vendredi 16 juin 2023

 The Virtual Holiday Corporation


The Virtual Holiday Corporation

     L'eau de l'océan était la plus miroitante et pure possible. Les massifs montagneux proposaient les plus belles vues. Le paysage bucolique invitait à la méditation et longues promenades.

     Ignorer ma cliente était impoli. Pourtant, mon regard était irrésistiblement attiré par l'écran de mon téléphone portable. La cause était une simple invitation à un groupe privé sur Facebook qui promettait monts et merveilles. Une agence de vacances virtuelles proposait le voyage de toute une vie, une expérience inoubliable. Les photographies étaient incroyables. Ma cliente tapa du pied pour récupérer toute mon attention. En tant qu'architecte d'intérieur pour une clientèle aisée, j'avais l'habitude des attitudes capricieuses. J'assurais avoir pris note des demandes de décoration de ma cliente et la congédia. Ma journée prenait fin et j'allais devoir rentrer pour affronter les caractères invivables de mes deux jumelles. Au volant, je conduisais le plus lentement possible pour repousser l'échéance.

     Hector, mon mari était déjà rentré, mais comme à son habitude il avait l'attention focalisée sur l'écran de son ordinateur professionnel. Il était carriériste, respirait et pensait "travail". Je n'arrivais même pas à me souvenir de nos dernières vacances. De nouveau, je rêvai à des vacances paradisiaques et décidai de lui parler des voyages virtuels. Il soupira et répondit que tout ce qui était virtuel ne servait qu'à brouiller notre perception entre la réalité et la fiction. Il cita des exemples bidons et ponctua son avis en répondant que si j'avais besoin de vacances, je pouvais toujours y aller seule.

     Des paysages paradisiaques tournèrent dans ma tête durant toute la soirée. Mes deux filles : Stella et Alicia alternèrent entre caprices, crises de colère et chamailleries. Hector intervint une fois puis, monta se réfugier dans son bureau. J'aimais ma famille mais, force est de constater que mon couple battait de l'aile et que la vie de mère avec des enfants ingérables me pesait beaucoup trop.

     Il était 23H00. Les enfants étaient couchés depuis une heure et avaient arrêté de semer la pagaille depuis vingt minutes. Je me connectais aux réseaux sociaux. Les photos de cette agence de vacances virtuelles me narguaient. Je cherchais davantage de renseignements.

     " Vous avez envie d'évasion ? Vous êtes coincé entre vos horaires de bureau et la routine familiale ? Vous raffolez de destinations uniques et d'expériences insolites ? Vous jugez impossible un Tour du Monde en sept jours ? Les voyages virtuels proposés par " The Virtual Holiday Corporation " sont faits pour vous. Fermez les yeux. Imaginez l'eau turquoise des Maldives qui berce votre corps. Admirez la vue du sommet du Mont Everest. Visitez la muraille de Chine. Partez en vacances virtuelles avec " The Virtual Holiday Corporation ". Goûtez le Paradis sur Terre. Vivez l'expérience de votre vie. "

     Le système de réalité virtuelle assurait de voyager dans les plus beaux endroits en une semaine. Une semaine dans la réalité correspondait à une éternité dans leurs mondes virtuels. C'était exactement ce qu'il me fallait. Blasée par mon job, épuisée par mes enfants ; j'étais en plein burnout. Je voulais cette liberté d'aller où je veux pendant plusieurs jours. J'avais envie de voir des paysages de rêve. Je souhaitais plus que tout me retrouver.

     Le bouton : " RÉSERVEZ MAINTENANT " clignotait agressivement de plus en plus vite jusqu'à imprimer ma rétine. Il y avait une disponibilité pour un départ dès ce soir... Les locaux de " The Virtual Holiday Corporation " était dans une zone reculée de ma ville. En voiture, je pouvais y être en moins de dix minutes. J'étais à une dizaine de minutes du voyage de ma vie. Je n'avais même pas de valise à préparer. La seule obligation était de ne pas indiquer à sa famille le choix de ces vacances virtuelles. Il était formellement interdit de dire où nous allions. Étrange. Peu importe... Le coût des vacances n'était pas clair et dépendait essentiellement des options. Il fallait enregistrer sa carte bancaire auprès de l'agence pour le prélèvement... Étrange. Peu importe...

