mardi 20 octobre 2020

 Les Décorations d'Halloween

 

J'aurai tant voulu que les choses soient différentes mais il faut croire que l'art de la divination avait été éteint en mon sein. Je n'avais pas vu le malheur arriver qui s'abattit sur ma fratrie telle la foudre. Et dire que j'avais juste voulu fêter Halloween...


    

     J'aurai tant voulu que les choses soient différentes mais il faut croire que l'art de la divination avait été éteint en mon sein. Je n'avais pas vu le malheur arriver qui s'abattit sur ma fratrie telle la foudre. Et dire que j'avais juste voulu fêter Halloween... 

 

     À la mi-Octobre, j'admirais le défilé de monstruosité dans une émission télévisée. C'était Halloween dans moins de deux semaines et tout ce qui passait à la télé tendait à nous le rappeler.

     "Des bonbons ou un sort !" Un bruit sourd accompagna la voix enfantine et fluette qui était celle de ma benjamine Mona. Elle sautilla dans ma chambre. Déguisée en vampirette, elle imagina qu'avec ses petites ailes de chauve-souris elle parviendrait à voler. Elle captura l'idée de fêter Halloween ensemble à la fin du mois. Mais nous étions trop jeunes : Mona avait six ans, et moi, Sybille n'en avais que douze. Arpenter les rues et toquer aux portes entre sœurs, était dangereux mais accompagnées d'une grande personne, cela aurait été possible.

 

     Nous courrions voir ma mère qui était, comme toujours, très occupée à la cuisine. Nous insistions une bonne partie de la journée. Mais elle refusait toujours et comme elle en eut assez au bout d'un moment, elle eut une solution qui tenait en trois mots : Elphaba à Albbe.

 

     C'est ainsi que nous entreprenions notre premier voyage, pour passer la fête de l'Horreur qui arrivait, à Albbe chez Elphaba notre grand-mère que nous n'avions jamais vue.

     La demeure victorienne était immense et surtout vétuste. Les bardeaux grisâtres des murs menaçaient de se détacher. Le toit était aussi gris et guère en meilleur état.

 

     Des épouvantails mal recouverts de sacs-poubelles encadraient l'ancienne porte en pierre à laquelle nous toquions. Les décorations lugubres tremblaient sous la force du vent.

     Très rapidement, une vieille dame vint nous ouvrir. Elle était grande, osseuse, courbée sous le poids des années. Elle grimaça un sourire et croassa une grinçante bienvenue.

 

     Si vous souhaitez un jour être écœuré par la période fétiche d'Halloween, allait séjourner à Albbe chez notre grand-mère. Cette vieille femme était spéciale à plus d'un titre. Elle aimait vivre au milieu des mauvaises odeurs et de la crasse. Les personnes âgées ont des logis pas toujours briqués, qui sentent le renfermé. Mais chez Elphaba, la puanteur et l'état des lieux étaient répugnants. Nous y mangions de la soupe pendant plusieurs jours. Mona rigolait en disant que c'était de la "tambouille de sorcière".

     Je ne pourrais vous dire à quel point elle avait raison. 

 

     Les jours filèrent. Elphaba était dans l'expectative du jour d'Halloween. Cette date était précieuse et lui permettait de, selon ses dires : "garder l'essence de la vie avec elle". Pour célébrer au mieux la vitalité, Elphaba organisa un jeu de piste dans sa vieille maison. Mais avant... Elle nous proposa une montagne de sucreries et autres chocolats faits maison. Nous étions tellement gavées des infâmes potages que nous acceptions sans réfléchir.

 

     Une heure après, nous avions assouvi notre gloutonnerie, enfin plutôt, ce qu'Elphaba désigna : "le dernier repas des condamnées". Vraiment si nous avions su...

     Mais pour l'heure, les meilleurs déguisements d'Halloween les plus affreux et les plus réalistes étaient dissimulés dans la maison et n'attendaient que nous.

 

     Durant une heure, les pas incertains et les idées troublées par l'excès de sucre, nous cherchions les affreux trophées dans toute la maisonnée. Alors que nous allions laisser tomber, nous trouvions une petite porte qui menait au grenier. Explorer cette pièce ne fut pas aisé, d'abord, car la porte était bloquée et ensuite, puisqu'au seuil de la pièce, nos pieds se placèrent sur une vieille ligne de clous rouillés. Nous hurlions de douleur en sentant le métal se ficher dans les plantes de nos pieds. À moitié sonnés, nous claudiquions à l'aveugle. Et le pire se produisit, les planches pourries du sol cédèrent nous faisant chuter d'un étage.

 

     Pourtant nous avions gagné. Nous avions trouvé, sans vraiment chercher, les trophées. Nous étions les malheureuses gagnantes des costumes d'Halloween plus vrais que nature. Malheureusement, nous ne pourrions pas aller parader avec dans les rues. Et les élancements douloureux dans nos pieds n'y étaient pour rien.

 

     "Trop pourris ! Inutilisables ! Bons à remplacer ! Poubelles". Elle ronchonna en jetant au loin l'intérieur de deux sacs-poubelles. Les étranges décorations de l'entrée. Elle grimaça un : "c'est à vous" .

     Elle commença par Mona. Guillerette, elle plaqua sans ménagement ma sœur dans le sac-poubelle. Elle frappa régulièrement ma sœur qui remuait en lui intimant le silence. Elle déplaça et cassa des petits objets. Comme des bruits de... végétation. Des brins d'herbes séchées qui se briseraient.

     Quand elle eut fini, elle retira le sac-poubelle et exhiba fièrement son œuvre d'Halloween. Mieux qu'un déguisement, une terrifiante œuvre d'art vivante. Un épouvantail qui remuait et cachait en son atroce centre ma sœur. Elle me réserva le même sort.

 

     Toute la nuit d'Halloween, dans la ville d'Albbe, nous fûmes piégées dans des épouvantails lugubres. Le calvaire dura bien après que le mois d'Octobre fusse fini. J'ignorais par quel miracle, mais nous étions encore vivantes après nos délivrances. Dans la ville d'Albbe, en attendant une autre fête de l'Horreur où nous ferons office de décorations, nous furent remisées de côté au grenier. Et dire que nous avions juste voulu fêter Halloween.

mardi 6 octobre 2020

La dernière zombie Walk  


Vous aimeriez aller à une zombie walk ? Méfiez-vous derrière les déguisements, nul ne sait ce qui peut se cacher !
 

     Vous aimeriez aller à une zombie walk ? Pour ma part, oui ! Je suis passionnée par ces défilés de monstruosité. J'en profite je suis insouciante et n'ai que 18 ans ! Soyez jaloux et envieux si vous voulez ! Je croque la vie à pleines dents, surtout aujourd'hui qui voit naître ma toute première zombie walk. Je suis excitée comme jamais, et trépigne d'impatience. J'ai tout anticipé, l'endroit où je vais retrouver mes amis, mon costume de militaire un peu sexy et mon make-up de zombie. Mes parents aussi ont prévu quelque chose. Ce matin, ils ne sont pas là. Rien de grave, ça leur arrive souvent. Tant mieux pour moi, j'ai la belle vie et suis libre de découcher comme je le souhaite et rentrer de soirée torchée comme pas possible.


