samedi 23 décembre 2023

 

 Tales Of The Krampus


Tales Of The Krampus

 

      La monstruosité secoua la tête en riant. Elle arborait une crinière noire emmêlée. Son corps était couvert de poils noirs drus. Au sommet de sa tête, des cornes de bélier ensanglantées se dressaient. Elle darda une immense langue de serpent. Ses yeux de reptiliens étaient d’un rouge profond et hypnotique. L’horreur lécha la peau de la petite fille terrorisée. Elle arracha des morceaux de vêtement mêlés à des lambeaux de chair. « As-tu la moindre idée du sort que je réserve aux enfants insupportables ? ». La terreur emporta l’enfant hurlant dans le bas monde, là où toutes les autres âmes perdues l’attendaient. L’épouvante était à son paroxysme car…


     « Vanished when I saw your face

All I can say is, it was enchanting to meet you » 

 

     Brusquement, Stephen chuta de son monde, où monstruosité et atrocité régnaient en maître, pour atterrir dans le monde de paillettes et princesses. Il reposa brutalement la bande dessinée « Tales Of The Krampus » sur son lit. Dans la chambre voisine à la sienne, Taylor Swift continuait à fredonner, à son Roméo imaginaire, son plaisir de l’avoir rencontré. Hanna, son insupportable petite sœur, était devenue une Swiftie. Elle avait délaissé l’univers aseptisé de la K-Pop, pour s’immerger dans le monde, tout aussi fade de la Pop. Elle écoutait en boucle les chansons mielleuses de son idole : Taylor Swift. 


     Il faudrait un miracle pour que Hanna écoute de la vraie musique et soit transportée par les sons grinçants  du métal. Un miracle ou une barre de fer enfoncée qui transpercerait sa tête, entrant par une oreille, sortant par l’autre. À cette pensée, Stephen pouffa de rire. Il tenta de replonger dans l’univers gore de sa BD préférée. Il s’était à peine repu de l’ambiance malsaine d’une planche, que sa petite sœur switcha vers une activité encore plus atroce que la précédente : martyriser sa guitare. Elle entonna le premier couplet d’un hit mièvre à souhait composé par… Taylor Swift. Qui d'autre ? Stephen grimaça. Il enfonça sa tête sous l’oreiller. Et, comme cela ne suffisait pas pour atténuer le chant désastreux de Hanna, il mit les écouteurs de son iPod sur les oreilles. Du métal. Au volume maximum.


     Stephen s’endormit avec le concert de guitares électriques déchaînées. Avant d’aller vers le sombre pays des rêves, il pria Dieu, Satan, le Père Noël, la marmotte avec son foutu chocolat, le Krampus, et d’autres instances supérieures, d’emporter sa sœur vers un autre monde. Au beau milieu de la nuit, il se réveilla en sursaut. Un boucan de tous les diables venait de la chambre de sa sœur. Rien à voir avec les chansons abominables qu’elle écoutait habituellement. Mais un grondement bestial. Un bruit de grattement. Des sons d’os brisés. Que Diable faisait-elle ?


     Stephen sortit de son lit. Il se munit d’une lampe torche et de son inséparable : sa fameuse bande dessinée préférée qu’il emportait partout avec lui. Sur la pointe des pieds, il quitta sa chambre pour rejoindre celle de sa sœur. La porte était entrouverte. La chambre était sens dessus dessous. Les tiroirs étaient renversés. Les draps du lit dégoulinaient de sang. Une monstruosité était dos à lui. Elle était démesurée. Une odeur de soufre se dégageait de son corps couvert de poils noirs drus. Stephen avisa les cornes de bélier ensanglantées. La queue du Diable touffue. La même créature horrible que celle de sa BD. Le Krampus.



     Le vilain croque-mitaine imaginé pour terroriser les enfants à l’approche de Noël se tenait devant lui. Stephen se frotta les yeux. Et s’il dormait encore ? Les affreux monstres n’existaient que dans les fictions. De plus, l’enfant avait l’habitude de faire des rêves éveillés où il pouvait se promener et agir à sa guise. Les plus grands artistes faisaient ce genre de songes éveillés. C’est là que les créateurs de l’épouvante puisaient leurs idées. Plus tard, Stephen serait le plus grand maître de l’horreur. Mais en attendant, il guignait sa sœur effrayée. Elle était suspendue par le pied. La main difforme du Krampus, tenait fermement la cheville d’Hanna. Le pied de sa sœur était déformé. Sa jambe était couverte de plaies et d’ecchymoses. Du sang dégoulinait de son cuir chevelu. Des gouttes d’hémoglobine arrosaient le sol. 


     Comme dans « Tales Of The Krampus » , le monstre demanda à la petite fille terrorisée : « As-tu la moindre idée du sort que je réserve aux enfants insupportables ? ». Stephen soupira de soulagement. C’était un rêve. Lentement, le Krampus se tourna vers Stephen. Le regard bestial de l’infamie croisa le regard émerveillé de Stephen. Son imagination avait représenté une atrocité d’une monstruosité sans égal. Il bavait du sang. Il poussait des grondements effrayants. Stephen souffla d’admiration. Il était  un génie en herbe avec un imaginaire délirant. Tout n’était qu’imagination et illusion. Il referma la porte de son songe, où sa sœur agonisante était livrée à son triste sort. 


     Le lendemain, le petit fut réveillé par des cris perçants. Dans le couloir, sa mère murmurait le prénom de sa sœur comme une incantation. Hanna avait disparu. L’odorat sur-développé de Stephen perçut l’odeur de soufre. L’œil de lynx aperçut des gouttes de sang, et une infime partie de la chevelure scalpée sur la moquette. 


     Stephen tut ce qu’il avait vu. Il garda pour lui la scène horrifique avec le Krampus. De toute façon, ce n’était qu’un rêve… N’est-ce pas ? Il encadra la première de couverture de « Tales of The Krampus » et l’accrocha au mur. Il n’entendit plus jamais miauler Taylor Swift ; comble du bonheur, il ne revit plus jamais sa sœur.



 

samedi 16 décembre 2023

 Coup du Sort à Noël


Coup du Sort à Noël


     Dans la ville de Pluckley, le vent et la neige se déchaînaient. Macee Waterhouse bravait le froid hivernal pour chercher son cadeau de Noël. La brise emportait des "We Wish You A Merry Christmas" et des éclats de rire enfantins. La jeune femme fut étonnée. Elle se savait haïe et crainte par tout le village. Habituellement, les petits s'amusaient à venir couper les fleurs de ses rosiers. Chaque année, ils prenaient plaisir à saccager les décorations de Noël à l'extérieur. Mais cette fois, ils avaient déposé un présent pour elle au pied de son sapin. Macee Waterhouse apprécia les abords de son château enseveli sous la neige, avant de rejoindre la chaleur de sa demeure.

     Au sein de la demeure Waterhouse, il n'y avait aucun ornement festif. Macee s'installa confortablement dans son rocking-chair pour ouvrir son cadeau. En palpant son présent, elle le trouva étrangement mou. Lorsqu'elle arracha le dernier lambeau de papier cadeau, elle comprit pourquoi. Son chat Ceecee était son offrande. Il avait été sacrifié. Probablement par les gamins du village qui chantaient et riaient, il y a quelques minutes, à l'extérieur. Le félin avait une bûche de bois enfoncée dans la gueule béante. Les yeux de la pauvre bête étaient exorbités. Le ventre de l'animal était scarifié. Macee y lut cette sardonique inscription : "Joyeux Noël"

     Au prix d'un grand effort, Macee parvint à retirer la bûche. Dans le même laps de temps, elle pleura de dépit. Rien ne pouvait justifier la cruauté animale en raison d'une haine portée contre un individu. Macee marmonna des paroles jadis prononcées. Des mots depuis longtemps oubliés. En murmurant le dialecte propre à sa langue morte, elle caressa inlassablement la dépouille de Ceecee. Quand elle flatta le creux du cou, elle sentit... un léger enflement. Lorsqu'elle tendit l'oreille, elle entendit... un étrange miaulement. Ceecee, le félin défunt revint à la vie. Il lécha la main bienfaitrice qui n'était pas étrangère à sa résurrection. Puis, après son remerciement, il sauta sur ses pattes. Au lieu de retomber gracieusement, il se vautra sur le sol. Il tourna son regard mort vers sa maîtresse. De nouveau, il miaula d'une bien étrange façon. Il quitta la pièce avec une démarche saccadée et zigzagante.

