mercredi 23 septembre 2020

 Le nouveau Leatherface

Creepypasta

Le nouveau Leatherface


     Au coin du feu, Sally et Lili, toutes deux cousines se racontent des récits répugnants. Nous sommes en plein hiver et les deux cousines, qui ne se voient qu'exclusivement lors de la période hivernale, instaurent un climat inquiétant. Cette fois, Lili souhaite être la narratrice d'un récit qui fera grimacer d'effroi. Cette conteuse commence cette cauchemardesque chronique.


     Il y a de cela une dizaine d'années, les petits commerçants voulurent se prémunir des vols dans leurs boutiques. Ils installèrent alors, dans des endroits stratégiques, une grande affichette pour prévenir de l'omniprésence des caméras de vidéosurveillance et ainsi mettre en garde les potentiels kleptomanes : « Souriez ! Vous êtes filmés » Cet avertissement ne tomba pas dans l'oreille d'un sourd et fut respecté à la lettre par un homme inquiétant.


     Un individu avait tous les vices possibles et inimaginables. Il était menteur, sournois, agressif et voleur. Le besoin de faire sien ce qui ne lui appartenait pas était à un stade assez élevé. L'être perfide, fantasmait, rêvait, voyait et prenait. Son atroce talon d'Achille était l'alcool. Il s'enivrait nuits et jours de whisky matures et de grands crus d'exception. Il écumait les bars mais, comme l'alcool le rendait encore plus mauvais qu'il n'était, et que de toute façon, il ne payait pas toujours ses consommations, il fut congédié de tous les pubs. L'homme de débauche commença donc à s'imbiber d'alcool à son domicile.


     La déchéance de l'alcoolique fut telle que l'exploitation agricole qu'il tenait et voulait faire prospérer croula très vite sous un tas d'ennuis. Il connut alors des déboires financiers et comme il avait de très mauvaises fréquentations, un ami, qui piquait admirablement en douce des produits onéreux lui confia son astuce. Selon lui : « voler est aussi simple que d'enfiler une écharpe autour de son cou et la dénouer lorsqu'il fait trop chaud » : c'est ce qu'un soir de beuveries son acolyte, le pilier de bar lui confia. Il précisa sa combine : il suffisait de venir dans une supérette avec un foulard autour du cou, le retirer en vaquant dans les rayons, entourer sa main du tissu, saisir avec sa main camouflée l'objet du larcin, cacher rapidement le produit à voler dans l'écharpe, puis finir par cacher le butin à l'intérieur de l'écharpe tenue dans la main : ni vu, ni connu.


     L'astuce fit son chemin dans l'esprit, pourtant imbibé d'alcool de l'apprenti voleur. Il répéta encore et encore ce stratagème pour piquer de petites bouteilles d'alcool qu'il s'enfilait une fois rentré chez lui. Mais très vite, les larcins prirent une drôle de tournure. Dans chaque anecdote, il existe un point de bascule, un moment du récit où tout sombre au cœur des atrocités et cela est d'autant plus vrai lorsque le protagoniste n'a aucune limite.

     Les petites boutiques, régulièrement dévalisées, par l'homme au foulard étaient modestes et ne comptaient ni vigiles, ni antivols. Les gérants décidèrent alors d'installer une petite caméra de vidéosurveillance et cette pancarte, qui dissuaderait de toutes velléités de vols : « Souriez, vous êtes filmés ». 


     Le voleur n'eut pas la crainte lucide et logique d'être, à la longue enregistré et reconnu, sur les bandes vidéo, mais il fut frappé par une peur bien plus indicible et ridicule. Le fou n'était pas aidé par Dame nature et avait, au lieu d'un doux visage, un faciès grotesque et inquiétant. A cause des mélanges d'alcools et drogues divers, le dingue ne contrôlait plus ses tics. Il avait la moitié de la bouche difforme qui tirait vers le bas et tremblotait nerveusement en permanence. La moue était baveuse et hideuse. Une malformation importante empêchait l'inquiétant voleur de prononcer des paroles claires, ses expressions vocales n'étaient que ricanements et grognements. Le tableau de la monstruosité était au complet. Tout en lui n'était qu'effroi et grotesque : il avait en guise de corps, une masse grosse, lourde et maladroite. Afin d'accompagner l'absence de grâce dans le mouvement, de facilité d'expression, le monstre était frappé de cet handicap : il ne savait pas sourire.


     Il fut alors à un terrible tournant dans sa carrière de voleur et se mit en tête de dessiner un avenir bien plus atroce... 


     Le maniaque était peu intelligent mais connaissait beaucoup de contacts plus vicieux et plus habiles que lui, il ébruita alors une rumeur aux oreilles des délinquants en qui il avait le plus confiance : ensemble, ils allaient assembler leurs connaissances et voler des sourires...