     Ma matinée passe lentement, je me prépare semant une pagaille apocalyptique dans toute la maison et pars rejoindre mon ami Michael au centre commercial. J'aurai pu être à la bourre, pas grave j'aurai été en retard et Mike n'aurait eu qu'à m'attendre ! J'aime jouer les divas, appelez-moi désirée. Mais les routes sont si calmes et désertes, que pour la première fois, de ma vie, j'arrive à l'heure. Je patiente donc dans ma voiture en écoutant une musique Break the lies de Tigerberry.. Alors que je m'imagine dans une salle de concerts aux métal cinglants, j'aperçois dans le rétroviseur mon ami Mike qui court comme si sa vie en dépendait. Il est incroyable, habillé comme son idole Michael Jackson dans le clip Thriller. Arrivé à la hauteur de ma voiture, il ouvre ma portière à la volée, saisis vite ma main et aboie un « magne toi, on bouge ». 


     Je ne traîne pas dans mon véhicule car je vois trop vite au loin une marée cauchemardesque qui approche près du parking : des choses grondantes et décharnées à la démarche saccadée. Mike gronde des : « merde, merde, merde » et se précipite vers les grilles métalliques du parking qui sont bloquées. Je ne comprends pas son manège, la zombie walk a commencé mais ce n'est pas une question de survie juste une partie de plaisir. J'entre quand même dans son jeu et cours vers lui en riant : « Pas possible, ils ont mis la barre haute pour que ça soit crédible et ont engagé des figurants ! Énorme ! » Paniqué, il m'intime l'ordre de l'aider à pousser la grille coulissante du parking pour leur couper le passage. Comme on galère trop, on finit par abandonner et courir dans les galeries du centre commercial. 


     Au sein du supermarché, il y a cette musique d'ambiance diffusée dans tous les magasins un peu avant Halloween. L'atmosphère est sacrément angoissante. Pas un client, pas un bruit à part les monstrueux feulements lointains. Mike m'ordonne de me dépêcher car « ils » vont réussir à forcer les portes. C'est gentil de me prévenir, mais j'aimerai qu'il m'explique qui sont ces « ils » mais nous n'avons pas le temps car les événements s'enchaînent. 


     Michael cherche, comme si sa vie en dépendait, des objets « pour se défendre » sur les étals du supermarché. Je traîne à l'arrière à la recherche d'un réseau sur mon portable et... tant mieux pour moi car très vite, une étagère tombe avec fracas sur la moitié du corps de mon ami. Ses jambes sont bloquées au sol, brisées dans une mare de sang. Mon complice me supplie de l'aider à se déloger. Il est affolé et moi aussi car une monstruosité se tient face à moi. Elle pourrait être une actrice de la zombie walk sauf que non : elle n'est ni grimée, ni maquillée. Le monstre a un regard morne sans vie. Le visage, les bras, les jambes toute la peau est bleuâtre, verdâtre comme à un stade de pourriture avancée. Il traîne son corps avec lenteur et grogne. Un filet de bave tombe sur mon ami coincé sous les étagères. J'aurai pu le sauver mais ce qui se déroule est si affreux qu'il me faut un moment pour réagir. La chose nécrosée, vêtue comme une fêtarde, saute sur mon ami Michael et dévore... son nez. Dans un autre contexte, j'aurai trouvé la rhinoplastie gracieusement offerte ironique. Les dents du mort-vivant mordent la chair, et arrachent, dans un mélange de sang, l'appendice nasal de mon complice qui vocalise des cris de douleur. 


     Je recule en gémissant et alors que le zombie relève la tête en aspirant goulûment un lambeau de chair, je fuis. Je suis sans doute un monstre, d'abandonner mon copain à son triste sort mais quand je jette un coup d'œil en arrière et vois le mort ambulant déchirer les narines grignotées de Mike et élargir le trou béant du visage, j'accélère le pas. 


     Dans un univers d'horreur renforcé par les cris de désespoir, les sons de vitrines brisées et les grondements bestiaux, j'arrive dans la petite pharmacie du centre commercial. J'y ai fait un stage et je sais que la salle du personnel possède un téléphone fixe pour appeler n'importe qui à l'aide. Même si partout le show de l'Horreur déploie ses griffes, ici la monstruosité est pire qu'ailleurs. 

     Une jeune et jolie blonde lorgne le plafond d'une pièce de la pharmacie en grondant. Elle joue avec une ampoule nue et tente d'attraper la lumière en singeant des paroles. Un zombie, attaché par une chaîne trouvée je ne sais où, se débat dans un coin de la pièce. Cette créature cauchemardesque est Boubou : un ancien collègue que j'ai toujours trouvé enveloppé et bouboule, d'où le surnom. Il est plus hideux que jamais. Il secoue sa puissante corpulente en poussant des bruits de bête enragée. S'il se libère s'en est fini de moi et de la blonde, qui est au centre de la pièce. D'ailleurs la jolie fille sent enfin ma présence. 


     J'aurai préféré qu'elle ne le fasse pas. Car elle tourne sa figure inexpressive vers moi. La moitié de son visage est dévoré. Un œil pend au bout de son nerf optique, l'autre est griffé et déverse une substance blanchâtre. C'est horrible. Mais j'ai pire pour votre déplaisir. Je connais cette blonde : c'est Taylor, ma sœur . Tous les souvenirs de fratrie éclatent dans mon esprit mais je ne dois pas m'y accrocher car l'ancienne Taylor est morte ce soir. Un zombie a arraché son humanité, a dévoré sa chair et son innocence et a remplacé ma sœur adorée par une chose puante, putride, à punir et éradiquer le plus vite possible. 


     Le téléphone que je cherchais pour appeler à l'aide me saute aux yeux. Mais pas de SOS, je ne suis pas une victime, c'est moi qui dicte les conditions. Le combiné pourrait être un gadget mais dans ma main vengeresse il est une arme redoutable. Mon premier martyr est Boubou enchaîné au mur. Je jurerai qu'il me reconnaît car un éclat de compréhension illumine son regard. Je fais voler le téléphone vers son visage, éclate ses pommettes putrides, fracasse sa boîte crânienne dans une bouillie de cerveau. Enfin, Boubou rend son dernier non-souffle dans un geste qui ressemble à un salut. 


     Maintenant, je me penche sur le cas de Taylor. Jusqu'ici, je me contentais de repousser ses faibles assauts d'une main. D'ailleurs, elle m'a mordu à maintes reprises. Mais peu importe, le sort de ma sœur prime sur le mien. Je la libère de sa condition. Je fais ça salement et vite. Comme avec mon premier zombie, je déforme et défonce la boîte crânienne dans des bruits d'os brisés entrecoupés par les plaintes de Taylor qui, bien vite, ne bouge plus. 


     Les choses ne sont ni noires, ni blanches mais toutes nuancées de sombres teintes grisâtres.

