samedi 16 décembre 2023

 Coup du Sort à Noël


Coup du Sort à Noël


     Dans la ville de Pluckley, le vent et la neige se déchaînaient. Macee Waterhouse bravait le froid hivernal pour chercher son cadeau de Noël. La brise emportait des "We Wish You A Merry Christmas" et des éclats de rire enfantins. La jeune femme fut étonnée. Elle se savait haïe et crainte par tout le village. Habituellement, les petits s'amusaient à venir couper les fleurs de ses rosiers. Chaque année, ils prenaient plaisir à saccager les décorations de Noël à l'extérieur. Mais cette fois, ils avaient déposé un présent pour elle au pied de son sapin. Macee Waterhouse apprécia les abords de son château enseveli sous la neige, avant de rejoindre la chaleur de sa demeure.

     Au sein de la demeure Waterhouse, il n'y avait aucun ornement festif. Macee s'installa confortablement dans son rocking-chair pour ouvrir son cadeau. En palpant son présent, elle le trouva étrangement mou. Lorsqu'elle arracha le dernier lambeau de papier cadeau, elle comprit pourquoi. Son chat Ceecee était son offrande. Il avait été sacrifié. Probablement par les gamins du village qui chantaient et riaient, il y a quelques minutes, à l'extérieur. Le félin avait une bûche de bois enfoncée dans la gueule béante. Les yeux de la pauvre bête étaient exorbités. Le ventre de l'animal était scarifié. Macee y lut cette sardonique inscription : "Joyeux Noël"

     Au prix d'un grand effort, Macee parvint à retirer la bûche. Dans le même laps de temps, elle pleura de dépit. Rien ne pouvait justifier la cruauté animale en raison d'une haine portée contre un individu. Macee marmonna des paroles jadis prononcées. Des mots depuis longtemps oubliés. En murmurant le dialecte propre à sa langue morte, elle caressa inlassablement la dépouille de Ceecee. Quand elle flatta le creux du cou, elle sentit... un léger enflement. Lorsqu'elle tendit l'oreille, elle entendit... un étrange miaulement. Ceecee, le félin défunt revint à la vie. Il lécha la main bienfaitrice qui n'était pas étrangère à sa résurrection. Puis, après son remerciement, il sauta sur ses pattes. Au lieu de retomber gracieusement, il se vautra sur le sol. Il tourna son regard mort vers sa maîtresse. De nouveau, il miaula d'une bien étrange façon. Il quitta la pièce avec une démarche saccadée et zigzagante.

     Un chat zombie. Un échec. Ce n'était pas la première fois que Macee s'essayait à un sortilège de ce niveau. Bien souvent, elle réussissait. Elle avait ramené à la vie un amant. Mais bien qu'il ne soit pas ressuscité en état de zombie, il était revenu d'entre les morts avec de très piètres performances sexuelles. Lassée, Macee n'avait pas tardé à le renvoyer pourrir sous Terre. Elle avait un pouvoir de vie ou de mort. Et elle en profitait. Macee Waterhouse était la descendante d'une longue lignée de sorcières. Elle jouissait de facultés ésotériques sans limite. Elle faisait la pluie et le beau temps depuis des temps immémoriaux. Elle était intemporelle. Évoluant depuis la nuit des temps, elle avait cessé de compter les années après avoir fêté les cent siècles. Une aura d'étrangeté planait autour d'elle. Elle déménageait souvent en laissant derrière elle un paquet de disparitions suspectes. Elle avait l'apparence d'une élégante jeune femme grâce à ses nombreux filtres, sacrifices et sortilèges. Mais au fond d'elle, bouillonnaient toute la méchanceté et laideur du monde.

     La sorcière s'approcha d'une fenêtre. Des décorations féériques illuminaient la ville. Les employés municipaux avaient dressé un sapin immense sur la place principale. Les ruelles étaient éclairées d'illuminations incroyables : des guirlandes lumineuses, des rennes clignotants... Le paysage était magnifié par ces festives embellies. Sauf, aux environs de son illustre château. Macee Waterhouse sentit une chaleur naître aux paumes de ses mains. Seuls les alentours de sa demeure étaient plongés dans l'obscurité ; faisant paraître les lieux pour plus lugubres qu'ils n'étaient. Il n'y avait pas le moindre lampadaire installé à proximité. Les extrémités des doigts de Macee s'enflammèrent. Les techniciens de la ville refusaient de s'aventurer près de chez elle. Le derme de Macee flamba de plus en plus. Des femmes crachaient sur le sol et faisaient le signe de croix quand elles la croisaient. Macee Watehouse bouillait de plus en plus de rage. Plus elle ressassait les messes basses, regards en coin, détritus balancés à sa porte, insultes lancés en pleine figure, plus sa colère arrivait à son paroxysme. Et quand la sorcière se remémora le massacre de son chat, une boule de feu naquit dans ses mains. Elle balança la sphère d’énergie sur un mur. La toile "Pandora" brûla. L’œuvre d'Art, peinte par son fils John William Waterhouse, se consuma comme les méandres de la raison de Macee. La diabolique ensorceleuse maîtrisait tous les éléments. Mais était-ce une raison pour détruire ses biens ? Sa colère devait être tournée vers le village entier. La mauvaise lanceuse de sort cracha : "Vous voulez une bonne raison de craindre une sorcière ? Vous voulez goûter à ma vision de la magie de Noël ? Vous voulez vivre un coup du sort ?"