     Je finalisais ma réservation. L'agence de réalité virtuelle promettait de sortir de cette expérience transformée. Aucun de mes proches ne me reconnaîtra. J'étais impatiente.


     J'étais tout près de mon lieu de villégiature. Je conduisais prudemment avec des images de destinations de rêve plein la tête. Je sentais le soleil réchauffer ma peau. Je ... Une vieille dame se jeta sur mon véhicule. Je sursautai. Son visage me fixait à travers le pare-brise. Elle avait une hygiène douteuse. Ses dents jaunies étaient cassées. Ses cheveux étaient sales et emmêlés. Sous la crasse, elle était d'une pâleur cadavérique. Elle affichait un air dément qui me glaça d'effroi. Elle grogna et se mit à escalader le pare-choc avant. Elle colla davantage son visage démentiel au pare-brise. Je klaxonnai. Elle caressa le pare-brise et lécha les balais essuie-glaces. Étrange. Peu importe... Je manœuvrai en marche arrière si vite que la vieille tomba sur la route. Je conduisis en marche avant, la contournai et l'abandonnai derrière moi. Le malaise commença à me gagner.

     L'agence de réalité virtuelle n'était pas ce à quoi je m'attendais. Elle était perdue au milieu d'une zone abandonnée. Elle était implantée dans une usine désaffectée. Méfiante, je garai néanmoins ma berline sur le parking. Les autres véhicules étaient des BMW et des Porsche. Ils étaient mal entretenus et poussiéreux

     J'étais de moins en moins rassurée. Mais, j'ai pensé aux cris de mes enfants, à l'indifférence de mon mari et ai pénétré dans l'usine désaffectée. L'agence était incroyable. Elle était propre. La décoration était minimaliste et épurée. L'ambiance respirait la technologie et la modernité. Beaucoup de bureaux étaient inoccupés et vides. Les locaux étaient calmes. Étrange. Peu importe... Je frappais à la porte du bureau où je devais être accueillie.

     Une voix me proposa d'entrer. Personne ne m'accueillit. Nul ne vérifia mon identité. Le bureau était une pièce entièrement vide. La voix robotique était diffusée par des haut-parleurs. Elle dit : "Bienvenue pour les vacances de toute une vie. Vous êtes attendue salle 66. " J'étais mal à l'aise, mais suivis les indications. Je traversai un dédale de couloirs gris métallisé. Je n'y croisai absolument personne. Mon malaise s'intensifiait. Par endroits, je sentais un vague relent de produits chimiques.

     La salle 66 ne comportait pas beaucoup de mobilier. Un fauteuil inclinable protégé d'une alèse jetable blanche (comme chez le dentiste) trônait au centre de la pièce. A côté, il y avait un bureau en acier avec un ordinateur portable et un casque de réalité virtuelle. Une minute passa. La voix robotique dit :" Vous pouvez prendre place sur le fauteuil. " Vraiment ? Personne n'allait m'accueillir pour m'expliquer le déroulement ?

     "  Je...

     - Êtes-vous tendue ?

     - J'ai des questions, hors je n'ai vu personne. J'espérais croiser une secrétaire ou au moins une assistante.

     - Pourquoi ? Vous êtes en sécurité. Détendez-vous." La voix robotique devint humaine, suave, invitante et envoûtante. Elle s'accompagna du chant de mouettes et du doux ressac des vagues. "  Vous allez prendre le casque de réalité virtuelle. " Mécaniquement, j'obéis. "  Vous allez prendre place sur le fauteuil. " Mes pieds me conduisirent vers le fauteuil où je m'allongeais. Mon fessier s'imbriqua dans un énorme trou parfaitement adapté à la forme des fesses.

     "  Vous allez entreprendre le dernier voyage de votre vie. Vous en sortirez transformée. Votre vie sera à tout jamais changée. Hector, Stella et Alicia ... Votre famille ne vous reconnaîtra pas.

     - Arrêtez ! Nonnnn ! Stoppp ! " Paniquée, je criais. Très fort. Aucun son ne franchit mes lèvres.

     Tandis que je perdais pied, des paysages paradisiaques envahirent ma tête. Eau turquoise des Maldives. Ascension du mont Everest. Visite des Merveilles du monde. Le paradis … ? Sur Terre ... ?