     Je suis une douce criminelle qui se souviendra toujours de ce temps. Enfin, sauf quand je me transformerai moi-même en zombie, car je connais mes classiques de l'Horreur : films de Romero, séries à la Walking Dead. J'arrive à rentrer chez moi en tentant d'ignorer l'univers de désolation qui a ravagé ma ville. Je ne vous dirai pas la manière dont je me sens, mais je suis dans un état proche du coma. Je ressens des douleurs partout et suis tellement épuisée qu'une fois arrivée à la maison, je m'écroule sur mon lit.


     Quand je me réveille, j'ai mal partout mais je suis toujours en vie. Alors, que je descends à la cuisine, je stoppe net en voyant ma mère sirotant son café. Elle porte la tenue de l'hôpital où elle a dû travailler toute la nuit. Elle est épuisée mais entière et, rassurée, elle me dit : « Ma chérie, heureusement tu es là et n'as rien... C'était épouvantable, les urgences ont été envahies de patients drogués venant d'une rave party. La plupart étaient des junkies de longue date. Ils avaient la peau en décomposition sur tout le corps, et des pieds nécrosés qui leur donnaient des démarches de morts-vivants. Ils essayaient de...manger les infirmiers et grognaient au lieu de parler. Mon dieu, si tu avais vu leurs états. C'était horrible. Un vrai cauchemar comme ces trucs que tu regardes à la télé. C'est à cause de ces drogues. Les ... Mince c'est comment déjà... - Elle fait des gestes évasifs en cherchant ses mots, choquée je comprends l'implacable réalité et lui murmure ce dont il doit être question - Oui, c'est ça : la drogue du Krokodil et ces sels synthétiques, le flakka . Enfin, toi, tu n'as rien. Tout va bien maintenant ma chérie. »


     Non. Ça ne va pas. Je voulais juste une zombie walk effrayante, mais j'ai été galvanisée par mon imagination. J'ai laissé Michael se faire dévorer par un simple humain shooté à cette flakka, cette drogue du cannibale et pire, que tout, j'ai charcuté ma propre sœur. Vous, oui, vous, qui me lisez ! Vous aimeriez toujours aller à une zombie walk ? Méfiez-vous derrière les déguisements, nul ne sait ce qui peut se cacher !

 

Œil pour œil, dent pour dent

 

Aimez-vous boire un peu d'alcool ? Oui ? Pour faire la fête avec des convives ? Pour vous enivrer seul chez vous ? Prenez garde, la nuit d'Halloween échauffe les esprits imbibés d'alcool et provoque de terribles engeances !


     Le soir d'Halloween, Iëlof noyait sa solitude dans l'alcool. Elle cherchait le bonheur dans sa bouteille, à tel point, qu'elle finit par tomber dedans et se perdre dans son ivresse. Agacée par tous ces enfants qui venaient toquer à sa porte, elle but cul sec la fin de son médoc. Bien éméchée, elle se comporta de manière étrange. Elle éteignit la lumière, et dans la quasi-obscurité, se dirigea vers sa cheminée pour affaiblir le feu avant d'aller se coucher, mais Méphisto, son chat, vint se plaquer contre ses jambes en ronronnant. Imbibée par trop de boissons, Iëlof, s'emporta. Elle donna un vicieux coup de pied dans le corps du pauvre chat qui revint à la charge vers Iëlof sauf que cette fois-là, il ne quémandait pas de l'attention, mais voulait se défendre. Il enfonça ses dents dans la jambe de l'alcoolisée qui se perdit un peu plus dans la fureur. Iëlof secoua ,alors sa jambe avec force et colère augmentant l'ire de Méphisto qui planta ses griffes dans les membres inférieurs de sa chère maîtresse et grimpa toujours plus haut en feulant. Une fois arrivé à l'endroit le plus tendre du corps, le chat presque possédé, mordit dans la chair appétissante. Il arracha une parcelle de peau en ronronnant, la mâchonna, puis comme le goût ne lui convenait pas il recracha le derme sur le sol en sifflant.


     Revancharde, Iëlof prit alors une corde et un marteau remisé dans sa boîte à outils près de la cheminée. Elle parvint à attacher Méphisto, qui se débattait tel le prince des enfers. Ensuite, elle saisit le marteau et cassa toute la denture de son chat. Elle chantonna une mélopée Halloweenesque macabre et engonça toutes les dents du félin dans... sa citrouille.

     Une année passa, Iëlof buvait de plus en plus à tel point qu'elle s'enfermait dans un univers de déboires et cauchemars. Elle sentait une présence constante et pensait entendre des bruits perdus dans la nuit. Cette psychotique ressentait même des douleurs fantômes pulsant dans ses membres inférieurs, comme de petites piqûres qui aiguillonnaient son épiderme. Une menace planait dans son esprit embrumé par l'alcool et hanté par une entité. Au fil du temps, la raison de Iëlof s’abîma dans l'hystérie.


     Le soir d'Halloween arriva avec, dans la ville, tous ses petits démons porteurs de malédictions...

     Le 31 octobre, après avoir descendu une bouteille de vinasse, Iëlof entendit un bruit rauque. C'était à mi-chemin entre le feulement d'un animal étouffé et le grognement démoniaque. Elle choisit d'ignorer cette atrocité auditive et s'attela à la décoration de son potiron mais une chose l'empêcha de continuer. D'énormes griffes lacérèrent son cuir chevelu et une force démoniaque fit s'abattre encore et encore son visage sur la table. Pendant qu'Iëlof crachait du sang, elle entendit une alternance de miaulements courts et rapides dans des octaves différentes. L'alcool fit délirer Iëlof qui entendit... : "dent pour dent"! Le carnage dura de longues minutes durant lesquelles le nez fut aplati, les pommettes éclatées, et les dents brisées.


     Quand le massacre du visage de l'édentée fut fini, une créature cauchemardesque se dressa devant elle : un gigantesque corps félin puissant, avec la tête d'une citrouille. Le cauchemar se troubla et une chimère bien plus infernale que la première se dessina. Un monstre avec un visage putride écorché par des doigts fuselés finissant par des griffes ; des cornes de bouc ornaient sa terrifiante tête. L'abomination feula dans une exhalation pestilentielle : « Je suis l'esprit qui toujours nie ; et c'est avec justice : car tout ce qui existe mérite d'être détruit, il serait donc mieux que rien n'existât. Je suis Méphistophélès, roi de la sombre justice qui bénit l'inexistence. Je suis tapi dans les vices et attends la nuit de Samain pour assouvir la vengeance. Tu pourrais donner ton âme au Diable, mais il est trop tard, Lucifer n'en voudrait pas. »


     La monstruosité miaula : "œil pour œil" et de ses griffes acérées, piqua les globes oculaires et les délogea dans une mare de sang. "Dent pour dent", elle récupéra ensuite toutes les dents cassées sur la table et créa la citrouille la plus effroyable qu'il fut donné de voir... Une citrouille d'Halloween avec des dents et des yeux humains. Le symbole Halloweenesque et maléfique prit vie sous les ordres de Méphistophélès. Ensuite, la citrouille s'appropria tous les os de Iëlof et fit naître de l'ossature humaine des squelettes sordides et dansants. Dans une symphonie macabre, la cohorte démoniaque se déversa dans les rues à la recherche de nouvelles victimes à venger.

mardi 29 septembre 2020

L'inquiétante autre  

 

L'inquiétante autre

 

     Ma vie est magnifique. Je n'ai aucun souci de l'existence, aucun tracas. Je me présente, je m'appelle Dolores. Oh, je sais ce que vous allez croire : vous allez imaginer que j'ai un certain âge. Mais en réalité, je fais partie d'une génération moderne. Je porte juste un nom désuet car dans la famille, la coutume veut que les prénoms des anciens soient donnés à leurs petits-enfants. Je me nomme donc Dolores, comme ma grand-mère. Une vieille dame adorable, mais qui est malheureusement défunte. Elle est morte il y a deux mois, elle a fait un petit malaise et dans sa malchance est tombée tête la première sur le sol. Je le sais car j'étais présente. C'était un événement particulièrement traumatisant. Je garderai toujours un souvenir ému d'elle, car elle continue à vivre dans mes souvenirs, bien profondément ancrés en moi.