     Un chat zombie. Un échec. Ce n'était pas la première fois que Macee s'essayait à un sortilège de ce niveau. Bien souvent, elle réussissait. Elle avait ramené à la vie un amant. Mais bien qu'il ne soit pas ressuscité en état de zombie, il était revenu d'entre les morts avec de très piètres performances sexuelles. Lassée, Macee n'avait pas tardé à le renvoyer pourrir sous Terre. Elle avait un pouvoir de vie ou de mort. Et elle en profitait. Macee Waterhouse était la descendante d'une longue lignée de sorcières. Elle jouissait de facultés ésotériques sans limite. Elle faisait la pluie et le beau temps depuis des temps immémoriaux. Elle était intemporelle. Évoluant depuis la nuit des temps, elle avait cessé de compter les années après avoir fêté les cent siècles. Une aura d'étrangeté planait autour d'elle. Elle déménageait souvent en laissant derrière elle un paquet de disparitions suspectes. Elle avait l'apparence d'une élégante jeune femme grâce à ses nombreux filtres, sacrifices et sortilèges. Mais au fond d'elle, bouillonnaient toute la méchanceté et laideur du monde.

     La sorcière s'approcha d'une fenêtre. Des décorations féériques illuminaient la ville. Les employés municipaux avaient dressé un sapin immense sur la place principale. Les ruelles étaient éclairées d'illuminations incroyables : des guirlandes lumineuses, des rennes clignotants... Le paysage était magnifié par ces festives embellies. Sauf, aux environs de son illustre château. Macee Waterhouse sentit une chaleur naître aux paumes de ses mains. Seuls les alentours de sa demeure étaient plongés dans l'obscurité ; faisant paraître les lieux pour plus lugubres qu'ils n'étaient. Il n'y avait pas le moindre lampadaire installé à proximité. Les extrémités des doigts de Macee s'enflammèrent. Les techniciens de la ville refusaient de s'aventurer près de chez elle. Le derme de Macee flamba de plus en plus. Des femmes crachaient sur le sol et faisaient le signe de croix quand elles la croisaient. Macee Watehouse bouillait de plus en plus de rage. Plus elle ressassait les messes basses, regards en coin, détritus balancés à sa porte, insultes lancés en pleine figure, plus sa colère arrivait à son paroxysme. Et quand la sorcière se remémora le massacre de son chat, une boule de feu naquit dans ses mains. Elle balança la sphère d’énergie sur un mur. La toile "Pandora" brûla. L’œuvre d'Art, peinte par son fils John William Waterhouse, se consuma comme les méandres de la raison de Macee. La diabolique ensorceleuse maîtrisait tous les éléments. Mais était-ce une raison pour détruire ses biens ? Sa colère devait être tournée vers le village entier. La mauvaise lanceuse de sort cracha : "Vous voulez une bonne raison de craindre une sorcière ? Vous voulez goûter à ma vision de la magie de Noël ? Vous voulez vivre un coup du sort ?"

     Macce Waterhouse ricana. D'un pas furieux, elle traversa une partie de sa demeure. Elle alla de passages secrets en passages secrets. Elle cavala de pièces macabres en pièces macabres. Au bout de dix minutes de déambulations, elle arriva dans une grande salle empreinte de magie et sorcellerie. Il y avait des étagères couvertes de poussière et de toiles d'araignée, des bocaux en verre, des fioles verdâtres et des grimoires sombres.

     Macee Waterhouse trouva un coin où rien ne traînait. Elle créa un cercle avec des cendres d'humains. Elle alluma d'obscures bougies en cérumen. Les mèches des chandelles avaient été prises sur une adorable petite fille blonde durant un soir d'Halloween. La surpuissante sorcière psalmodia :

"Magie de Noël Noire.

Créatures ténébreuses intemporelles.

Magie de Noël Sanglante.

Démons sanguinaires correctionnels.

Déchainez votre furie destructrice sur le monde.

Que la magie de Noël corrompe tous les éléments de pureté.

Que la magie de Noël inonde la ville de monstruosité.

Venez à moi.

Je vous l'ordonne.

"

     Le corps de la monstrueuse lanceuse de sort se tordit. Il s'arc-bouta. Elle hurla, et une gerbe noire sortit de sa bouche. Ses yeux pissèrent le sang. Des serpents ondulèrent dans sa chevelure noir de jais. Sa peau de porcelaine se fissura en écœurantes crevasses. Un effluve nauséabond prit tant d'importance qu'elle fut comme une seconde présence. Un tourbillon noir apparut. Le phénomène surnaturel prit de l'ampleur. Il brisa la lucarne de la salle de magie noire où Macee convulsait en vomissant des volutes sombres. Une brume envahit le village.

     Dans la ville de Pluckley, Noël devint la fête de l'Horreur. Les bonhommes de neige prirent vie. Ils enfoncèrent leurs carottes dans les oreilles des enfants qui jouaient encore dehors. Ils crevèrent leurs tympans. Ils empalèrent les gamins sur leurs balais. Ils gloussèrent en étranglant les mômes avec leurs écharpes. Les guirlandes lumineuses s'animèrent. Elles se tortillèrent et électrocutèrent plusieurs passants. Les infortunés agonisaient. Leurs corps convulsés étaient hissés au sommet du sapin de la place publique. Les anges de l'arbre de Noël leur arrachèrent les bras et les jambes. Dans la chaleur douillette des foyers, les biscuits de Noël en forme de petits bonhommes se rebellèrent. Ils étouffèrent vicieusement les gourmands qui les croquaient. Ces derniers toussèrent à n'en plus pouvoir. Ils peinèrent à respirer jusqu'à ce que mort s'ensuive. Les marrons chauds sautèrent au visage des épicuriens. Ils brûlèrent les visages au troisième degré. Les bûches incandescentes sortirent des cheminées. Elles incendièrent des maisons entières. Les familles, ligotées par les rubans des papiers cadeaux, ne pouvaient plus bouger. Elles n'avaient d'autres choix que de sentir la chaleur des flammes ravager leurs corps. Les rennes du Père Noël chassaient les fuyards. Les bêtes sanguinaires enfoncèrent leurs bois dans des hommes déjà meurtris. Les cadavres furent empalés aux poteaux garnis d'illuminations féeriques sanglantes. Les pères de famille qui préparaient leurs costumes du Père Noël pour divertir leurs progénitures devinrent des Krampus. Des démons hideux, avec des cornes bestiales et la queue du Diable, malmenèrent leurs femmes et garnements.

     La ville fut mise à feu et à sang. Dans toutes les petites rues, tout ne fut que terreur et désespoir. L'infernale sorcière suivie de son chat zombie exultait à la vue des incendies et dépouilles martyrisées. Elle bavait de plaisir et pleurer de rire... Des rivières sanguinolentes. Tel un petit poucet macabre, elle laissait derrière elle, non des miettes de pain pour retrouver son chemin, mais des gouttes de sang pour signer son œuvre. Macee Waterhouse se régalait du spectacle. Ah, la "Magie de Noël" ! C'était un orgasmique Coup du Sort. C'était une admirable vengeance. C'était à cela que devait ressembler Noël. Un bain d'hémoglobine. Et c'est à cela que cette nuit ressemblait dans toutes les villes qu'elle arpenta et... toutes celles qu'elle arpentera.