     Macce Waterhouse ricana. D'un pas furieux, elle traversa une partie de sa demeure. Elle alla de passages secrets en passages secrets. Elle cavala de pièces macabres en pièces macabres. Au bout de dix minutes de déambulations, elle arriva dans une grande salle empreinte de magie et sorcellerie. Il y avait des étagères couvertes de poussière et de toiles d'araignée, des bocaux en verre, des fioles verdâtres et des grimoires sombres.

     Macee Waterhouse trouva un coin où rien ne traînait. Elle créa un cercle avec des cendres d'humains. Elle alluma d'obscures bougies en cérumen. Les mèches des chandelles avaient été prises sur une adorable petite fille blonde durant un soir d'Halloween. La surpuissante sorcière psalmodia :

"Magie de Noël Noire.

Créatures ténébreuses intemporelles.

Magie de Noël Sanglante.

Démons sanguinaires correctionnels.

Déchainez votre furie destructrice sur le monde.

Que la magie de Noël corrompe tous les éléments de pureté.

Que la magie de Noël inonde la ville de monstruosité.

Venez à moi.

Je vous l'ordonne.

"

     Le corps de la monstrueuse lanceuse de sort se tordit. Il s'arc-bouta. Elle hurla, et une gerbe noire sortit de sa bouche. Ses yeux pissèrent le sang. Des serpents ondulèrent dans sa chevelure noir de jais. Sa peau de porcelaine se fissura en écœurantes crevasses. Un effluve nauséabond prit tant d'importance qu'elle fut comme une seconde présence. Un tourbillon noir apparut. Le phénomène surnaturel prit de l'ampleur. Il brisa la lucarne de la salle de magie noire où Macee convulsait en vomissant des volutes sombres. Une brume envahit le village.

     Dans la ville de Pluckley, Noël devint la fête de l'Horreur. Les bonhommes de neige prirent vie. Ils enfoncèrent leurs carottes dans les oreilles des enfants qui jouaient encore dehors. Ils crevèrent leurs tympans. Ils empalèrent les gamins sur leurs balais. Ils gloussèrent en étranglant les mômes avec leurs écharpes. Les guirlandes lumineuses s'animèrent. Elles se tortillèrent et électrocutèrent plusieurs passants. Les infortunés agonisaient. Leurs corps convulsés étaient hissés au sommet du sapin de la place publique. Les anges de l'arbre de Noël leur arrachèrent les bras et les jambes. Dans la chaleur douillette des foyers, les biscuits de Noël en forme de petits bonhommes se rebellèrent. Ils étouffèrent vicieusement les gourmands qui les croquaient. Ces derniers toussèrent à n'en plus pouvoir. Ils peinèrent à respirer jusqu'à ce que mort s'ensuive. Les marrons chauds sautèrent au visage des épicuriens. Ils brûlèrent les visages au troisième degré. Les bûches incandescentes sortirent des cheminées. Elles incendièrent des maisons entières. Les familles, ligotées par les rubans des papiers cadeaux, ne pouvaient plus bouger. Elles n'avaient d'autres choix que de sentir la chaleur des flammes ravager leurs corps. Les rennes du Père Noël chassaient les fuyards. Les bêtes sanguinaires enfoncèrent leurs bois dans des hommes déjà meurtris. Les cadavres furent empalés aux poteaux garnis d'illuminations féeriques sanglantes. Les pères de famille qui préparaient leurs costumes du Père Noël pour divertir leurs progénitures devinrent des Krampus. Des démons hideux, avec des cornes bestiales et la queue du Diable, malmenèrent leurs femmes et garnements.

     La ville fut mise à feu et à sang. Dans toutes les petites rues, tout ne fut que terreur et désespoir. L'infernale sorcière suivie de son chat zombie exultait à la vue des incendies et dépouilles martyrisées. Elle bavait de plaisir et pleurer de rire... Des rivières sanguinolentes. Tel un petit poucet macabre, elle laissait derrière elle, non des miettes de pain pour retrouver son chemin, mais des gouttes de sang pour signer son œuvre. Macee Waterhouse se régalait du spectacle. Ah, la "Magie de Noël" ! C'était un orgasmique Coup du Sort. C'était une admirable vengeance. C'était à cela que devait ressembler Noël. Un bain d'hémoglobine. Et c'est à cela que cette nuit ressemblait dans toutes les villes qu'elle arpenta et... toutes celles qu'elle arpentera.

 Alors, si un jour, vous entendez parler de la "Magie de Noël" fuyez tant que vous le pouvez...