     J'habite dans un joli coin sans histoire, dans la petite ville de Stanne. Je vous vois venir, pas la peine de me demander où cette petite ville se situe, le patelin où je vis est difficilement médiatisé et mis en avant. Mon studio est clair, spartiate et épuré. Vous savez, j'adore la couleur blanche, ce symbole de pureté et d'innocence. Mon appartement est donc lumineux et a une décoration sommaire, je m'y sens comme dans un cocon.


     Ma vie est également illuminée par la présence constante de mes voisins. Il y a Denis et Anne, le couple de trentenaires. Et Andrew et Teddy, les locataires vivant à un pâté de maisons. Bien qu'ils soient assez loin de chez moi, je les entends hurler. Je crois qu'ils se disputent sans cesse et que leurs colocs ne se passent pas très bien. Mais Denis et Anne me font garder foi en l'amour et en l'humanité. Ils me rendent souvent visite et comme ils sont adorables, ils ne viennent pas les mains vides et apportent des sucreries, des petits bonbons multicolores un peu comme des Smarties. Je serai incapable de vous dire ce que c'est car je ne les mange pas : les friandises provoquent trop de caries.


     Mon existence est faite d'émerveillement. Enfin, était car tout a changé depuis que mon chemin a croisé le sien. À l'instant où nos regards se sont croisés, tout a basculé. Je n'exagère rien. Une folle me suit. Lorsque je la vois, elle me regarde sournoisement et murmure entre ses dents des paroles incompréhensibles et menaçantes. Son comportement n'est pas la seule chose étrange, elle est effrayante par son aspect. Ses yeux sont toujours fixes, elle ne cligne jamais des yeux. Son âme semble rongée et paraît se disputer colère et incompréhension. Je l'ai surnommé : « l'inquiétante autre ».


     Je commence à avoir peur d'elle, de mettre le pied hors de mon abri de pureté. Car elle sait où j'habite, elle toque à ma fenêtre de façon inquiétante et griffe les murs extérieurs. Un familier l'accompagne : un corbeau qui croasse créant un calvaire auditif toute la nuit. Comme je cauchemarde chaque rencontre, je sors peu, fais de maigres courses alimentaires et mange moins. Je perds de plus en plus de poids à un tel point que Denis et Anne me rendent visite de plus en plus souvent avec toujours davantage de friandises. Ils finiront un jour par me parler de l'inquiétante autre.


     Ne serait-ce qu'aujourd'hui, quelque chose cloche, le couple qui me rend sans cesse visite semble progressivement éteint, inquiet. Je crois qu'ils sont eux aussi embêtés par la folle au corbeau. Maintenant, je vois mes voisins et amis assis face à moi qui n'osent pourtant pas me regarder. Comme ma curiosité me démange, je demande s'ils l'ont vu également mais ils ne trouvent rien d'autre à faire que me questionner sur... l'état de mes mains. Les phalanges sont éclatées, les ongles fissurés. Mais rien de dramatique. Je veux dire pourquoi s'attarder sur cela.

     Alors que je tente d'échanger calmement avec mes convives, j'entends l'inquiétante autre qui hurle dans la pièce et casse tout le mobilier. Comment est-ce possible ? Ils ne l'entendent pas, ne la voient pas ? Mal à l'aise, je gigote continuellement et alors que je pense que mes invités vont prendre peur à leurs tours, ils avancent simplement vers moi, m'immobilisent et enfoncent un objet pointu et douloureux dans mon bras.


     Le monde est étrange. Je me réveille dans un grand lit frais et pur. Autour de moi, tout est blanc mais je ne suis pas rassurée car je ne suis pas chez moi. À mes côtés, une voix crie, elle est réveillée et consciente. Quant à moi, ma gorge est en feu comme si j'étais allée à un concert de métal et avais scandé avec violence les refrains des musiciens.Des pas précipités se font entendre à l'extérieur de la chambre et mes chers Denis et Anne entrent grimés... en habits d'infirmiers. Qu'est-ce-qu'ils foutent ?


     Mon monde était merveilleux jusqu'ici mais maintenant je suis éloignée dans un îlot fermé de folie. C'est cela l'univers, tout ce qui est autour de moi est devenu dingue. Car Denis et Anne jouent des rôles qu'ils sont persuadés de tenir depuis le début. Ils m'informent qu'ils font partie du corps médical et posent leurs diagnostics. J'aimerai faire interner mes amis dans un hôpital psychiatrique car leurs états me font peur. Ils sont cloîtrés dans un délire étrange et m’apprennent... que je suis une patiente de l'hôpital St-Anne depuis deux mois. Les faux médecins continuent en certifiant que je suis atteinte de schizophrénie avec hallucinations visuelles, auditives et de troubles dissociatifs de l'identité. Je panique et m'agite sur le lit d'hôpital mais la camisole entrave mes mouvements. Dans le petit hôpital de St-Anne, au milieu des hurlements qui viennent des pièces d'à côté, je ne peux faire qu'une chose crier à mon tour mon désarroi.


     Voilà une semaine que je suis enfermée et droguée par mes anciens alliés. J'ignore quelles substances ils m'obligent à avaler mais cela m'angoisse car l'inquiétante autre est désormais partout où je pose les yeux. Comme elle m'attend dans la salle de bain, je refuse de me laver et pour ne plus l'apercevoir, je brise tous les miroirs.


     Car oui, j'ignore quels sont leurs tours de passe-passe mais ils ont réussi à intégrer l'inquiétante autre dans tous les miroirs. Pour mieux faire passer l'infecte pilule, ces dingues me disent que ce que je vois n'est rien d'autre que mon reflet...


     Plus le temps passe, plus la lobotomie m'effraie, je vois un phare qui éclaire la nuit et suis persuadée que le corps médical y pratique des expériences. Pour sanctionner ma clairvoyance, Denis et Anne m'ont interdit de lire. J'aimerai de toutes mes forces que leurs traitements s'adoucissent alors je coopère et me gave de ces smarties qu'ils me forcent à avaler. Je vois toujours l'autre dans la salle de bain. Elle est devenue l'ombre d'elle-même et à présent me fait plus pitié qu'autre chose. Ses cheveux sont en bataille, jamais coiffés. Bien que je devine sa beauté derrière son masque de désespoir, elle est de moins en moins apprêtée. Sa tête est baissée comme pour camoufler ses larmes, je ne les distingue d'ailleurs jamais car, ma propre vision se brouille de plus en plus.