     La nuit tombée, un terrible trio s'introduisit avec finesses et intelligences dans l'inquiétant service d'une morgue. Les trois affreux se constituaient d'un habile cambrioleur, d'un fou de médecine et du voleur de sourire. L'alcoolique n'avait pas bu le moindre verre pour s'assurer les gestes sûrs qu'on lui avait maintes et maintes fois appris. Il ne fallait pas se louper : une glacière transportant un récipient rempli de formol attendait son dû. Entre les différents tiroirs argentés où avaient trépassé les défunts, il hésita. Mais, quand il vit la blonde décédée d'un infarctus, il eut le coup de foudre et sut que c'était une partie d'elle qu'il voulait emporter. Son sourire, à elle, tirait gracieusement vers le haut. Ses lèvres étaient fines et vénusiennes. La bouche en cœur parfaitement dessinée.


     Voilà une aubaine : secrètement, l'effroyable fou avait toujours voulu se glisser dans la peau d'une femme. Le voleur de sourire sortit son arme la plus tranchante et, dans une mare de sang et de bruit spongieux de chair découpée, se mit au travail. Sous la surveillance du dingue de médecine, il incisa les couches de dermes précises, détacha minutieusement centimètres de peaux par centimètres de peaux jusqu'à créer l’œuvre de sa vie qui illuminerait le restant de ses jours de son atroce aura. Il effleura la beauté morte, sentit la peau de la défunte et en gloussant porta son précieux à son propre visage. Dans la morgue, un monstrueux mythe naquit.


     Une semaine après, une odeur de charogne, de viande avariée planait dans une petite épicerie. Une drôle de silhouette ondulait des hanches mais vacillait sur des hauts talons. La femme blonde aurait pu être sexy mais en réalité, elle était plutôt inquiétante. Son visage ondulait légèrement par endroits. Personne ne le vit vraiment, mais des asticots gigotaient aux coins de la bouche et la blonde qui ne savait qu'en faire les aspirait et les avalait La mort imprégnait tous les pores de la peau, mais qu'importe car enfin la créature... souriait. 


     Au fil des mois, l'être alambiqué devint une effroyable rousse, une étrange brune. Une femme chaque fois différente qui transportait toujours avec elle un sourire glacial et figé, un masque de courtoisie qui la faisait passer inaperçue. Du moins, était-ce ce qu'il pensait. 


     Car à l'approche des fêtes de fin d'année, les plus modestes supérettes furent prises d'assaut. Les clients se heurtaient, se poussaient, jouaient des coudes. Une grande femme à la chevelure d'or se fit bousculer dans la cohue. Elle tomba violemment sur le dos. Un pied pressé piétina la blondeur. Et l'horreur eut lieu. Une mèche de cheveux céda. Au lieu d'un cuir chevelu rouge sanglant, un derme vert puant et couvert de moisissure fit son apparition. La cauchemardesque créature tenta de réajuster la curieuse peau de son visage. Mais elle ne réussit qu'à déplacer le faciès féminin trop sec et figé. Alors le masque tomba dans une cohorte de larves de mouches et de vers amalgamés dans des couches verdâtres. Le souriant visage laissa place au grotesque et monstrueux faciès à la lèvre pendue et tremblotante. La face inhumaine avait atteint le sommet de l'épouvante : par endroits, la peau était brûlée, calcinée par le formol qui conservait tous les sourires volés dans les morgues. Le monstre grogna des paroles incompréhensibles et bava la substance poisseuse et putride du masque. Il secoua la tête en grondant et tenta de réajuster sa toute première identité blonde mais le derme mal conservé était devenu importable et inutilisable.


     Confronter son apparence difforme aux yeux de la société, lui fit davantage perdre l'esprit. Le malade se saisit d'un couteau caché dans sa poche et agressa toute la clientèle. Dans un délire hallucinatoire, il pensa que son couteau aiguisé était une dangereuse tronçonneuse électrique. Il vocalisa et singea le bruit électrique tonitruant en tranchant des bras, des jambes et des cages thoraciques. Il imagina son supermarché de l'horreur en coupant des têtes et en les disposant sur les étals des fruits et légumes. Il s'amusa et fut à la fois charcutier et maraîcher.


     Après cette terrifiante tuerie, il … parvint à se sauver et échappa aux forces de l'ordre. Pendant des semaines, une chasse à l'homme fut menée sans grand succès. Puis, une autre affaire recoupa la principale : des locataires se plaignirent d'une puanteur asphyxiante qui venait d'un petit studio loué en centre-ville. L'appartement fut minutieusement fouillé. Aucun employé qui y mit les pieds ne sortit mentalement indemne de la macabre découverte.


     Le domicile était puant d'odeurs immondes, de substances glissantes, et de trophées étranges. Le sol était couvert de larves de mouches qui explosaient avec des odeurs écœurantes et menaçaient de faire tomber les agents de police. La pièce principale était emplie de sons de bestioles volantes en tous genres. Des cafards couraient entre les pieds aventuriers. Dans la cuisine, le laboratoire de l'horreur fut découvert. L'atelier du célèbre docteur Frankenstein, s'il avait vraiment existé, aurait été plus soigné. Au milieu de livres médicaux, des tas de bocaux de formol trônaient. Des scalps humains féminins y étaient, la plupart étonnamment bien conservés. Quant aux échecs laborantins, ils étaient sur des socles, les peaux pourrissaient et abritaient tout un écosystème. Les effluves écœurants émanaient de ces masques féminins, grouillants de vie de coléoptères, au stade de pourritures avancées. Une trentaine d'autres visages, de nouvelles identités à enfiler. Comble du cauchemar et de l'incompréhension, une tenaille et un marteau ensanglanté, jouxtaient trente-deux dents humaines.


