samedi 30 novembre 2019


Cauchemars prémonitoires



Dis moi ce à quoi tu penses et je te dirai qui tu es ! Voire ce à quoi tu penses. Et peut-être qu'en poussant un peu, tes drôles de rêves pourraient être de pénibles prémonitions.


    

     Dis moi ce à quoi tu rêves et je te dirai à quoi tu penses ! Voire qui tu es et ce qui pourrait t'arriver ... Et peut-être qu'en poussant un peu, tes rêves inouïs pourraient être de pénibles prémonitions. Les mauvais songes sont les reflets de l'inconscient. Du moins c'est ce que tout le monde dit. Il paraîtrait même que les rêves seraient juste le condensé de ce qui arrive. Rien de plus normal.

     Je n'ai pas d'opinion là-dessus. En fait, j'essaye juste de relativiser la signification : j'ai simplement une imagination débordante et, dans ce sens, mes songes sont de bonnes matière pour écrire des histoires qui font peur. Une nuit, une idée de troisième guerre mondiale horrible avec tant de réseaux de résistants empruntant des tunnels, reliés aux anciennes gares, a fait surface. J'en ai tiré un récit ! Je vous parle de ça pour illustrer mes propos : tout ça est une anecdote, une histoire fictive, juste basée sur un rêve. Mais ce que je vais vous rapporter est réel, vous le comprendrez en appréciant le lien que je tisse avec l'actrice principale de mon songe. Elle était spéciale à mes yeux et pour rien au monde, je ne me permettrais de broder mes délires créatifs sur elle.

     Les choses perturbantes ont toujours un début. Et l'essence de mon cauchemar commença comme ce qui suit.

     Une nuit, je me retrouvais avec mon compagnon près d'un resto grill en bordure d'autoroute. Un genre de dîner américain. À l'intérieur du restaurant, l'ambiance était calme comme figée par une brume de normalité. Tout fonctionnait au ralenti. Les serveuses glissaient lentement dans des démarches graciles de silhouettes fantomatiques. Les clients attablés mangeaient en fixant le vide. Sans ciller, les paupières ouvertes voyant un autre monde. Seules les mâchoires mastiquaient, bougeaient.

     Nous nous installions à une table libre et passions commande. Soudainement, une vieille dame cachée sous la table surgit. La scène était sordide ! La femme âgée avait des dents verdâtres en mauvais état. Ses cheveux poivre et sel grouillaient de larves de mouches. Une nécrose faisait tomber ses seins en lambeaux de chair rongés par des vers. Ses bras et jambes étaient des branches de bois sèches et mortes. Avec ses membres boisés et moisis, elle scalpa d'un coup vif le vêtement et le torse de mon compagnon. Des gerbes de sang et du derme atterrirent dans les assiettes pendant que des bouts de tétons volèrent vers les verres posés sur la table.

     Dans le restaurant, un enfant était gelé par la peur de la scène, il pointait un doigt maigre vers la vieille dame. Le ventre du garçonnet était recouvert par un large bandage d'hôpital. Près de lui, un médecin étrange désignait lui aussi la dame du doigt en disant : " on a essayé de soigner son cerveau avec de la gélatine ! "

     Bien que je me mis à fuir le sommeil, le mauvais rêve ne me lâcha pas et se développa en moi. Selon vous, rien de surnaturel, peut-être un peu loufoque et sordide mais rien de plus. Pourtant, il n'y a rien de plus paranormal et flippant que de voir ses proches hanter inlassablement ses songes. Et quand la fiction devient réalité, nous n'avons plus qu'à angoisser si les choses se réalisaient.

     Ce cauchemar crocheta carrément ses crocs sur ma carcasse. Cabinet castrateur cadenassé. Cécilia c'est cette chose "

     De vous à moi, je précise les choses : Cécilia est le prénom de ma grand-mère. Le cabinet castrateur : le lieu de ses futurs rendez-vous médicaux. " Cécilia c'est cette chose ": mon Dieu, je vous ai vraiment dit ça ? Je vous parle en des termes abstraits pour fuir ma réalité car ma chère grand-mère Cécilia rejoignait de plus en plus mes mauvais rêves. Elle se substituait à la vieille dame aux jambes et bras décharnés. Elle devenait elle. Elle. Était. Elle. Progressivement, ses bras devinrent normaux, si ce n'est anormalement maigres. Le bandage du garçon du cauchemar, fut le bandage de la vieille dame - de ma grand-mère - . Il couvrait sa poitrine pourrissante et ensanglantée. Le garçon n'en était pas un. Le garçon était une fille et la fille ... La fille était moi. Et comme les éléments horrifiques vont toujours pas trois, le psychiatre disait : " on a essayé de soigner sa poitrine avec de la gélatine ! "

     Les analystes vous disent que les rêves sont surtout des condensés de vos journées passées. Sans préciser que les jours passés peuvent être des journées futures et qu'un condensé, pour eux, est une réalité. Vous vouliez de l'épouvante ? Je cauchemardais chaque nuit l'état médical de ma propre grand-mère. Sauf que ce n'était peut-être pas un cauchemar.

