lundi 3 mai 2021

L'ultime photographie de la Whitechapel Gallery


Jack l'éventreur était à l'aube d'une nouvelle Ère victorienne où les prostituées seraient propulsées aux rangs de morbides suppôts de Satan...

 

    

      "Attention ! Même si on ne bouge plus, soyez les plus vivants et naturels possibles"

     Le flash d'un antique appareil photo explosa et aveugla partiellement chaque être vivant du studio de la Whitechapel Gallery. La mère de famille tressauta. Cette matriarche, peu gâtée par la vie, était une triste fille de joie qui s’appelait Luna. Elle avait été contactée par un photographe peu connu de la populace Londonienne. Le preneur de photo immortalisait les doux enfants qui passaient les portes de la modeste galerie. Il offrait gracieusement un souvenir impérissable aux prostituées qui amenaient, dans la clandestinité, leurs enfants illégitimes pour les photographier. Il fallait graver dans la mémoire et sur le papier les visages juvéniles car on ne sait jamais quels sorts pouvaient être réservés aux marmots des prostituées... 

     Luna admira la pose tranquille de ses deux petits protégés, sages comme des images. Elle apprécia le moelleux et le volume de la chevelure de l'aînée de la fratrie. Les cheveux de Romy étaient gonflés par l'humidité du bain qu'elle avait pris il y une poignée d'heures. Le corps de l'enfant avait été bercé par l'apaisant clapotis de l'eau. Luna avait amené sa chère enfant au bord de la Tamise, située au Sud de Londres. Le cadre était idyllique et la journée s’annonçait radieuse. Le ciel était bleu, le soleil brillait et les oiseaux chantaient. Le souffle du vent se conjuguait avec les puissants pépiements des oiseaux et... les incessants hurlements de l'enfant. Malgré les paroles rassurantes de la mère, la jeune Romy se débattait comme un beau diable dans le fleuve. Bizzarement, ses poings s'agitaient sous la surface aqueuse et ses jambes essayaient vainement de repousser sa mère adorée. Selon Luna, c'était juste une baignade forcée pour faire disparaître la preuve flagrante de sa vie de débauchée. Alors , sans faillir, elle maintenait la tête de sa gamine sous l'eau. Le corps de l'enfant convulsait. Les robustes bulles d'air qui sortaient de la bouche de Romy s'amenuisaient rapidement. Jusqu'à ce que tout ne soit plus que calme et apaisement. Après deux longues minutes d'agonie, Romy était enfin morte. 

     Elle était donc décédée mais avait encore cette étincelle de vie qui serait capturée à jamais dans cette photographie post-mortem. Sur la photo que Luna allait récupérer chaque individu apprécierait à jamais la beauté inaltérée de la regrettée Romy. Le talent inné du photographe pour faire sien toutes étincelles de pseudo-humanité n'y serait pas étranger. Jack était un grand professionnel. Il excellait dans son Art et était le plus doué en la matière. Dans l'ombre, il était éditeur des photographies de bambins morts. Trépassés par accidents souvent orchestrés d'une main de maître par leurs mères, des prostituées qui ne pouvaient mener à bien leurs maternités. Ni plus, ni moins que des avortements tardifs. Après tout, ces pauvres avaient déjà des difficultés à gérer leurs propres vies... 

     " Il est de mon devoir de retravailler les accidents de la nature" : de nouveau, Jack grondait ses menaces lourdes de sens. Luna porta instinctivement une main à sa bouche. Elle prit conscience du sordide de la mise en scène. Elle eut un moment de faiblesse et tomba sur le sol. Elle rampa alors vers les deux modèles de la photographie. 

     Romy avait la froideur, la lividité et la rigidité du cadavre. Elle était raide dans sa robe blanche, pure et angélique que son frère Romuald aimait tant. De son vivant, il veillait toujours sur elle. C'était Romuald qui avait tendrement séché le corps mouillé de sa sœur juste après sa baignade. C'était toujours lui qui l'avait vêtue de sa robe virginale. Alors qu'il assurait la mise en beauté de sa sœur pour son ultime photographie, il tapotait l'épaule de la mère qui regrettait malgré tout la trépassée Romy. 

     Romuald était un garçon dynamique et vif. Dans sa prime jeunesse, il avait toujours eu plaisir à envoyer violemment ses pieds dans les jambes de sa sœur pour la faire tomber. Avec fébrilité, il s'amusait à expédier les corps des chatons pour les admirer exploser contre les murs. Mais ce jour, il était calme et immobile. Le regard figé, aussi fixe et inexpressif que celui de sa sœur. 