 Alors, si un jour, vous entendez parler de la "Magie de Noël" fuyez tant que vous le pouvez...

mardi 5 décembre 2023

      Le Père Noël est sale




     « Vous devez impérativement venir chercher votre enfant.
-C’est à quel sujet ? Candice va bien ?
-Rassurez-vous Barbara ! Votre fille est entre de bonnes mains. Il s’agit plutôt de… Eh bien… Pendant la récré, une de nos institutrices surveillait un groupe d’enfants turbulents. Vous savez ce que c’est à cet âge-là. Ils sont excités par la fête de Noël qui approche… Et puis…Car…  »

      Adossée au mur de la cuisine, Barbara Artkins écoutait d’une oreille distraite les propos incohérents. La mère de famille triturait nerveusement le fil du combiné téléphonique. Elle se mordit la lèvre jusqu’au sang. À la recherche de ses clés de voiture, elle ouvrit un tiroir. Elle fouilla frénétiquement et ne trouva rien d’autre qu’un journal dont la une titrait : « Dans la ville de Bessemer, un homme psychotique s’est évadé d’un asile. » Barbara soupira et perdit patience. Abruptement, elle coupa le verbiage incessant de la directrice : « S’il vous plaît, venez-en au fait.
-Bien. Des enfants ont disparu ce matin. Deux petites. Elles ont suivi un homme et sont montées dans une camionnette verte. L’individu, aperçu de très loin, portait un bien étrange accoutrement. Il tenait les élèves par la main. Insouciantes, elles sautillaient. Il y avait cet air de familiarité. À tel point, que nous pensions que les petites connaissaient l’individu. Sauf que ce n’est pas le cas…Nous entrons en vigilance rouge. S’il vous plaît, venez récupérer votre fille. »

      Le trousseau de clés accrocha le regard de Barbara. Il se balançait à un simple clou planté sur le mur. Il la narguait. Durant un long moment, les mouvements hypnotiques captèrent son attention. Tout comme un véhicule visible par la fenêtre. La mère de famille eut un hoquet de stupeur. Devant sa maison, était garée… une camionnette vert sapin.

      Saisie d’effroi, elle finit par lâcher le combiné du téléphone. Sa correspondante beuglait : « MADAME ARTKINS ! VOTRE FILLE EST INTROUVABLE !!! » Paniquée par la présence de la camionnette, Barbara n’écoutait plus. Elle laissa le combiné choir au bout du fil. Elle s’arma d’un couteau de boucher. Elle ouvrit discrètement la porte de la cuisine. Elle se dirigea vers le couloir menant à la porte d’entrée. Celle-ci n’était pas verrouillée. Et elle… s’ouvrit. Puis se referma. Des bruits de pas précipités résonnèrent.

      « Maman ! Maman ! Je suis rentrée !!! » Candice, une charmante blondinette, fit irruption dans la cuisine. Elle se rua vers sa mère, en état de choc. La jolie tête blonde surenchérit : « Tu ne devineras jamais qui j’ai croisé à l’École ! - La porte d’entrée s’ouvrit en un fracas retentissant. - Le Père Noël. Le vrai de vrai. C’est lui qui m’a raccompagné. - Un bruit de bottes se fit entendre. - Mais, je suis déçue. Maman ! Le Père Noël est saaaaale. Il ne sait pas manger. Si tu voyais ça, il a la barbe, pis son manteau, couveeeeert de sauce tomate. - Ho ! Ho ! Ho - C’est lui ! Il arrive ! »

      Devant la mère interdite qui serrait son enfant comme si sa vie en dépendait, la porte de la cuisine vola en éclats.
Un homme fit son entrée. Le Père Noël. Il était d’une saleté repoussante. Ses vêtements ne dégoulinaient pas de sauce tomate, mais de sang. Des résidus sanguinolents étaient mêlés à sa barbe. Il empestait la crasse et la sueur. Son regard était fou. Il balança sa hotte sur le sol. Des têtes d’enfants aux regards morts en sortirent. Elles roulèrent sur le sol jusqu’aux pieds de Barbara et Candice qui reculèrent en tremblant. Le macabre Père Noël ricana un « Joyeux Noël » , puis, se rua vers la mère et sa fille qui poussèrent des hurlements de terreur.

 

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vendredi 1 décembre 2023

 Le jeu du pendu (seconde partie)



Le jeu du pendu (seconde partie)


     La cafétéria était maussade. Les murs étaient peints en gris. Les tables et les chaises étaient en formica. La nourriture servie était insipide. L'ambiance était morose. À l'heure du midi, il n'était pas rare que les adolescentes cherchent une occupation pour s'extirper du quotidien du réfectoire. Lorsque Maddyson pénétra dans la salle de restauration, je sus que quelque chose de dramatique allait arriver. Elle semblait encore plus lasse et fatiguée qu'à l'accoutumée. Elle traînait le pas. Les lacets de ses bottines usées étaient défaits.


     Le pied peu assuré. L'autre pied instable. Les chevilles qui se déboitèrent. Le corps déséquilibré qui partit vers l'avant. Le plateau qui tomba au sol. Le verre et l'assiette qui se brisèrent. Maddyson atterrit tête la première au milieu des débris. Des éclats de rire fusèrent.


     En l'espace de quelques secondes, Maddyson était devenue la risée de la cafétéria. Sous la huée, les rires hystériques et les sifflements, elle se releva. Piteuse, elle frotta les restes de nourriture piégés dans ses cheveux. Lizbeth, une peste qui faisait la pluie et le beau temps, une teigne qui pourrissait la réputation de sa victime en un claquement de doigts, lança une pomme en direction de Maddyson. Celle-ci esquiva le fruit en exécutant un ersatz de pas de danse. Des filles se moquèrent. D'autres pommes, des œufs et des tomates furent envoyés vers Maddyson qui continua à éviter les projectiles dans une chorégraphie bizarre. Des filles tapèrent dans leurs mains, d'autres cognèrent sur les tables en rythme. Toujours des aliments lancés vers Maddyson. Encore cette danse improbable. Bientôt des "Danse, Maddyson. Danse Maddyson. Danse." Des rires excités. De la nourriture balancée. Une chorégraphie désespérée.


"SUFFIT !!!"


     Cette voix haut perchée anesthésia l'ambiance. La scène d'humiliation prit fin. Les filles se rangèrent en ligne droite et baissèrent honteusement la tête. La directrice du pensionnat, Katie Heartless, fit son entrée. L'inhumanité suintait par tous les pores de sa peau. Mrs Heartless n'était que sévérité, sadisme et méchanceté. Elle avait recours aux techniques les plus barbares pour imposer le calme. Ravie de voir la terreur chez les adolescentes, elle demanda d'un ton autoritaire : " Quelle est la responsable de ce raffut ?" . Personne n'osa répondre. "Bien. Vous l'aurez voulu." Katie sortit une règle en fer de sa poche. Elle avança vers la première fille de la file indienne et demanda avec un air mauvais : "Qui ?" . Tétanisée, l'adolescente questionnée continua à fixer le sol sans répondre. Mrs Heartless ordonna :"Montre-moi tes mains." L'adolescente tremblante obéit. La règle en fer vola très haut, pour ensuite, redescendre et viser les mains de l'enfant qui hurla. Durant une interminable minute, un concert de coups de règle et de cris d'agonie retentit. La directrice sadique arriva enfin au tour de Lizbeth. Elle avait toujours trouvé l'adolescente impertinente et n'avait jamais eu l'occasion de la punir comme il se doit. Aujourd'hui, elle allait lui faire ravaler publiquement son air de bravade. Elle allait la corriger devant tout le monde. Elle demanda : "Qui ? " Alors qu'elle levait la règle en fer le plus haut possible, une voix rauque l'interrompit : " Personne. " Mrs Heartless fronça les sourcils et suspendit son geste. Elle interrogea :"Que... Quoi ?"