     Le clou du show de l'horreur arrive ! Un jour, elle nous invita. Je dus me pincer pour vérifier que j'étais bien éveillée car elle nous donna rendez-vous dans une cafétéria près d'une autoroute. Presque tout le monde y commanda des burgers. Sauf moi, je ne mangeais pas : j'avais l'estomac noué.

     A la fin du repas, j'ignorais le laïus du serveur qui vantait la qualité de son dessert à la gélatine auprès de ma famille. Je ne pensais pas à la nourriture et n'avais envie que d'une chose : arracher ma grand-mère aux griffes du cauchemar qui était devenu notre réalité. Elle nous apprenait - en essayant d'être la moins larmoyante possible - qu'elle était en stade terminal du cancer du sein. Inopérable et aucune chance de se soigner même avec le meilleur traitement. Fidèle à elle-même elle tentait de nous ménager : elle avait déjà bien vécu et n'avait pas peur de la mort. Moi, oui. J'avais peur de sa mort, de mes cauchemars et aurais adoré dessiner en rêve le meilleur des mondes possibles pour elle !

     Elle s'épuisa à parler durant de longues minutes. Pendant que moi, je la scrutais : elle avait perdu beaucoup de poids et il est possible que ce soit ce paramètre qui m'ait mis la puce à l'oreille. Son cancer, je le savais déjà sans même me l'avouer .... Je commençais à me berner et me mentir à moi-même. Car encore une fois, de vous à moi, je savais que j'avais fait une série de mauvais rêves prémonitoires. Je ne dirais pas à quel point le cauchemar peut rejoindre bien souvent la réalité : cette réplique est commune au possible. Et vous vous doutez bien que son état empira. Par pudeur et par respect je n'en dirais pas plus. Sûrement en ai-je déjà trop dit ...

     Tout ce que je peux vous conseiller est de surveiller tous vos songes, vos songes les plus fous. C'est parce qu'ils sont mystérieux, mais lumineux, que les chiches lumières peuvent éclairer vos ténébreuses craintes.

mercredi 27 novembre 2019

L'égout Rattenwater



Connaissez-vous l'histoire autour de l'égout Rattenwater ? Non ? Rien d'étonnant. La plupart des férus d'horreur ne jurent que par l'existence des catacombes de Paris. Un tas de Creepypastas circulent autour de ces lieux. Toutes plus atroces les unes que les autres. Mais ce ne sont que des légendes urbaines. N'est-ce-pas ?


     

     Connaissez-vous l'histoire autour de l'égout Rattenwater ? Non ? Rien d'étonnant. La plupart des férus d'horreur ne jurent que par l'existence des catacombes de Paris. Un tas de Creepypastas circulent autour de ces lieux. Toutes plus atroces les unes que les autres. Mais ce ne sont que des légendes urbaines. N'est-ce-pas ? L'égout échappe à ces épouvantables élucubrations. Même si un de ces couloirs a un accès direct au cœur des abîmes parisiens, l'endroit est sain. J'en suis certain.

     Dans ma ville, les crédules parlent de l'égout en ces termes : " Labyrinthe sans fin. Eau saumâtre. Poisseuse. Qui semble vous engloutir pour ne jamais vous laisser échapper. " Je suis d'un naturel intrépide, stupide, inconscient. Appelez ça comme vous voulez, mais pour Halloween je veux juste visiter ces lieux et les filmer. Après tout, le grand frisson n'est-ce donc pas ce que nous recherchons tous ? Le soir venu, je m'approche avec mon attirail. Lampe torche, téléphone portable et caméra légère dans mon sac à dos. Mais pas mes lunettes de plongée. Je ne plaisante qu'à moitié : " vous allez devoir nager, encore et encore" disaient-ils. Aucun problème : le papillon n'a aucun secret pour moi, même sans ces lunettes.

     La plaque d'égout est d'un verdâtre poisseux, totalement agglutinée dans son orifice. Je m'échine à la dégager dans une avalanche de bruits de succions dégoutants. Je saute alors vers l'inconnu dans un antre sombre presque sans fond. Je tombe les quatre fers en l'air en un craquement atroce. Immobilité et douleur momentanées. Dans mon malheur j'ai de la chance, mon dos est endolori mais indemne : mon sac à dos a amorti la chute. Mes affaires et ma caméra sont désormais inutilisables. Je ne peux plus filmer mon aventure. L'eau noirâtre et agitée m'arrive jusqu'à la taille. J'avance à tâtons pendant plusieurs mètres. Mes pieds dérapent. Bien que je sois chaussé de mes meilleures baskets, elles n'ont aucune adhérence. À chaque pas, mes jambes heurtent des corps mous et visqueux qui semblent se désintégrer. Je suis au comble de l'horreur : bientôt je n'ai plus pied. Alors dans cette eau vaseuse et trouble, je dois nager. Cela doit faire une heure ou deux que j'évolue dans ce dédale dégoûtant. Je suis perdu et épuisé. Je commence à me noyer dans tout cet espace. Le temps file sans que je ne le sache. Ma montre est cassée. Je n'ai alors même plus d'espace-temps. Autour de moi, l'odeur est de plus en plus pestilentielle, peut-être provient-elle de ces choses flottantes. Des...