     Au fil du temps, elle me supplie de la libérer. Elle m’appâte et pour mieux me convaincre me promet que si je la délivre, je serais à mon tour libérée.


     Amusée, je fredonne cette chanson : «libérée, délivrée ». La nuit est tombée, l'autre couplée à la lune me souffle d'apaisantes idées. Comme j'ai été sage avec les pauvres fous qui me bourrent de sucreries, ils ont baissé leurs gardes depuis une semaine. C'est le moment, nos émancipations sont proches.


     Je souris à la vie et à l'autre. "Ne t'inquiète pas, je vais bientôt te laisser sortir" . Je fais voler sa vie en éclat pour assurer sa libération. Mes poings cognent le miroir avec fureur. Les éclats de verre pleuvent sur mes bras et le haut de mon corps. Mais bien que je sois couverte de sang, je suis épanouie et murmure amoureusement : "it's alive".


     Mes amis n'ont jamais été aussi angoissants qu'à l'instant où moi et l'inquiétante autre sortons poisseuses de sang. Mais Denis et Anne, ont un bon fond j'en suis persuadée, je ne sais pourquoi mais la puissance supérieure qui joue avec le monde les a enfermé ici, donc je vais les délivrer eux aussi. Et l'inquiétante autre, qui est désormais mienne, me fournit les moyens : des éclats d'elle. Je tranche les liens du couple, je les lacère avec ce qui ressemble à des bouts de verre, je sens le sang et dans une extase jubilatoire, en étant arrosée de leurs essences vitales je clame : "le sang de l'innocent". J'offre ma tournée et dans un sursaut de don de la libération, je tranche les liens de tous les pseudos médecins croisant mon chemin. 


     Mon existence est extatique, je suis enfin libre ! Je suis prête à prendre mon effroyable envol avec mon autre, pas un studio cette fois-ci mais plutôt un classieux loft immense avec un standing impressionnant. Mais avant, mon autre aimerait me montrer quelque chose. Elle présente sous ma vision floutée par trop de liquides vitaux, une chose ressemblant à un dossier médical. C'est une machination, un véritable complot ! Sous mes yeux se dresse le descriptif de, ce qu'ils ont inventé : la cause de mon internement et ma pathologie imaginaire. Ces médecins de pacotille ont rédigé de faux rapports, des horreurs sur mon compte. S'ils étaient encore vivants je leur couperais leurs attributs, leurs parties génitales et les fourrerais dans leurs bouches. Que dites-vous ? Mais bien sûr ! Vous avez absolument raison. Il n'est jamais trop tard pour bien faire. Mais avant... Vous savez j'ai toujours dit qu'une partie de Dolores demeurait en moi. Je ne pourrai jamais être plus proche de la réalité. Le rapport stipule ceci : «La patiente, Dolores, 25 ans a été retrouvée près du cadavre de sa grand-mère partiellement... dévoré, privé des yeux, de la langue et de certains organes internes. La patiente semble avoir ingéré de la chair humaine, elle a ensuite mutilé la main de sa victime, a amputé son propre membre pour le remplacer par la main de la défunte plus âgée. La patiente présente un délire psychotique et nie la réalité en affirmant que sa grand-mère est simplement morte en tombant et qu'elle ne fait que garder des souvenirs de sa parente éloignée. La malade est hospitalisée depuis un mois maintenant et est enfermée dans un monde où elle vit dans la vie fictive de Stanne et où les médecins constituent sa vie sociale.» Ce compte rendu est, ou n'est pas, la vérité issue du tissu de mensonge qu'est la réalité. A vous d'en juger.


     Rêveuse, j'effleure mon autre essentiel.. la vieille main ridée qui prolonge mon bras. Mon corps est à présent le mien et celui d'une quasi-étrangère pourtant il n'y a que de cette manière que je me sens complète.


     Mon autre me murmure que je pourrai faire perdurer les souvenirs de mes voisins décédés et être davantage entière. C'est décidé, les souvenirs de Denis et Anne vivront en moi, il ne reste plus qu'à décider des parties exactes.

mercredi 23 septembre 2020

 Le nouveau Leatherface

Creepypasta

Le nouveau Leatherface


     Au coin du feu, Sally et Lili, toutes deux cousines se racontent des récits répugnants. Nous sommes en plein hiver et les deux cousines, qui ne se voient qu'exclusivement lors de la période hivernale, instaurent un climat inquiétant. Cette fois, Lili souhaite être la narratrice d'un récit qui fera grimacer d'effroi. Cette conteuse commence cette cauchemardesque chronique.


     Il y a de cela une dizaine d'années, les petits commerçants voulurent se prémunir des vols dans leurs boutiques. Ils installèrent alors, dans des endroits stratégiques, une grande affichette pour prévenir de l'omniprésence des caméras de vidéosurveillance et ainsi mettre en garde les potentiels kleptomanes : « Souriez ! Vous êtes filmés » Cet avertissement ne tomba pas dans l'oreille d'un sourd et fut respecté à la lettre par un homme inquiétant.


     Un individu avait tous les vices possibles et inimaginables. Il était menteur, sournois, agressif et voleur. Le besoin de faire sien ce qui ne lui appartenait pas était à un stade assez élevé. L'être perfide, fantasmait, rêvait, voyait et prenait. Son atroce talon d'Achille était l'alcool. Il s'enivrait nuits et jours de whisky matures et de grands crus d'exception. Il écumait les bars mais, comme l'alcool le rendait encore plus mauvais qu'il n'était, et que de toute façon, il ne payait pas toujours ses consommations, il fut congédié de tous les pubs. L'homme de débauche commença donc à s'imbiber d'alcool à son domicile.


     La déchéance de l'alcoolique fut telle que l'exploitation agricole qu'il tenait et voulait faire prospérer croula très vite sous un tas d'ennuis. Il connut alors des déboires financiers et comme il avait de très mauvaises fréquentations, un ami, qui piquait admirablement en douce des produits onéreux lui confia son astuce. Selon lui : « voler est aussi simple que d'enfiler une écharpe autour de son cou et la dénouer lorsqu'il fait trop chaud » : c'est ce qu'un soir de beuveries son acolyte, le pilier de bar lui confia. Il précisa sa combine : il suffisait de venir dans une supérette avec un foulard autour du cou, le retirer en vaquant dans les rayons, entourer sa main du tissu, saisir avec sa main camouflée l'objet du larcin, cacher rapidement le produit à voler dans l'écharpe, puis finir par cacher le butin à l'intérieur de l'écharpe tenue dans la main : ni vu, ni connu.


     L'astuce fit son chemin dans l'esprit, pourtant imbibé d'alcool de l'apprenti voleur. Il répéta encore et encore ce stratagème pour piquer de petites bouteilles d'alcool qu'il s'enfilait une fois rentré chez lui. Mais très vite, les larcins prirent une drôle de tournure. Dans chaque anecdote, il existe un point de bascule, un moment du récit où tout sombre au cœur des atrocités et cela est d'autant plus vrai lorsque le protagoniste n'a aucune limite.