     Les inspecteurs firent le lien avec les tragiques disparitions des corps dans les morgues de la ville et la tuerie de la supérette. Par contre, le coupable de ces affaires ne fut jamais retrouvé, il s'évapora dans la nature. Nul ne sut comment, personne ne sut sous quelle identité. Dans les médias, le tueur en série fut surnommé le nouveau Leatherface.


     Lili finit de conter cette histoire lugubre avec un soupir désabusé. Étonnée, Sally lui demande où elle a entendu cette horreur. Ce récit est répugnant, dingue, dépasse même le célèbre film : « Massacre à la tronçonneuse ». Au loin un bruit réellement flippant, fait sursauter Sally. Alors qu'elle se serine que le précédent récit n'est pas réel mais juste une invention issue d'un cerveau dérangé, sa cousine retire l'écharpe écarlate qu'elle porte trop souvent. Elle sourit sournoisement et lève lentement la tête pour exhiber... sa cicatrice : un fin stigmate peu assuré, zigzagant, flou qui couvre le long de sa mâchoire et épouse la courbe de son menton. Nerveusement, elle remet son foulard et se dirige vers la porte du salon qu'elle ferme à clé. Elle accompagne son action d'un aveu : il a juré de l'épargner si elle l'aide à trouver un nouveau visage souriant et heureux.


     Interdite, Sally se lève et regarde le bar dans le salon où un tas de bouteilles d'alcool attendent d'être consommées : d'excellents whiskys, de grands crus. Son regard longe le mur et effleure ensuite une photo de son étrange cousine avec, vraisemblablement, un membre de sa famille. La photographie encadrée est dissimulée dans un coin de la pièce. Un homme qu'elle n'a jamais vu, a un geste possessif sur les épaules de Lili, et regarde méchamment l'objectif. Le plus angoissant est le bas de son visage : il grimace une moue hideuse avec un rictus en coin qui penche péniblement vers le bas. Toute la moitié du visage est figé en une répugnante expression et immortalisé à jamais dans une colère sans limite. Pendant que Sally comprend péniblement, que le nouveau Leatherface est réel et sans doute le père de Lili, elle entend un bruit électrique effrayant, émanant du film d'horreur le plus terrifiant. La source du vacarme est une tronçonneuse électrique qui s'acharne et lacère la porte en bois du salon.


     Bien qu'interdite et choquée par l'effroyable embuscade dans laquelle elle est tombée, Sally quitte la pièce et court dans le couloir, elle déboule dans une pièce couverte des posters d'une célèbre saga cinématographique avec un psychopathe à la tronçonneuse. L'imitation pousse plus loin : face à elle est posé sagement le corps d'une femme comme momifié, gelé dans sa jolie mort. Sally avise une fenêtre qui se brouille progressivement. Elle avance vers elle dans un flou inquiétant. Son pied se bloque dans un piège à ours et les mauvaises mâchoires croquent la chair du bas de la jambe dans un bruitage de peau mordue et d'os brisés. Sally ne lutte point pour se dégager mais au contraire s'évanouit.


     Une heure après, Sally, qui avait vraisemblablement été droguée par la nourriture de sa cousine, sort de sa torpeur. Elle est attachée par d'épaisses cordes poisseuses d'immondices. Lili lui intime l'ordre de sourire car elle est filmée. Cette folle pointe une caméra sur la malheureuse captive sur la table de la cuisine. L'abomination, arrive. Le nouveau Leatherface se tient près d'elle un couteau rouillé à la main et un marteau dans l'autre. Bubba Sawyer, le héros de « Massacre à la tronçonneuse », avait toujours eu des masques de cuir humains angoissants, mais cela n'était rien comparé à la nouvelle grandeur de la perversité. Le nouveau Leatherface a la figure la plus dégoûtante et effrayante qui existe : les oreilles du déguisement humain ont été travaillées en pointes, les dents remplacées par une dentition animale, trop grande, trop pointue, trop sanglante, trop moisie. Les pommettes du visage sont exagérément en relief ; les yeux vicieux, déformés. Le démentiel accident de la nature pousse un grognement et commence le long et violent massacre de Sally. Il martèle les membres inférieurs, casse chevilles, rotules, tibias et fémurs : rien n'est épargné. Souhaitant préserver certaines parties tendres du haut du corps, Leatherface coupe délicatement la viande pendant une bonne heure assurant à Sally un voyage progressif et insidieux au cœur du massacre le plus réel et horrible qu'il soit.