     Une adolescente avança avec une extrême lenteur vers la directrice. Elle affichait un air déterminé. Sa démarche était hypnotique. Elle avait un air de défi immuable. C'était Maddyson. Elle arriva à hauteur de la directrice et répéta d'une voix éraillée : "Personne." Mrs Heartless trembla. La règle en fer tomba sur le sol. C'était la première fois que Maddyson parlait ; sa voix était effroyable. La directrice avait perdu sa superbe. Elle recula lorsque Maddyson fit un pas en avant. Paniquée, la directrice finit par rebrousser chemin et quitter la cafétéria. Maddyson, la personne la plus moquée du pensionnat, avait terrassé la redoutable Mrs Heartless.


     Il y eut un temps de flottement. Enfin, Lizbeth se rapprocha de Maddyson : " Cette vieille peau cherche la moindre occasion pour me tomber dessus. Tu aurais pu me balancer pour te venger, mais tu n'as rien fait. J'apprécie". Dans tout l'orphelinat, Lizbeth n'estimait que trois filles. Elle dédaignait et harcelait toutes les autres qui n'étaient pas dans son cercle d'amies. Aussi, quand Lizbeth tendit sa main vers Maddyson, le temps se figea. Lizbeth offrit à Maddyson un sourire sincère. Mielleuse, elle demanda : "Alors, Maddy ? Amies ?". Des ados frissonnèrent, d'autres arrêtèrent carrément de respirer. Maddyson pencha la tête sur le côté pour jauger la proposition. Autour d'elle, le silence régnait en maitre. Lentement, elle saisit la main tendue et répondit :"Amie." Le pacte avec le Diable était passé.


     L'amitié naissante entre Lizbeth et Maddyson fut l'évènement le plus étrange qu'il m'eut été donné de voir. La nouvelle relation était indestructible. Le duo était inséparable. Les deux êtres étaient devenus des chimères. Par un coup du sort, les jeunes filles se vouaient une admiration mutuelle sans borne. Un observateur naïf verrait là un bienheureux retournement de situation. Mais, ce revirement était tout bonnement flippant. Lizbeth se fondit en Maddyson. Elle ne s'exprimait que quand Maddy le lui permettait, en la paraphrasant la plupart du temps. Elle copiait toute sa gestuelle. Elle était trop serviable, à la limite de l'asservissement. Elle se coiffa et se vêtit comme Maddy qu'elle avait pourtant toujours considérée comme une pauvrette. Son apparence devint miteuse. Quant à son teint, il devint maladif. Des cernes prononcés envahirent son visage. Elle devint un squelette à la démarche aussi fantomatique que son acolyte. Le clou de l'horreur fut enfoncé quand elle prit systématiquement la défense de "Maddy". Elle perdit ses anciennes amies, allant jusqu'à se les mettre à dos. Pire que l'ombre d'elle-même, Lizbeth devint l'ombre de Maddyson.


     J'assistais à sa déchéance en spectatrice tout à fait passive. Bien que d'un naturel curieux, j'avais tendance à être discrète. Cela jouait en ma faveur. Je les épiais en douce. Impuissante, je voyais l'engeance de Maddyson et, de facto, la maltraitance que Lizbeth subissait. Une après-midi, j'eus un mauvais pressentiment et m'assis derrière elles en cours. Alors que je lisais la nouvelle "Alice, dans la Clinique aux Merveilles", je vis Maddyson se pencher vers Lizbeth. Elle proposa : "Veux-tu jouer à un jeu ?" L'espace d'une seconde, je fus pétrifiée. L'énigme ! Maddyson était-elle liée à la disparition de mes parents ? 

     Lizbeth répondit : "Oh ! Oui !!!". Maddyson ouvrit son vieux carnet noir. Une odeur épouvantable se répandit. Un relent de mort. Elle chercha une page où le papier ne s'effritait pas. Puis, elle esquissa avec grande aisance, une potence et sept traits. Une angoisse m'étreint en son sein. C'était le jeu du pendu. Mes parents y avaient-ils joué ? 

     Lizbeth, avala péniblement sa salive. Maddyson exigea : "Une lettre." Lizbeth respirait de plus en plus difficilement. Pourtant, elle joua le jeu : "L". Maddyson griffonna. Avec une voix de plus en plus faiblarde, Lizbeth tenta plusieurs autres lettres : "U" et "I" ensuite "M" après "O" pour finir par :"N". C'était sa dernière chance et elle avait perdu. Maddyson donna le dernier coup de crayon pour prononcer sa sentence. Sur une feuille de son étrange cahier noir, Maddyson avait reproduit une pendue. Un portrait saisissant de réalisme. La glaçante artiste se pencha derechef vers sa camarade et révéla d'une voix grinçante :"Tu as perdu. Le mot était... CADAVRE." Lizbeth sursauta. Elle se leva d'un coup sec. La chaise valsa sur le sol. Le boucan insupportable alerta Mrs Heartless qui donnait cours. Elle allait sermonner l'imprudente, mais quand elle croisa le regard de Maddyson, elle bégaya piteusement et revint à la leçon. La fin de journée revêtit un air de normalité. Lizbeth suivait aveuglément Maddyson. Quant à moi, j'étais perdue en plein cauchemar.


     À la tombée du jour, un bruit de couloir se répandit. Comme une brume angoissante, le prénom de Lizbeth fut tellement prononcé qu'il devint comme une entité évanescente. Ses anciennes amies dissertèrent sur l'éventualité de la "chercher". Je compris qu'elle avait vraiment disparu. Tout comme j'assimilais le fait que personne ne voulait vraiment partir en expédition pour la trouver. Les gardiens étaient en faction derrière les portes de chaque chambre. Sortir en douce était impossible et relevait de la pure folie. Les cellules d'isolement étaient un calvaire sans fin. Les ténèbres de la nuit furent propices au pire scénario catastrophe. Pourtant, personne ne chercha Lizbeth.


     À l'aube, un cri glaçant tira toutes les pensionnaires du lit. Certaines s'habillèrent à la hâte. D'autres sortirent en chemise de nuit. À l'extérieur, un vaste brouillard conférait une atmosphère lugubre. Au fond de la cour, une foule grossissait. Les curieuses jouèrent des coudes pour apercevoir la source de tant d'agitations. J'en fis partie. Sans savoir que la vision cauchemardesque me hanterait toute ma vie. Au pied d'un chêne, il y avait une scène traumatisante. Des matières organiques écœurantes tachaient les vêtements d'un corps famélique qui se balançait. La corde autour du cou était d'une couleur indéfinissable. La tête penchait davantage sur la droite. Le visage était bouffi et bleui. La langue violette dépassait des lèvres entrouvertes. Les yeux globuleux sortaient de leurs orbites. Les mains couvertes de stigmates pourrissaient déjà. Certains ongles étaient partiellement décollés. Le cadavre était dans un état épouvantable. Néanmoins, la morte était reconnaissable. C'était... Je tremble encore en y pensant. Lizbeth. Pendue à un chêne.