Couic. 

Couic. 

Couic.


     Les cris sont de plus en plus nombreux et correspondent aux couinements excités des rats qui envahissent le couloir de l'égout. Ils sont peut-être une bonne centaine. Ils sont hideux. Certains ont des oreilles déchiquetées : signes de luttes acharnées entre eux. La plupart, ont des touffes de poils manquantes : la gale. Et leurs tailles, mais leurs tailles ! Même de là où je suis, j'arrive à les voir. Ils s' apparentent plus à des ragondins qu'à des simples rats.

     Je suis libre de nager le crawl rapide pour sauver ma peau. Inutile : les rongeurs sont d'excellents nageurs, bien plus que moi. Et eux aussi ont leurs propres instincts de survies : la faim démesurée. Je nage. En vain. Mes mouvements de jambes sont rapides. Rapidement meurtris. Tous ces couics, couics, couics crissent déjà dans mes oreilles. À l'arrière des incisives animales se cachent des langues gluantes et immenses. Je les sens. Elles sont anormales et râpent les lobes de mes oreilles. Les dents des rongeurs me cisèlent. Néanmoins, au delà de la douleur, je ressens toujours cette même langue qui ergote les mots. Peut-être qu'en plus de ne plus avoir pied, je perds déjà la tête, mais je suis persuadé d'entendre un jargon humain parmi les bruits bestiaux.

     Enfin, un autre son a lieu et précipite la fin de mon malheur. Comme un rappel, un énorme Boum fait rassembler la horde de ragondins en deux rangs distincts. Je ne suis plus dévoré, mais mon répit est de courte durée. Quand on croit le comble de l'horreur atteint, elle nous attrape et nous entraîne dans ses tréfonds. L'ouvrière de l'horreur apparaît devant moi. Elle porte un ersatz de pantalon bleu sanglant, déchiqueté aux genoux. Je parle de genoux, mais ses jambes n'ont plus aucun caractère humain. Elles sont bizarrement courbées, puissantes, couvertes d'un poil touffu et gris. Aux extrémités des doigts, d'immenses griffes mi-terreuses, mi-verdâtres. Campée sur ces pattes arrières, la créature hybride se déplace vers moi en sauts lourds.

     Je voudrais quitter cet enfer, mais mes propres jambes sont immobilisées par une douleur pulsante. Horrifié, je tente de vérifier le bas de mon corps. Mais tout ce que j'aperçois est un appendice qui traîne jusqu'au sol. Une queue de rat atroce d'une trentaine de centimètres. Le nouveau prolongement de ma colonne vertébrale est ensanglanté et piqueté d'un duvet gris.

     Le monstre avance vers moi en dodelinant le haut de son corps. Un organisme improbable fait de cellules humaines et animales. Le torse est bosselé de cratères de sangs coagulés, de dermes humains creusés et de vallées grises velues. Couic. Vite. Couic. Les vocalises stridentes viennent de la tête du rongeur humain. Mais quelle foutue tête ! Même l'amas poilu ne parvient à cacher l'atrocité des détails. Les yeux maquillés ont encore ce beau bleu lavande, mais ils sont perdus au milieu d'hideux attributs. Des lambeaux de chair pendent encore ici et là. Les oreilles sont charcutées, réduites à des trous sombres. Le museau long et hirsute, se finit par les narines roses d'un humain. Les lèvres féminines et pulpeuses cernent les incisives jaunes. La bouche forme bientôt des paroles claires : "Couic, tu seras organique. Couic, l'instant sera magique. Couic, nous nous unirons en un acte érotique."

     À mesure que la ratte humaine approche avec une allure qui se voudrait séduisante, mon corps compulse encore et encore. Je hurle. Ma peur épouse ma souffrance. La ratte avale mes dernières pensées et mes ultimes cris. Au sein de l'égout, dans un concert de Vite et de Couics, l'eau - et tout ce qui dégouline - transcendent tout.

     Connaissez-vous l'histoire de l'égout Rattenwater ? Toujours pas ? Vous devriez... Poussés par quelques rumeurs, des Youtubeurs vont dans ce lieu tout proche : les Catacombes de Paris pour des explorations urbaines. Certains ont peur de l'eau vivace avec les risques de noyade que cela implique. Alors que d'autres sont perturbés par les bruits inqualifiables. Mais ils ignorent que les réels dangers sont les rats venant de l'égout Rattenwater. Des rats, d'un autre genre ...