     Les petites boutiques, régulièrement dévalisées, par l'homme au foulard étaient modestes et ne comptaient ni vigiles, ni antivols. Les gérants décidèrent alors d'installer une petite caméra de vidéosurveillance et cette pancarte, qui dissuaderait de toutes velléités de vols : « Souriez, vous êtes filmés ». 


     Le voleur n'eut pas la crainte lucide et logique d'être, à la longue enregistré et reconnu, sur les bandes vidéo, mais il fut frappé par une peur bien plus indicible et ridicule. Le fou n'était pas aidé par Dame nature et avait, au lieu d'un doux visage, un faciès grotesque et inquiétant. A cause des mélanges d'alcools et drogues divers, le dingue ne contrôlait plus ses tics. Il avait la moitié de la bouche difforme qui tirait vers le bas et tremblotait nerveusement en permanence. La moue était baveuse et hideuse. Une malformation importante empêchait l'inquiétant voleur de prononcer des paroles claires, ses expressions vocales n'étaient que ricanements et grognements. Le tableau de la monstruosité était au complet. Tout en lui n'était qu'effroi et grotesque : il avait en guise de corps, une masse grosse, lourde et maladroite. Afin d'accompagner l'absence de grâce dans le mouvement, de facilité d'expression, le monstre était frappé de cet handicap : il ne savait pas sourire.


     Il fut alors à un terrible tournant dans sa carrière de voleur et se mit en tête de dessiner un avenir bien plus atroce... 


     Le maniaque était peu intelligent mais connaissait beaucoup de contacts plus vicieux et plus habiles que lui, il ébruita alors une rumeur aux oreilles des délinquants en qui il avait le plus confiance : ensemble, ils allaient assembler leurs connaissances et voler des sourires...


     La nuit tombée, un terrible trio s'introduisit avec finesses et intelligences dans l'inquiétant service d'une morgue. Les trois affreux se constituaient d'un habile cambrioleur, d'un fou de médecine et du voleur de sourire. L'alcoolique n'avait pas bu le moindre verre pour s'assurer les gestes sûrs qu'on lui avait maintes et maintes fois appris. Il ne fallait pas se louper : une glacière transportant un récipient rempli de formol attendait son dû. Entre les différents tiroirs argentés où avaient trépassé les défunts, il hésita. Mais, quand il vit la blonde décédée d'un infarctus, il eut le coup de foudre et sut que c'était une partie d'elle qu'il voulait emporter. Son sourire, à elle, tirait gracieusement vers le haut. Ses lèvres étaient fines et vénusiennes. La bouche en cœur parfaitement dessinée.


     Voilà une aubaine : secrètement, l'effroyable fou avait toujours voulu se glisser dans la peau d'une femme. Le voleur de sourire sortit son arme la plus tranchante et, dans une mare de sang et de bruit spongieux de chair découpée, se mit au travail. Sous la surveillance du dingue de médecine, il incisa les couches de dermes précises, détacha minutieusement centimètres de peaux par centimètres de peaux jusqu'à créer l’œuvre de sa vie qui illuminerait le restant de ses jours de son atroce aura. Il effleura la beauté morte, sentit la peau de la défunte et en gloussant porta son précieux à son propre visage. Dans la morgue, un monstrueux mythe naquit.


     Une semaine après, une odeur de charogne, de viande avariée planait dans une petite épicerie. Une drôle de silhouette ondulait des hanches mais vacillait sur des hauts talons. La femme blonde aurait pu être sexy mais en réalité, elle était plutôt inquiétante. Son visage ondulait légèrement par endroits. Personne ne le vit vraiment, mais des asticots gigotaient aux coins de la bouche et la blonde qui ne savait qu'en faire les aspirait et les avalait La mort imprégnait tous les pores de la peau, mais qu'importe car enfin la créature... souriait. 


     Au fil des mois, l'être alambiqué devint une effroyable rousse, une étrange brune. Une femme chaque fois différente qui transportait toujours avec elle un sourire glacial et figé, un masque de courtoisie qui la faisait passer inaperçue. Du moins, était-ce ce qu'il pensait. 


     Car à l'approche des fêtes de fin d'année, les plus modestes supérettes furent prises d'assaut. Les clients se heurtaient, se poussaient, jouaient des coudes. Une grande femme à la chevelure d'or se fit bousculer dans la cohue. Elle tomba violemment sur le dos. Un pied pressé piétina la blondeur. Et l'horreur eut lieu. Une mèche de cheveux céda. Au lieu d'un cuir chevelu rouge sanglant, un derme vert puant et couvert de moisissure fit son apparition. La cauchemardesque créature tenta de réajuster la curieuse peau de son visage. Mais elle ne réussit qu'à déplacer le faciès féminin trop sec et figé. Alors le masque tomba dans une cohorte de larves de mouches et de vers amalgamés dans des couches verdâtres. Le souriant visage laissa place au grotesque et monstrueux faciès à la lèvre pendue et tremblotante. La face inhumaine avait atteint le sommet de l'épouvante : par endroits, la peau était brûlée, calcinée par le formol qui conservait tous les sourires volés dans les morgues. Le monstre grogna des paroles incompréhensibles et bava la substance poisseuse et putride du masque. Il secoua la tête en grondant et tenta de réajuster sa toute première identité blonde mais le derme mal conservé était devenu importable et inutilisable.


     Confronter son apparence difforme aux yeux de la société, lui fit davantage perdre l'esprit. Le malade se saisit d'un couteau caché dans sa poche et agressa toute la clientèle. Dans un délire hallucinatoire, il pensa que son couteau aiguisé était une dangereuse tronçonneuse électrique. Il vocalisa et singea le bruit électrique tonitruant en tranchant des bras, des jambes et des cages thoraciques. Il imagina son supermarché de l'horreur en coupant des têtes et en les disposant sur les étals des fruits et légumes. Il s'amusa et fut à la fois charcutier et maraîcher.


     Après cette terrifiante tuerie, il … parvint à se sauver et échappa aux forces de l'ordre. Pendant des semaines, une chasse à l'homme fut menée sans grand succès. Puis, une autre affaire recoupa la principale : des locataires se plaignirent d'une puanteur asphyxiante qui venait d'un petit studio loué en centre-ville. L'appartement fut minutieusement fouillé. Aucun employé qui y mit les pieds ne sortit mentalement indemne de la macabre découverte.


     Le domicile était puant d'odeurs immondes, de substances glissantes, et de trophées étranges. Le sol était couvert de larves de mouches qui explosaient avec des odeurs écœurantes et menaçaient de faire tomber les agents de police. La pièce principale était emplie de sons de bestioles volantes en tous genres. Des cafards couraient entre les pieds aventuriers. Dans la cuisine, le laboratoire de l'horreur fut découvert. L'atelier du célèbre docteur Frankenstein, s'il avait vraiment existé, aurait été plus soigné. Au milieu de livres médicaux, des tas de bocaux de formol trônaient. Des scalps humains féminins y étaient, la plupart étonnamment bien conservés. Quant aux échecs laborantins, ils étaient sur des socles, les peaux pourrissaient et abritaient tout un écosystème. Les effluves écœurants émanaient de ces masques féminins, grouillants de vie de coléoptères, au stade de pourritures avancées. Une trentaine d'autres visages, de nouvelles identités à enfiler. Comble du cauchemar et de l'incompréhension, une tenaille et un marteau ensanglanté, jouxtaient trente-deux dents humaines.