  

      J'ai vécu la plus intense expérience de ma vie. J'ai escaladé le Mont Hua. J'ai fait une longue randonnée. J'ai nagé dans la piscine du diable. J'ai fait de la plongée sous-marine au Triangle des Bermudes. J'ai caressé un banc de piranha à Bora-Bora. J'ai pris des bains de lave dans le volcan des portes de l'enfer. Je n'ai jamais envisagé que ça puisse être possible. Ça semblait réel. C'était réel. Le temps n'avait aucune prise. Me faisant perdre le fil des jours.

      Durant ces vacances ma famille m'a manqué. J'ai hâte de la revoir. Enfin ! Nous sommes réunis. J'enlace tendrement mon mari et l'emporte dans notre chambre. Nous avons trouvé un terrain d'entente. Moins de travail, plus de plaisir. Les jumelles grandissent et s'assagissent. Je n'ai jamais été aussi heureuse. Premiers petits-amis de mes filles. Premiers cours à la fac. Elles sont diplômées ! Premiers mariages. Je suis grand-mère. C'est extraordinaire ! Nous fêtons l'anniversaire de ... Un message clignotant en rouge se mit à bouleverser ma réalité. Puis une voix robotique dit : " Nous savons que vous avez apprécié votre long séjour. Nous avons aimé vous garder dans notre réalité et vous offrir votre tout dernier voyage. Votre expérience est terminée. Vous ne pourrez plus voyager avec nous.

      Je hurlais mon incompréhension. Très fort. Aucun son ne franchit mes lèvres.

      Je repris possession de mon corps. Je ne portais plus de casque de réalité virtuelle... Mes jambes étaient raides, mes muscles atrophiés. Une douleur pulsait sur mes bras qui étaient couverts de stigmates. Des traces de piqûres. Mon corps était marqué, faible et douloureux. Mes bijoux de luxe avaient été volés. Mes habits de marque avaient été remplacés par des fripes déchirées.

      Je fis tout pour maîtriser mes nerfs et commençai mon exploration. Sur le sol, il y avait des débris de verre qui ressemblaient à de vieilles seringues. L'atmosphère était différente. Tout était délabré et sale. Il y avait des toiles d'araignées par dizaines, des moutons de poussière par centaines, des bestioles que je n'arrivais pas à déterminer. La pièce était vide ; elle puait. La peinture des murs s'écaillait. L'équipement high-tech... L'ambiance moderne, propre, aseptisé... Rien n'était comme avant. Tout était laissé à l'abandon. J'avais été laissée à l'abandon.

      Pendant un long moment, je criais en appelant au secours. Ma voix était éraillée. C'était la voix de quelqu'un d'autre.

     " Vous n'êtes plus d'aucune utilité. Votre expérience est terminée. " : dit la voix robotique.       

     Paniquée, je l'interpellais. J'appelais à l'aide. Je criais encore et encore.

      Le silence me répondit. Plus de voix. Juste un silence assez vite percé par des couinements excités. Une horde de rongeurs. La seule autre présence vivante dans les locaux de mon calvaire. Je repérai mon sac à main abandonné dans un coin de la salle. Je courais pour le récupérer. Il fallait que je trouve de l'aide. Le cuir était rêche et cassant. Le sac était recouvert d'une épaisse couche de poussière. A l'intérieur, mes papiers d'identité, cartes de crédit et clés avaient disparu. Mon portable n'avait pas été subtilisé, mais il était hors d'usage. Alors que je continuais à fouiller l'intérieur de mon sac, une chose mordit ma peau. Je sortis prestement ma main. La pulpe de mon annulaire était ensanglantée. Un rat excité émergea. Me mordre une fois ne lui suffisait pas. Mon sang était à son goût. Je poussai un cri strident. Le rongeur détala. Un rat de laboratoire. Comme moi.

      Je tournai comme une détenue en cage. J'aperçus un seau rouillé. La puanteur venait de là. Des larves grouillaient à l'intérieur du seau. Sur des matières fécales. L'odeur de merde me souleva le cœur. Les sons organiques me dégoûtèrent. Les bruits spongieux. Les déplacements des larves. J'eus la nausée et vomis de la bile. Je dégobillai et pleurai.