     Comme la défunte était, comme nous toutes, orpheline et que, de surcroît, le reste de sa famille se fichait de son existence, le pensionnat ne jugea pas utile de prévenir les autorités. Camoufler un décès semblait aisé et coutumier. Dans cette histoire, nul ne s'enquit de la disparition de Maddyson demeurée introuvable. Elle se morpha en croque mitaine afin d'effrayer les nouvelles venues. Elle devint une légende urbaine dont on se mit à douter de l'existence. Plusieurs mois après, Maddyson me hantait toujours. Des cauchemars me tourmentaient davantage. Des glyphes étranges me travaillaient : "V---#-- ----- - – --- #". Des songes affreux où je voyais mes parents terrifiés par Maddyson. Soucieuse de ma santé mentale, j'entrepris d'aller voir sa chambre restée en l'état. Nul ne voulut s'y aventurer, et pour cause, le malaise grandissait à mesure que l'ombre de sa porte s'esquissait. Dans sa chambre, je trouvai une malle poussiéreuse. L'ouvrir ne fut pas facile, mais au terme de grands efforts, j'y parvins. Je tombai sur une dizaine de carnets noirs antédiluviens. Des pages et des pages vieillies couvertes de symboles. Des croquis et des croquis troublants de réalisme. Des milliers et des milliers de cadavres dessinés. Je cherchai sans relâche le portrait de mes parents. En vain. A mesure que je pris connaissance de ces jeux du pendu démoniaque, mon corps se couvrit de frissons indescriptibles. Je fus persuadée d'une présence familière. Encore aujourd'hui, je suis convaincue d'avoir entendu une voix basse qui demandait :"Veux-tu jouer à un jeu ?" . Épouvantée, j'enterrai tous les obscurs carnets. Mes mauvais rêves les suivirent dans la tombe. Je finis mon adolescence à l'orphelinat avec l'espoir fou de revoir un jour mes parents. Ce fut peine perdue.


     Nul ne revit Maddyson. Le mystère de son existence s'opacifia au fil des années. Elle laissa derrière elle un macabre héritage. Un divertissement anodin qui flirte avec la mort. Un jeu durant lequel nous n'aimons pas perdre la face. Alors...


Veux-tu jouer à un jeu ?

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vendredi 24 novembre 2023

 

Le jeu du pendu (première partie)

 

Le jeu du pendu (première partie)
 

     J'aurais tant voulu commencer cette histoire par "Il était une fois" mais le récit qui va suivre n'a rien d'un conte de fées. Mon enfance, et une partie de mon adolescence, furent pourtant idylliques. J'étais riche à tous les niveaux. Appartenant à l'opulente famille Tiller, je parcourais le monde avec mes parents. Ils étaient des artistes talentueux et reconnus par leurs pairs. Leurs œuvres d'Art étaient exposées dans les plus grands musées du monde. Le Métropolitan Museum Of Art, le Musée national de Chine, Le British Museum, Le Musée du Louvre. Les États-Unis, le continent asiatique, les contrées anglo-saxonnes, l'Europe entière. À 15 ans, j'étais forte de la culture de chaque contrée. La gastronomie, le dialecte, la musique du monde n'avaient aucun secret pour moi. J'étais aussi très calée en mouvements picturaux et avais une certaine aisance dans toutes les matières artistiques. J'étais jeune et naïve et pensais être à l'abri des coups du sort.


     Du jour au lendemain, mes privilèges s'effondrèrent. Un matin, mes parents disparurent. Je fouillai l’entièreté du manoir victorien pour les trouver. Seuls les claquements lugubres des volets extérieurs en bois me répondirent. Les craquements du plancher accompagnèrent ma progression. Je sortis dans l'immense jardin. Un brouillard dense empêchait toute visibilité. Il avalait l'ombre du portail. Il estompait la silhouette des chênes. Il gommait la pureté des rosiers blancs. J'étais perdue au milieu d'une épaisse brume avec une croissante certitude, j'étais seule. J'appelai mes parents. Un silence de mort me répondit. Je courus sur la pelouse du jardin. La rosée matinale avait rendu l'herbe glissante et ma progression difficile. Je trébuchai trop souvent. Je finis par me réfugier aux portes de ma demeure. C'est sur le palier que le majordome me trouva.
 

     Une enquête fut ouverte. Le seul indice était dans l'atelier d'artiste de mes parents. Une toile avec une énigme : "V---#-- ----- - -- --u #" et une peinture abstraite. Qui était l'auteur de ce message ? Que signifiait l'énigme ? Les recherches piétinèrent. La décision fut prise de me placer. Un seul membre de ma famille accepta d'avoir une adolescente à sa charge. Un oncle. Un vieux garçon. Il était également Irlandais. Il habitait dans la bourgade de Dungloe, à 440 kilomètres de la ville de Cork où je logeais. C'était un homme taciturne et sans histoire. Concierge dans un collège défavorisé, il ne comptait pas ses heures de travail. Cela me convenait, j'aimais ma tranquillité. Heureuse de le savoir peu présent à son domicile, j'acceptais.

     J'eus tort. Arrivée dans sa bicoque, je fus surprise de constater qu'il ne vivait pas seul. Suite à un drame survenu dans le collège dans lequel il exerçait ses fonctions de concierge, il avait recueilli quelqu'un chez lui. Le malheureux était orphelin. Il avait assisté à des événements traumatisants. Il avait été persécuté. Sa vie avait été faite de coups et insultes. Certes, il avait des passions bizarres, comme la taxidermie, mais il n'en était pas moins digne de respect et intérêt. Tous les enfants devaient être aimés. Ce furent les explications débitées par mon oncle quand il me présenta... Todd.

     Je n'oublierai jamais l'aura malsaine qui l'entourait. Il ne parlait pas. Il grognait des sons gutturaux. Il portait un masque de loup. Pas ces choses incongrues en plastique, vendues dans les mauvaises boutiques de farces et attrape. Todd avait sur sa tête la vraie gueule d'un loup. Les touffes de poils étaient couvertes d'une mixture poisseuse et malodorante. Le derme lupin était plus verdâtre que blanchâtre. Le museau se décomposait par endroits. La masse corpulente de Todd avança. Il tendit mollement une main à l'hygiène encore plus douteuse que le reste. Face à cette horrible apparence, je reculai en grimaçant. Le monstre devant moi gloussa.

     Pour arriver dans la sordide ville de Dungloe, mon oncle avait dû conduire de nuit. Le jour s'étant levé, le collège allait ouvrir ses portes. Mon oncle enfila un manteau élimé puis partit au travail.

     Todd me fixa pendant deux interminables minutes. Il balança son corps d'un pied sur l'autre. Sa face de loup restait immobile. Les yeux de la bête avaient été retirés, pourtant, le regard qui me fixait n'avait rien d'humain. Je prétextai une urgence féminine pour m'extirper de cette rencontre effrayante. Dans la salle de bain, en me lavant les mains, j'eus encore cette impression d'être observée. Je guignai les peintures vieillies qui décoraient la pièce. C'étaient des portraits expressionnistes. Les visages fondaient en coulées ocres et grises. Les regards étaient courroucés. Mal à l'aise, je sortis de la salle d'eau et me réfugiai dans la chambre qu'on m'avait attribué.

     À midi, on toqua à ma porte. C'était Todd qui portait un plateau. Il resta longtemps immobile. Il me fixait sans ciller. J'étais terrifiée par son attitude étrange. Finalement, il posa mon repas sur le palier puis quitta la pièce. Un vieux bol ébréché. Une soupe écœurante. Une miche de pain aussi dure qu'un caillou. Un verre de lait qui a tourné. Dégoûtée, je décidai de jeûner.