     Les inspecteurs firent le lien avec les tragiques disparitions des corps dans les morgues de la ville et la tuerie de la supérette. Par contre, le coupable de ces affaires ne fut jamais retrouvé, il s'évapora dans la nature. Nul ne sut comment, personne ne sut sous quelle identité. Dans les médias, le tueur en série fut surnommé le nouveau Leatherface.


     Lili finit de conter cette histoire lugubre avec un soupir désabusé. Étonnée, Sally lui demande où elle a entendu cette horreur. Ce récit est répugnant, dingue, dépasse même le célèbre film : « Massacre à la tronçonneuse ». Au loin un bruit réellement flippant, fait sursauter Sally. Alors qu'elle se serine que le précédent récit n'est pas réel mais juste une invention issue d'un cerveau dérangé, sa cousine retire l'écharpe écarlate qu'elle porte trop souvent. Elle sourit sournoisement et lève lentement la tête pour exhiber... sa cicatrice : un fin stigmate peu assuré, zigzagant, flou qui couvre le long de sa mâchoire et épouse la courbe de son menton. Nerveusement, elle remet son foulard et se dirige vers la porte du salon qu'elle ferme à clé. Elle accompagne son action d'un aveu : il a juré de l'épargner si elle l'aide à trouver un nouveau visage souriant et heureux.


     Interdite, Sally se lève et regarde le bar dans le salon où un tas de bouteilles d'alcool attendent d'être consommées : d'excellents whiskys, de grands crus. Son regard longe le mur et effleure ensuite une photo de son étrange cousine avec, vraisemblablement, un membre de sa famille. La photographie encadrée est dissimulée dans un coin de la pièce. Un homme qu'elle n'a jamais vu, a un geste possessif sur les épaules de Lili, et regarde méchamment l'objectif. Le plus angoissant est le bas de son visage : il grimace une moue hideuse avec un rictus en coin qui penche péniblement vers le bas. Toute la moitié du visage est figé en une répugnante expression et immortalisé à jamais dans une colère sans limite. Pendant que Sally comprend péniblement, que le nouveau Leatherface est réel et sans doute le père de Lili, elle entend un bruit électrique effrayant, émanant du film d'horreur le plus terrifiant. La source du vacarme est une tronçonneuse électrique qui s'acharne et lacère la porte en bois du salon.


     Bien qu'interdite et choquée par l'effroyable embuscade dans laquelle elle est tombée, Sally quitte la pièce et court dans le couloir, elle déboule dans une pièce couverte des posters d'une célèbre saga cinématographique avec un psychopathe à la tronçonneuse. L'imitation pousse plus loin : face à elle est posé sagement le corps d'une femme comme momifié, gelé dans sa jolie mort. Sally avise une fenêtre qui se brouille progressivement. Elle avance vers elle dans un flou inquiétant. Son pied se bloque dans un piège à ours et les mauvaises mâchoires croquent la chair du bas de la jambe dans un bruitage de peau mordue et d'os brisés. Sally ne lutte point pour se dégager mais au contraire s'évanouit.


     Une heure après, Sally, qui avait vraisemblablement été droguée par la nourriture de sa cousine, sort de sa torpeur. Elle est attachée par d'épaisses cordes poisseuses d'immondices. Lili lui intime l'ordre de sourire car elle est filmée. Cette folle pointe une caméra sur la malheureuse captive sur la table de la cuisine. L'abomination, arrive. Le nouveau Leatherface se tient près d'elle un couteau rouillé à la main et un marteau dans l'autre. Bubba Sawyer, le héros de « Massacre à la tronçonneuse », avait toujours eu des masques de cuir humains angoissants, mais cela n'était rien comparé à la nouvelle grandeur de la perversité. Le nouveau Leatherface a la figure la plus dégoûtante et effrayante qui existe : les oreilles du déguisement humain ont été travaillées en pointes, les dents remplacées par une dentition animale, trop grande, trop pointue, trop sanglante, trop moisie. Les pommettes du visage sont exagérément en relief ; les yeux vicieux, déformés. Le démentiel accident de la nature pousse un grognement et commence le long et violent massacre de Sally. Il martèle les membres inférieurs, casse chevilles, rotules, tibias et fémurs : rien n'est épargné. Souhaitant préserver certaines parties tendres du haut du corps, Leatherface coupe délicatement la viande pendant une bonne heure assurant à Sally un voyage progressif et insidieux au cœur du massacre le plus réel et horrible qu'il soit.

mercredi 2 septembre 2020

  La pécheresse de l'humanité

 Creepypasta



La pécheresse de l'humanité. Creepypasta

 

     "I have a dream". J'ai toujours voulu rapporter des évènements en débutant avec cette citation très Martin Luther Kingienne. Mais, rien n'est imaginé. Mes songes sont si tangibles qu'ils vont devenir votre effroyable réalité. Personne ne la verra, nul ne l'entendra aucun être ne la concevra, pourtant, en un instant elle vous emportera. Sa furie destructrice va s'abattre sur le monde dans un océan teinté par votre sang. 

     Au commencement, en une explosion de mots et maux colorés, j'avais entraperçu la catastrophe dessinée par la société. Dans un univers de grisailles, j'étais si hagarde que j'avançais très lentement. L'univers où j'évoluais était teinté par une atmosphère apocalyptique. La végétation était fanée, ratatinée sur elle-même et à présent colorée en un vert très foncé confinant au noir. Nos familiers, nos animaux domestiques n'avaient pas eu plus de chances, leurs cadavres noirs bordaient les ruelles en des lignes mortifères. Le ciel était teinté d'un rouge lié à des exécutions punitives. Des éclairs bleutés et jaunes, éclataient en un vacarme tonitruant. Esseulée, je continuais à marcher seule dans les rues désertes mais, à proximité, l'entité responsable errait en se régalant de la fin du monde.. Je le pressentais, elle était là, attendant et guettant un pas de travers. 

     A mesure que mon avancée me guidait vers un endroit que je souhaitais épargné de tous dangers, j'aperçus au loin un immense monticule qui tremblait sous la toile du ciel dégorgeant de rouge et grondant des éclairs. Le mont était, à l'instar du reste, bigarré dans des tonalités étranges faites de terre d'ocre et noir maussade. Une chose, prisonnière de cette vallée supplia. Une enfant, au regard féroce tenta de se dégager de l'amoncellement qui était ... humain. La petite, coincée à la base de la pyramide d'êtres vivants, pleura lorsqu'elle me vit. Elle tenta de libérer sa main mais son membre refusa d'obéir, il craqua en un bruit atroce et céda. La gamine, galvanisée par l'effroi, poussa un hurlement et rua vers l'avant. Alors, l'étrange assemblement d'hommes et de femmes trembla et se précipita vers moi, les corps couverts de sangs marronâtres chutèrent dans ma direction. Voulant fuir, je rebroussai chemin en criant. Je me réveillai en sueur mais point effrayée par ce rêve. 