      Je ne pouvais pas rester là plus longtemps. Je devais sortir d'ici. Il en allait de ma santé mentale. Je m'approchais de chaque mur et tâtai la moindre aspérité. Enfin, je trouvai un petit écran tactile. Mes doigts effleurèrent la surface. La voix robotisée dit : " Vous êtes identifiée. Numéro : 120 350. Vous pouvez sortir de la salle. " Un pan du mur remonta. Je vis l'entrée d'un tunnel aux parois en acier. J'entendis des sanglots et des cris d'aliénés. Peu importe. Je ne pouvais pas rester dans mon cachot. La peur au ventre, j'avançai.

      J'ai toujours été férue d'horreur. J'ai avalé des tas et des tas de reportages parlant d'hôpitaux psy et une multitude de films d'horreur. Mais tout ce que j'ai pu voir, ne pouvait me préparer à ça. Mon précédent cachot n'était rien en comparaison. Le couloir que j'empruntais ... C'était le couloir de la mort. Des cadavres jonchaient l'entrée. Il était impossible de passer sans écraser des membres putrides, des organes qui produisaient des sons écœurants et dégageaient une odeur de décomposition. Une dame vêtue de haillons dévorait une morte. Elle était agenouillée à côté d'une défunte. Elle arrachait de fins lambeaux de peau qu'elle aspirait goulûment comme des spaghettis. Sa bouche était croûtée par du sang séché. Une femme défilait avec des intestins pourris entourés autour de son cou. Elle paradait en s'imaginant fouler un podium. Beaucoup d'autres jonglaient avec des organes vitaux nécrosés en ricanant. Je cavalais à travers ses atrocités. Je tombais m'esquintant les genoux. Je me relevais puis cavalais de nouveau pour trouver une issue.

      La sortie du tunnel débouchait dans une ruelle. J'aurai dû être dans la zone d'entrepôts désaffectés. Près de " The Virtual Holiday Corporation. " La forme des bâtiments. La route. Les emplacements étaient identiques. J'étais dans la même rue. Pourtant, je ne reconnaissais rien. Des boutiques avec des façades futuristes à la place des épiceries. Des caméras de surveillance en remplacement des lampadaires. Des drones immenses de la " SECURITE " avec des revolvers miniatures. Des voitures étranges sans volant. Je cherchais ma berline. Au milieu de tous ces véhicules aux marques incongrues, mon Audi3 n'était plus là.

     A proximité, j'avisais un cybercafé. J'allais enfin être en terrain connu. Je me leurrais. Des robots et des bras mécanisés, reliés à des écrans, avaient remplacés les serveurs humains. Des affiches faisaient la promotion de cyberconcerts avec des hologrammes et des musiciens androïdes. J'étais soit en plein cauchemar, soit dans une autre dimension. Des ordinateurs étaient disponibles en libre accès. Certains avaient un mode de fonctionnement que je ne saisissais pas, mais d'autres étaient tels que je les connaissais. J'ouvris le moteur de recherche internet et tapai : " Hector Hatika ". Entre une multitude d'articles de presse, je dénichai l'adresse de mon mari. Il vivait toujours à Adre.

     Je sortis en trombe pour héler un taxi. Sauf, que tous les véhicules se ressemblaient. Carrosseries improbables. Voiture à une place, avec un ordinateur de bord qui avait remplacé la place du conducteur. Je repérai vite les automobiles sans passager. J'eus raison. Un taxi s'arrêta. Je pris place dans cette boite motorisée étriquée. Je claquai la portière. L'hologramme vert d'un robot surgit et dit : " Bienvenue. Vous êtes à bord du taxi immatriculé : (un bruit incompréhensible) . Énoncez votre destination. Un peu sonnée, j'annonçai quand même l'adresse. Le robot reprit : Vous serez facturée 146 ERTROB dans 24 Heures. " Alors que j'allais rétorquer une ceinture de sécurité se matérialisa et me bloqua sur le siège. Devant moi, un bras robotisé tenant une immense seringue sortit d'une minuscule trappe. La seringue injecta un minuscule objet métallique au creux de mon cou. Entre mes clavicules, je sentis une puce brûler et bousculer ma chair pour grandir au sein de mes cellules. J'ignorais ce que c'était. J'étais terrorisée.