     Au milieu de l'après-midi, je sortis pour respirer autre chose que l'air vicié de la maison. Le jardin était aussi mal entretenu que le reste. Au milieu de la laideur pourrissante des fleurs, j'entendis de doux miaulements. Ces sons apaisants provenaient d'un cabanon vétuste. Désireuse de cajoler de petites bêtes innocentes, j'approchai de la cabane. Les cloisons étaient des planches en bois mal assemblé. Je regardai au niveau des interstices. À l'intérieur de l'abri, dans un panier posé sur le sol, une portée de chatons ronronnait. Les jolis êtres se frottaient les uns contre les autres. Ils... Semblable à une épée de Damoclès, un couteau s'abattit. Les chats poussèrent des miaulements affolés. Le couteau perça les têtes et les yeux des chatons apeurés. Le sang gicla. Des coulées inondèrent le sol. Des gouttelettes d'hémoglobine aspergèrent les murs et le responsable de ce carnage. La silhouette massive. La tête d'animal qui dodelinait. Todd... Je me mordis les lèvres pour ne pas crier. Le goût métallique inonda ma bouche me donnant davantage la nausée. Malade, les larmes aux bords des yeux, je courus me réfugier dans la maison. Je ne connaissais ni la ville, ni le comté dans lequel j'étais. Je ne savais pas où aller. J'attendis donc dans la salle de bain, adossée à la porte fermée à clé.

     Au début de la soirée, mon oncle rentra du travail. Il se vautra dans le fauteuil du salon. Je le rejoignis. Todd était Satan seul sait où. J'employais toute ma diplomatie pour évoquer son passe-temps effrayant. Mon oncle haussa les épaules en défendant Todd. C'était un Artiste, un original, un incompris, il aimait l'Art, c'est tout. Tout en le glorifiant, il caressa une "peluche" sur la table du salon. Il la saisit et l'admira sous toutes les coutures. Je déglutis. Il ne manipulait pas un jouet, mais, un animal empaillé. Un écureuil mort. J'étais à deux doigts de fondre en larme. Je fis tout mon possible pour maîtriser mes nerfs. Je fis aussi le maximum pour convaincre mon oncle de m'envoyer dans un pensionnat pour jeunes filles. Je fis également de mon mieux pour faire montre d'une excessive maladresse. Le service de porcelaine de mon oncle y passa. Au final, le pensionnat pour jeunes filles fut idéal. Me trouver une place fut aisé. Le lendemain au matin, nous étions arrivés à l’orphelinat catholique du Bon Secours dans la ville de Tuam.

     Si vous pensiez que Todd était l'être le plus monstrueux au monde, laissez-moi vous dire qu'il n'était rien comparé à Maddyson. Maddyson était une fille étrange à la démarche fantomatique. Son corps, partiellement caché sous des vêtements gris, délavés, élimés, était décharné. Ses cheveux blonds cendré n'étaient jamais peignés. La masse était épaisse, sale et emmêlée. Son visage était émacié. La carnation était étrange. C'était comme un mélange de teintes cendreuses et verdâtres. Sa face était croûteuse par endroits. La lèpre ? La vérole ? Beaucoup de jeunes filles du pensionnat se plaisaient à lui inventer toutes sortes de maladies contagieuses. Maddyson avait un regard à vous glacer le sang. Les yeux étaient globuleux. Les sclères étaient jaunâtres. Les iris étaient terre d'ocre, une teinte peu commune pictée de gouttelettes de sang. Elle ne parlait pas. Jamais. Faisant courir moult autres rumeurs sur son compte. À l'orphelinat catholique du Bon Secours, il était facile d'avoir accès aux dossiers confidentiels des autres orphelines pour peu qu'on ait la cuisse légère. Tous les hommes qui travaillaient au pensionnat étaient soudoyables en échange de faveurs sexuelles. Madddyson était la seule à n'avoir aucun dossier. Son origine était entourée d'un épais mystère. On dit qu'elle était le rejeton d'une sorcière et pratiquait des sacrifices les soirs de pleine lune. Elle errait souvent avec un antique cahier noir. La relique avait des pages jaunies et une couverture en vieux cuir craquelé par endroits. Cette antiquité était la chose la plus effrayante. Tous détournaient le regard de cet objet de malheur. Il était considéré soit comme le Nécronomicon, soit comme un Death Note...

     Bien que Maddyson provoquait un profond effroi, sa timidité évidente faisait d'elle la victime idéale du pensionnat. Lorsque j'intégrai le pensionnat pour jeunes filles, je perçus toutes sortes de rumeurs. J'ouïs dire qu'il existait des cellules d'isolement où certaines récalcitrantes étaient envoyées sans lumière, sans nourriture et sans compagnie pendant plusieurs jours. J'entendis dire que l'infirmier rasait les têtes des orphelines qui avaient des idées trop révolutionnaires ou trop délirantes. Le pire était la salle 314 où étaient menées nombreuses expérimentations malsaines sur des adolescentes qui ne souffraient de rien d'autres qu'un banal rhume. Au milieu de tous ces "on-dit", des anecdotes sur le harcèlement que subissait Maddyson circulaient. Bien que j'appréhendai sans difficulté à quel point l'esprit humain pouvait être tordu, je n'en crus pas un seul mot... Jusqu'au jour où j'assistai en personne à une scène d'intense violence...

À suivre...

 

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dimanche 29 octobre 2023

 Le Concours de Citrouilles Sculptées


Le Concours de Citrouilles Sculptées


     La citrouille sculptée était parfaite. Les yeux, ourlés de faux-cils qui se décollaient partiellement, étaient effrayants. La chair du potiron avait été lacérée par endroits. Comme si un démon muni de griffes acérées avait voulu arracher son visage. Les scarifications suintaient. Des coulées de sang ornaient la grimace. Le potiron bavait de l'hémoglobine. Une œuvre d'Art surréaliste. Digne du plus effroyable Halloween. Une création cauchemardesque. Celle du jeune garçon prénommé Todd. Le jeune homme avait subtilisé tous les produits de beauté de sa mère. Tous les subterfuges qu'Amy, la matriarche de Todd, utilisait pour masquer, tant mal que bien, sa vie de débauches et d’excès. Entre les bouteilles d'alcool vides, les vêtements sales, les cartons de pizza et les insectes rampants, Todd avait eu du mal à trouver le nécessaire de beauté. La cause était noble, pensait-il, car c'était pour un projet scolaire.

     Peu avant la fête d'Halloween, l'établissement Somw Community School, dans la ville de Dungloe, comté de Donnegal, organisait un concours. Le collège voulait récompenser toutes formes de créativité. Ainsi, chaque année, les élèves sculptaient une citrouille. Les œuvres finales avaient, pour seule limite, l'imagination de leurs créateurs. Hors, de l'inventivité, Todd en avait à revendre. L'an dernier, c'était Sawyer, le fils d'un agriculteur du coin qui avait gagné haut la main. Il avait empoché une maigre somme d'argent qui, dans le comté pauvre de Donnegal, représentait une aubaine incroyable pour tous les élèves. Cette année, le grand gagnant serait Todd.

     Rêveur, l'enfant arrangea la rangée de faux cils qui encadraient les yeux triangulaires menaçants. Il étala un peu plus de gloss gluant et sombre autour du sourire sinistre. Il créa des rigoles de sang autour de la bouche. L'enfant prendrait une revanche sur tous ses camarades qui ne le considéraient comme rien d'autres que : "Todd, le Dodu." Il se vengerait sur la vie qui l'avait créé avec un bec de lièvre, source constante de moqueries. Il laverait les injures et insultes à cause de son obésité et de silhouette massive. Il pourrait s'offrir une collection de BDs qu'il montrerait à ses nouveaux copains. Il aurait l'occasion d'acheter et de frimer avec une tenue neuve et moderne à l'antipode de ses vêtements mités et malodorants.

