passe. Quel jour sommes-nous ?

     Un son atroce. Un rongeur qui va vous grignoter jusqu'à ce que mort s'ensuive ? Non. Rassurez-vous. Ici. Tout est mort. Vous êtes le seul à être vivant.

     Le bruit étrange reprend. Un glissement. Millimètres par millimètres. Dans le silence de la bibliothèque, vous n'entendez que ça. Un autre glissement. Puis une centaine d'autres. Vous êtes terrorisé. Vous vous mettez à courir. Voyons, reprenez-vous. Vous iriez où ?

     Les glissements se ponctuent par un assourdissant vacarme. Une multitude de livres ont glissé, embarquant dans leurs chutes, une étagère entière. Des nuisibles rampent. D'énormes araignées. Des cafards grouillants. Des asticots rampants. Vous allez vers eux. Vous aimez les livres. Vous aimez avoir peur. Surtout, vous n'avez plus le choix. Vos pas écrabouillent les insectes. Les petits craquements écœurants vous perturbent. Les odeurs nauséabondes vous soulèvent le cœur. Vous regardez le sol. Sous vos pieds, il n’y a plus rien.

     Des voix hypnotiques murmurent des choses. Des lettrines volent dans les airs. Des étapes capitales. Prochaines "Chroniques Littéraires" ? Elles rampent sur le sol, juste à votre gauche. "Historiettes horrifiques" ? Elles s'apprêtent à vous envahir. "Les Nouvelles Épines d'Halloween" ? Elles verseront, près de vous, un flot d'hémoglobine.

     Vous pensiez que "Les Récits du Grenier" étaient définitivement "oubliés" ? Vous pensiez que les étranges entités, vous avez lâché ?

     Mes Chères Lectrices, mes chers lecteurs, les cauchemars ont reculé pour mieux vous envahir. L'effroi est éternel. Je vous promets des horreurs audiovisuelles. Je vous assure des aversions ascensionnelles. Nos liens sont pour toujours, transdimensionnels. Vous ne vous échapperez pas. Vous iriez où ?