      Une trappe immense de la taille du véhicule venait de s'ouvrir. Juste en-dessous. Le taxi descendit sous le bitume. Puis, la voiture fila à une vitesse affolante dans un tunnel sous la ville. Deux minutes après, le véhicule s'immobilisa. Une autre trappe s'ouvrit. Juste au-dessus. Le taxi remonta sur le bitume. Ma ceinture se détacha. Ma portière s'ouvrit. L'hologramme du conducteur disparut.

      Effarée, je sortis maladroitement de la voiture. La façade de la maison était constituée d'aluminium et de fenêtres aux vitres teintées. Ni potager, ni arbre, ni fleur pour embellir l'allée. Un lieu de vie sans âme aux antipodes de mon mari. Toutes les cellules de mon corps me hurlaient de fuir. Mais je frappais à la porte. Je ressassais ses yeux pétillants d'intelligence et sa vigueur naturelle. Je me souvenais de nos séances de running et de nos expériences culinaires dans des restaurants originaux.

      La porte s'ouvrit sur un homme. C'était lui. J'étais exaltée. Je sautais dans ses bras ... mais fus si brusquement repoussée que je tombais au sol. C'était lui. Sauf que ... son visage était froissé par la vieillesse. Alors que j'étais partie sept jours, il avait atteint la soixantaine. Mais c'était lui. Je ne m'étais trompée ni de maison, ni d'homme. C'était bien Hector qui me toisait avec un regard menaçant. Il me demanda méchamment ce que je foutais sur sa propriété. " C'est moi Céleste, ta femme. Je suis partie en vacances. Mais je n'aurai jamais dû y aller sans toi. Tu m'as tellement manqué." Je ne pus parler davantage, car Hector s'emporta. Il éructa. Il dit que ce que je faisais était une blague de mauvais goût  … que sa femme était partie du jour au lendemain. Sans affaire. Sans dire où elle allait. Hector était veuf. Sa femme était morte. Un agent de sécurité, d'une agence de voyage, lui avait appris le funeste accident. C'était il y a trente ans. Depuis, il était rongé par la tristesse et l'incompréhension.

      Suppliante, je me traînai à ses pieds : " Mais non, c'est moi. Je suis partie en vacances. Juste une petite semaine. Des vacances virtuelles. Une seule petite semaine. Mais je suis enfin revenue. Nous allons ressouder notre famille. Nous serons heureux. Les petites vont se marier. Je vais être grand-mère. Je l'ai vu. Hector ? ". Mon mari refusa d'écouter. Il proféra des menaces et claqua la porte.

     Je restai seule sur le pallier. Je berçai mon corps en fredonnant. Je coiffai mes cheveux sales et emmêlés. Je jouai avec mes dents déchaussées et jaunies ; beaucoup tombèrent. Je palpai la chair vieillissante de mes bras, les sillons de mes rides et mes articulations déformées par l'arthrose.

" Vacances. Je suis partie une semaine. Vacances. Je reviens juste de vacances virtuelles."

     C'est ce que je serine inlassablement aux robots en blanc qui m'embarquent dans un camion. Hector a prévenu les autorités. Des infirmiers androïdes m'ont mis une camisole high-tech métallisée avec un système impossible à déverrouiller. Je le sais, car maintes fois, j'ai essayé et ai été punie par des décharges électriques.

      Je suis internée dans un hôpital. Dans un service à mi-chemin entre la psychiatrie et la gériatrie. Je suis nourrie par des bras robotisés. Ils émergent via des trappes incrustées dans les murs de mon cachot. Deux fois par jour, ils m'injectent un sérum nourrissant. Étrange. Peu importe... Mes bras sont enlaidis par d'innombrables traces de piqûre. Quand je me comporte bien, j'ai droit à une promenade. J'y croise des femmes vieilles et d'une telle pâleur qu'elles n'ont pas dû voir la lumière du jour pendant des années. Elles ont perdu leurs jeunesses, leurs fortunes, leurs familles et leurs identités au sein de la société. Étrange. Peu importe... Je suis au Paradis. Sur Terre. Bientôt...


Je pars en vacances.