     Alors que Todd rêvassait à un avenir meilleur, la porte d'entrée s'ouvrit. Lentement. Avec un grincement sinistre. Une voix pâteuse appela : "Toddie ?" . Tous les soirs, c'était le même cirque. Amy, la mère de Todd rentrait deux heures après son travail. Certaines fois seule. D'autres fois, - mal - accompagnées. Mais toujours saoule. Amy était serveuse dans un bar miteux de la bourgade. Elle piquait des bouteilles d'alcool sur son lieu de travail. Il était impossible que ses employeurs ne se rendent compte de rien. Parfois, Todd se demandait quels types de service elle rendait au gérant du bar pour garder son travail...

Un.

Le bruit d'un pas lourd...

Deux.

Le grincement d'une marche de l'escalier...

Trois.

"Toddie ? Tu es réveillé ?"

     D'autres sons inquiétants qui annoncèrent l'arrivée de la mère de Todd dans la chambre de son fils. L'enfant éteignit la lumière vacillante. Il se dirigea sans faire de bruit vers son lit. Il tenta de calmer sa respiration erratique pour faire croire qu'il dormait. Si sa mère le surprenait éveillé à une heure pareille, occupé à jouer avec du maquillage - avec son maquillage - elle le battrait comme plâtre. Amy n'était pas nécessairement une méchante mère, mais elle avait l'alcool mauvais et la main légère.

     Terrorisé, Todd se terra au fin fond de son lit. La porte de la chambre s'ouvrit.

"Déjà couché ?"

     Amy se pencha au dessus de Todd pour vérifier la présence de son rejeton. Durant quelques secondes, Todd s'arrêta de respirer. Pour simuler une phase profonde de sommeil. Et pour ne pas sentir les relents d'alcool dégagés par l'haleine suffocante de sa mère. Immobile, Amy guetta. Puis finalement, n'ayant nulle raison de se défouler sur son fils, elle sortit, ferma la porte et descendit en torturant derechef l'escalier et les nerfs de Todd.

     Au bout d'une heure, l'enfant finit par s'endormir. Il fut emporté vers des rêves hantés par des citrouilles sculptées qui terrorisaient un jury.

     Le lendemain matin, Todd fut réveillé tôt par une pluie tonitruante. Le vent hurlait. L'automne déchaînait ses éléments. Des feuilles mortes s'agglutinaient sur les vitres sales. La nature avait envahi la maison. Aucun autre bruit humain. Habituellement, la mère de Todd pestait contre tout et n'importe quoi. Le réveil qui sonne. Les enfants qui passent dans la rue. Les chats errants qui feulent. Cette fois-ci, pas un seul grondement maternel.

     Une fois prêt pour l'école, Todd descendit avec sa citrouille sculptée enveloppée dans un vieux chiffon. Il découvrit sa mère affalée sur la table de la cuisine. Manifestement, elle avait passé la nuit là. Sa tête reposait mollement sur son bras. Ses cheveux emmêlés trempaient dans un bol de soupe. Une soupe de citrouille. La soupe que Todd avait préparé la veille avec la chair du potiron. Il ne fallait pas gâcher la nourriture. C'était la mère de Todd, elle-même, qui lui avait appris. Son fils pouvait prendre le temps de la réveiller. Mais il arriverait en retard en cours. Et puis, la matriarche était toujours de mauvaise humeur au réveil. Todd écoperait de quelques bleus supplémentaires. La décision fut vite prise. Todd laissa sa mère avachie sur la table et se dirigea vers l'école.

     Quand il arriva aux portes de l'établissement scolaire, il avisa les élèves qui sortaient des voitures de leurs parents. Des véhicules vieux et en mauvais états, certes. Mais au moins, avaient-ils le mérite de protéger les enfants des éléments extérieurs. Todd, lui, avait ses fripes imbibées d'eau. Il marcha maladroitement vers les grilles du collège. Il croisa Debby, la plus jolie fille de sa classe. Tandis que Todd, intimidé, baissa la tête, elle ricana. Crânement, elle balança sa chevelure bouclée et tourna le dos à Todd. Ce dernier s'accrocha à un espoir. Il s'imagina vainqueur du concours de citrouilles sculptées. Il rêva des cadeaux qu'il allait offrir à Debby quand il gagnerait. Il lui achèterait des bonbons et l'amènerait au cinéma. Elle le regarderait enfin et, peut-être même, qu'elle l'aimerait bien.

     Près du préau, les Trois Affreux du collège raillaient avec force et gesticulation. Le Trio Infernal était craint de tous, même des plus téméraires. La tête pensante du Trio était Jameson. Les autres n'étaient que ses sbires, ses ombres. Jameson, terrorisait tout le monde à lui seul. Ce jour-là, il fanfaronnait avec une flasque à Wisky et un paquet de cigarettes... “Des bricoles piquées à son vieux”.

     Comme à son habitude, Todd rasa les murs. Il réussit à entrer dans le hall sans attirer l'attention. Toujours sans se faire remarquer, il alla vers le local technique, uniquement autorisé au personnel. Au fil des mois, le concierge avait pris Todd sous son aile. Touché par la négligence de sa mère, puis, ému par les brimades que Todd essuyait à longueur de journée, le concierge avait montré à Todd où se cacher. Il lui avait fourni les clés. Pendant la récréation et heures de permanence, Todd se réfugiait souvent au milieu des seaux, balais et produits d'entretien. Minutieusement, Todd planqua sa citrouille. Il allait fermer la porte à clef, quand l'alarme de début des cours retentit. Si Todd loupait le premier cours, le proviseur le saurait et appellerait immédiatement chez lui. Et... Il en était hors de question. Paniqué, Todd se précipita vers sa salle de cours sans fermer la porte.

     La journée fut ennuyeuse. Suite à un choc psychologique, Todd était devenu mutique. L'enfant avait sept ans quand il avait découvert le cadavre de son père, mort par empoisonnement. Depuis ce tragique événement, Todd était muet. Aux yeux des professeurs, il était inintéressant car il ne répondait pas normalement aux questions et sollicitations. Chaque classe se ressemblait. Le malheureux occupait la dernière table au fin fond de la salle. Invisible durant les heures de cours, il griffonnait des dessins dans son cahier. Cette fois, son esprit était en effervescence. Il se représentait gagnant du concours de citrouilles sculptées. Il était considéré comme l'Artiste de l’École. Toutes les filles étaient à ses pieds, rendant Debby insignifiante. Tous les garçons l'enviaient, même le Trio Infernal en était rendu à le respecter.

     A l'école, Todd était d'une telle maladresse que sa gaucherie le rendait inapte à toutes pratiques sportives. En cours d'EPS, il était le point de mire, et donc, la risée de tous. Todd aspirait au respect et à la reconnaissance. Le concours artistique de citrouilles allait changer la donne en le glorifiant. Exceptionnellement, il allait sécher le cours de sport.

     Guilleret, Todd marcha vers le local où l'attendait son œuvre d'Art. Les couloirs étaient déserts car élèves et professeurs étaient à l'extérieur. Pas un bruit ne rythmait l'avancée de Todd vers sa précieuse citrouille. Assez vite, il devina que quelque chose clochait. Le sol devenait de plus en plus glissant. Soudain, un bruit de verre brisé éclata brisant le silence oppressant. Au lieu de fuir comme son instinct l'ordonnait, Todd pressa le pas. Il n'avait qu'une obsession. Récupérer. Sa. Citrouille.

     Un couloir. Puis, une porte battante. Et un autre couloir. Puis enfin, le local technique. La porte était béante. La pièce plongée dans l'obscurité. Le palier était un trou noir qui aspirait tout l'espoir et le bonheur de Todd. Il se traîna vers l'entrée. Il glissa sur des traînées orangées. Son corps partit vers l'avant. Il tomba sur le ventre. Son menton cogna le carrelage. Abasourdi, il resta étendu sur le sol sans bouger.