     Le photographe de la Whitechapel Gallery, Jack, avait assuré à Luna qu'il s'occuperait de la pose de Romuald pour la photographie. Il avait promis d'assurer au petit garçon une mise en lumière idéale, unique et naturelle. Il avait argumenté et réussit à convaincre la mère en assurant qu'il avait "l'habitude" de s'occuper des enfants. Même si Jack était excentrique et arborait ce maquillage étrange de mime avec la face peinturlurée en noir et blanc, Luna l'estimait digne de confiance.

     Quand Luna s'approcha pour s'assurer de la bonne santé de son fils, Romuald ne bougea pas d'un poil. Il ne tiqua pas quand elle l'appela. Il ne cligna pas d'un œil. Il ne bougea pas même d'un pouce. En réalité, il ne pouvait plus se mouvoir : ses membres inférieurs étaient entravés dans un mécanisme de torture moyenâgeux amélioré. Des ceps aux mâchoires acérées bloquaient et mordaient dans les chairs de ses chevilles. De grandes béquilles en fer rouillé, prenaient racine dans les ceps qui emprisonnaient les pieds. Ces béquilles en ferraille remontaient vers le haut du corps et se perdaient dans l'anatomie des jambes du garçon ; les muscles, c'est à dire, les quadriceps et les vastes externes et internes étaient étirés et tressés autour des béquilles. Sur la partie basse du corps de Romuald, la peau était arrachée et exhibait la vie interne du garçon. 

     La mère des deux morts s'époumona. Elle poussa un long cri d'effroi et rampa vers la sortie. Tremblante, elle tenta quand même de se remettre sur ses pieds et s'accrocha aux pieds de l'appareil photo de la Whitechapel Gallery. Maladroitement, dans une pluie de bois et de verre, elle fit tomber l'appareil. L'objet de prédilection, qui était aussi et surtout, l'outil de travail de Jack n'était plus utilisable. Il gisait inerte aux pieds du photographe qui entra dans une rage ravageuse. 

      Il rassembla tous les éclats de verre dans sa main nue. Il saigna abondamment mais n'en avait que faire. Au contraire, il trouvait l'odeur cuivrée du sang euphorisante. Dans un délire mystique, il dessina une croix sur son front et peinturlura ses lèvres avec son propre sang. Ensuite, il cria à l'adresse de Luna :" A toi qui refuse de voir ta véritable nature" . Il sauta vers elle. Il la domina, écrasa son corps avec le sien et plaqua ses mains au-dessus de sa tête. Il saisit un éclat de verre, en apprécia le tranchant en traçant des rigoles de sang sur le visage de la prostituée qui se débattait, puis, creva brutalement l’œil gauche de Luna. Celui-ci éclata en déversant une substance blanchâtre écœurante. L’œil droit ne connut pas un meilleur sort. Jack improvisa un levier pour déloger le globe oculaire de la cavité, et, trancha le nerf optique. Lorsque Jack, eut fini d'écorcher la figure de Luna en une œuvre grotesque. Il coupa la pauvre robe pour exhiber la peau sèche du corps de Luna. Il incisa profondément le bas du vente, traça un chemin ensanglanté du clitoris au nombril et écarta le derme ciselé. Durant une dizaine de minutes, il joua au médecin sadique et trouva l'utérus. Il l'extirpa pour l'admirer et le fourra dans la bouche de Luna pour lui intimer le silence : "Les filles de joie ne devraient pas avoir le droit de parler tout comme cette interdiction formelle de pouvoir enfanter. " 

     Jack, que tous surnommeront l'éventreur, s'extasia devant sa récente création qui reflétait sa vision des prostituées. Cependant, il voulut que Luna puisse voir également sa réalité figée, il espéra qu'elle arrive à voir son identité vraie, ce qu'elle était au fond d'elle. Ainsi, il prit les yeux réduits en charpie, pour les positionner à la place des ovaires. Jack était à l'aube d'une nouvelle Ère Victorienne où les prostituées seraient propulsées au rang de morbides suppôts de Satan. Mieux que sa carrière avortée de photographe mortuaire, Jack dessina son chemin vers les châtiments divins et les réelles nouvelles identités qu'il conférera à toutes les prostituées qu'il croiserait. Ainsi, en 1888, dans la Whitechapel Gallery, une effroyable vocation prit forme...