                                                     "Todd, le Dodu ! Todd, le Dodu." : Le Trio Infernal. Qui d'autres ?

      De grosses poignées de substance poisseuse atterrirent sur Todd. La matière gluante recouvrit ses cheveux. Des coulées rougeâtres et visqueuses glissèrent dans le col de son haut. Et toujours ce "Todd, le Dodu. Todd, le Dodu." Au bout d'un moment, il n'y avait plus rien à balancer sur Todd. Les Trois Affreux abandonnèrent Todd à son sort. Alors qu'il aspirait à être au sommet de la gloire, il était au summum de la honte. Todd tenta de se remettre debout mais trébucha de plus belle. Au prix d'un effort, il parvint à se lever. Son regard se posa sur son ancienne "œuvre d'Art". La citrouille ... Saccagée. Écrasée. Détruite. La raison de Todd s'écroula. Il retomba sur le sol et pleura. Il encercla son corps de ses bras et se balança d'avant en arrière en gémissant. Il se couvrit les oreilles et poussa des cris de plus en plus terrifiants. Les SOS d'une bête désespérée et enragée. Quand Todd se releva, sa raison et son humanité avaient disparu.

     Il se mit en quête de la salle de classe où les citrouilles du concours étaient entreposées. Des potirons de tailles différentes. Mais avec des décorations et détails tous identiques. C'était navrant de banalité. Le potiron de Sawyer attira l'attention de Todd. Il se souvint que c'était lui qui avait remporté le concours l'an dernier. Le père de Sawyer était un agriculteur qui bourrait d'OGM toutes ses terres. La citrouille était vraiment énorme.

     Todd inspecta le potiron et le plaça devant sa tête. La citrouille était deux fois plus grande qu'un visage d'enfant. Elle avait été découpée à la base ,et non sur le haut comme le voulait la tradition. Mû par une soudaine poussée, Todd enfouit sa tête dans le creux de la citrouille. Le potiron dégageait une odeur de décomposition. L'air était raréfié. Pourtant, ainsi grimé, Todd se sentait lui-même.

     Halloween était incroyable. Cette fête conférait aux êtres une autre identité. Elle cachait les complexes que beaucoup se traînaient pendant toute l'année. Elle permettait d'être plus vicieux, sombre et violent. Todd était ravi de sa nouvelle identité. Todd, le Dodu n'était plus. Todd, l'effroyable l'avait remplacé. Halloween avait révélé sa monstruosité.

     Todd l'effroyable, vit un seau en fer. Il était assez lourd, mais pas impossible à porter. Il en apprécia le poids. Il fit des moulinets, prit de l'assurance en exécutant des gestes de plus en plus amples. Il brisa les vitres. Il renversa les tables et réduisit en charpie toutes les créations concurrentes aux siennes. Il s'acharna sur les citrouilles en les piétinant. Il...

                                                           "Qu'est-ce-que ... ? " 

     Alertée par le boucan, Debby s'était aventurée à l'entrée de la salle. Sa superbe assurance avait disparu. Elle se figea en avisant le carnage. En deux enjambées, Todd la rejoignit. Armé d'un seau, avec la tête de citrouille à la place d'un faciès humain, et les substances orangées collées sur ses vêtements, Todd était terrifiant. Il bouscula sa chère Debby. Il la fit tomber et la chevaucha. Il abattit son seau sur la boîte crânienne. Encore et encore. Il défonça son si beau visage. Des gerbes de sang et des dents volèrent. Debby était moins belle comme ça ; alors en un ultime coup de seau, Todd l'acheva.

     Dans les couloirs de Somw Community School, une citrouille couverte de sang et d'organes visqueux semait la terreur. La créature assoiffée de vengeance démolissait les vitres des portes de classe. Les toilettes pour garçon était sa prochaine destination. Jameson et ses deux complices étaient assis sur les lavabos. Ils fumaient. Lorsque Todd entra dans les sanitaires, le Trio Infernal fut interdit quelques instants. Sauf Jameson qui, élevé à la dure à coups de martinets, n'avait peur de rien. Pensant que l'hémoglobine était du faux sang, n'ayant pas conscience de la dangerosité de la situation, Jameson approcha avec sa cigarette à la main.


"Eh, mais c'est Todd, le Dodu. T'as la grosse tête maintenant. Remarque tu n'as jamais été aussi beau comme ça. Il manque juste quelque chose."

     Il enfonça son mégot sur l'avant-bras de Todd. Ce dernier ne sentit même pas la brûlure de cigarette. La riposte fut immédiate. Le seau s'écrasa sur la tête de Jameson qui partir à la renverse. Une seconde passa. Elle cristallisa l'instant qui sembla durer une éternité. Durant ce moment, le Trio Infernal, en état de choc, ne broncha pas, ne remua pas.

     De toute façon, les appels à l'aide ne serviraient à rien. Todd l'effroyable était rapide et méthodique. Il assomma les trois garçons avec son seau. Les Trois Affreux s'évanouirent. Le sang coula des blessures infligées aux têtes. Une flaque de sang commença à se former sur le sol. Todd aimait cette odeur métallique. Elle lui rappelait ses longues heures de jeu passées avec des animaux croisés. Bien avant cette particulière fête d'Halloween, Todd n'était pas parfaitement innocent et avait des passe-temps peu communs. Il jouait beaucoup avec les couteaux à viande... De préférence... Les plus aiguisés... Il en avait toujours sur lui. Au cas où...

     Il poignarda rapidement ses victimes. Elles moururent rapidement. Sur chaque visage, il traça des triangles autour des yeux. Il creusa la peau à l'intérieur de ces formes géométriques. La chair humaine, la chair d'un potiron. Quelle différence ? Il dessina des sourires dignes des plus horribles citrouilles. Et comme les potirons n'ont pas de corps. Il mit la touche finale à ses œuvres d'Art en les décapitant. Il déposa ses têtes scarifiées, ses citrouilles sculptées près des lavabos imbibés de sang. Il admira sa réussite et s'autoproclama vainqueur du concours créatif d'Halloween. Les Troix Affreux n'avaient jamais aussi bien porté leurs noms.

     Todd avait réussi, il était devenu l'Artiste le plus Horrifique d'Halloween. Dans son imaginaire, il visualisa un public en pâmoison, qui applaudissait à tout rompre. Todd détestait le bruit. Comme les applaudissements imaginés étaient trop bruyants, dans sa rêverie il coupa toutes les mains. Il était capable de bien, bien plus : l'essentiel est d'être adulé et enfin respecté. Après tout, c'est Halloween, la nuit de tous les possibles.

     Il pouvait choisir le chemin qu'il voulait. La vie qu'il avait avant était enterrée. Il ne pouvait pas retourner chez lui. La police était sans doute déjà sur place. D'ici quelques jours, l’autopsie de sa mère révèlerait un empoisonnement à l'Alprazolam. Todd pourrait jurer que ce n'est pas lui qui a cuisiné la soupe de potiron. L'Alprazo... Quoi ? Qu'est-ce ? Ah oui, un tranquillisant ! Sa mère en prenait de temps en temps. Elle a très certainement voulu rejoindre son mari mort, il y a quelques années, de la même manière.

     Todd admira ses citrouilles sculptées. Il voulait tant les garder avec lui ! Mais comment faire pour les transporter ? C'était probablement facile... Halloween, la nuit de tous les possibles. Todd savait célébrer Halloween et en avait compris le sens. Il admira son reflet dans la lame de son couteau. L'immense citrouille dégoulinante de sang et de matières organiques était unique au monde. Todd maîtrisait l'Art d'Halloween. Il était devenu le plus effrayant symbole d'Halloween.