     Quiconque s'intéresserait à mon récit, serait noyé dans l'incompréhension face à ma réaction froide et blasée. Mais si je débutais en me présentant vous comprendriez que depuis toute petite, je suis habituée à ces mauvais rêve trop précis et trop imagés. Je m’appelle Lucille et je suis médium synesthésiste. Étrange mélange, certes, mais les anomalies viennent souvent ensemble pour mieux se tenir compagnie. Je suis différente du commun des mortels, et vous savez j'en ai toujours souffert. Dès l'entrée à l'école maternelle, l'équipe pédagogique nous apprend qu'il n'est pas toujours bon de sortir des sentiers battus.

     Je me souviens le jour sombre où je pris conscience de ma malédiction. J'étais scolarisée dans une petite école de banlieue. La maîtresse nous avait demandé de dessiner les prochaines vacances. C'était une tache routinière, enfantine et habituelle, néanmoins, je ne produisis pas ce que l'on espérait de moi. Mes crayons filèrent sur le papier et créèrent une femme qui se tenait la gorge en grimaçant. J'avais coloré son visage tout en noir et agrémenté son cou et sa bouche de flaques de sang rouge. J'avais été plongée dans une transe créative associant un rouge maladif au noir du deuil. Je ne savais pas encore ce que je voulais dire mais quand ma mère développa un cancer de la gorge et fut malade au point de cracher du sang, je compris. Je repeignais le monde avec mes propres codes de couleurs qui me dévoilaient l'implacable réalité. J'avais une capacité médiumnique qui me laissait entrevoir l'avenir des autres et l'art d’associer des couleurs à ces futures catastrophes. Pendant des années, je tentai de sauver bons nombres de mes proches de leurs noirs décès précoces et d'apaiser les cramoisis de leurs maladies. 

     Mais vous savez, je ne suis pas Prométhée, je ne peux pas dérober le feu sacré de l'atroce chimère pour vous sauver de votre propre jugement. Car c'est de cela qu'il s'agit. L'annihilation des races vivantes à cause de tous vos péchés. Bientôt. Vous allez tous mourir. Je l'ai su très rapidement au travers d'un second rêve peinturluré d'horreurs prémonitoires. C'est là que pour la première fois, je la vis. 

     Saudalia est la créature engendrée par tous les vices, qui gangrènent la société . Sa furie destructrice va s'abattre sur le monde dans un océan teinté par votre sang. Saudalia est éternelle et même après l'extinction de notre ère, la pécheresse de l'humanité persistera encore à la recherche de nouvelles formes de races à exterminer. L'exterminatrice ne sait pas parler, elle ne s'exprime pas car les humains, infichus de communiquer, l'ont voulu comme ça. Ses lèvres sont peinturlurées du code couleur bleu lié à la parole. Sa bouche est cousue . Elle ne parle pas, elle hurle juste son désespoir du fond de ses entrailles. Comme ses mains bleuies sont enfoncées la plupart du temps dans ses conduits auditifs, elle est privée de sons. Elle est telle que l'humain l'a crée : dans les lieux publics et aux seins des foyers plus personne ne communique ; tous vivent recroquevillés dans leurs mondes. Saudalia tient son long corps marrons courbé, elle avance en ondoyant sous l'influence d'une vibration qu'elle perçoit mais qu'elle n'entend pas. Elle se nourrit de tous les défauts de notre monde qui entretiennent sa silhouette marronnée. Tous les jours qui passent la rendent plus proche de notre monde. 

     J'aimerai vous sauver de son jugement, vous exempter de vos propres défauts mais il est trop tard : le ciel où évolue votre pécheresse rougeoie et annonce les maladies foudroyantes et la destruction de l'humanité par la mort.. Je vis son mode opératoire dans d'autres songes prémonitoires. Son corps cessait d'onduler dès que sa route croisait celle d'un pécheur. Elle levait alors son index vers les cieux et créait un puissant éclair qu'elle dirigeait sur toutes ses victimes. La destructrice de notre monde se régalait du spectacle des corps humains foudroyés qui tressautaient avant de trépasser. Le corps d'un voisin raciste souffrait au côté d'une voisine avare et agressive. L'adolescente du rez-de-chaussée qui était kleptomane volait dans les airs en se tordant dans des angles improbables ; elle heurta violemment le quadragénaire du cinquième vu comme un pédophile. Sous l'impact, les os se cassèrent. Dans une gerbe de sang, des membres volèrent sinistrement vers le sol. Des voisins d'étage. Peut-être coupables, peut-être innocents. Mais peu importe je les connaissais tous. 

     "I have a nightmare" . Pour évoquer une célèbre maxime, l'enfer ne fut pas les autres, mais l'enfer fut créé par les autres. Et je connaissais personnellement ces autres. Je rentrais de la journée de travail quand le basculement vers la dimension horrifique eut lieu. L'hiver gelait les rues parisiennes qui étaient déjà figées dans une ambiance sinistre. Je fus interdite de stupeur quand je vis des éclairs orageux fissurer le ciel toujours en plein hiver. Le monde allait changer. Accompagnée de cette certitude et d'une lointaine clameur de détresse, je franchis le palier de mon appartement. Christophe était fourré avec son acolyte David et conversait avec animation. De sa main droite, il ponctuait ses propos à l'aide d'un dangereux gadget. Virulent, il assenait des : " non, il doit payer maintenant. Il remboursera la dette ce soir ou alors, il le payera de sa vie" . J'avais rarement vu des accès de violence chez mon compagnon, et, à cet instant, je fus confrontée à sa véritable nature, car, en plus de l'agressivité qui l'habitait, il tenait à la main... Un revolver. J'imaginais quel genre de trafic pouvait se régler par un coup de feu pour une banale histoire de dettes. Christophe était un dealer, un vendeur de mort. 

     Tandis que l'horreur me figeait d'effroi, j'entendis un fracassement de bois, des cris d'agonie et ces hurlements de détresse qui percèrent mes tympans. Je pris alors conscience que la pécheresse de l’humanité était vraiment réelle. Elle dansait étrangement au pas de la porte de mon studio au rythme d'une funeste mélopée qu'elle seule appréhendait. Alors qu'elle cria sa colère, sa silhouette tordue se figea. L'haleine de charogne me fit reculer vers l'une des chambres. Je voulais m'enfuir car je savais que je ne pourrais rien faire pour stopper son jugement. Christophe était damné et il était impossible de le sauver. 

     Saudalia dirigea son index vers moi et le secoua en un geste négatif. Elle posa un regard morne et vide sur moi. Ses yeux, dont les sclères couvraient pupilles et iris, étaient d'un vide abyssal et terrifiant. Je ne l'intéressais pas, mon âme n'était pas rongée par mes actions. Durant toute mon existence, j'utilisais mes prémonitions pour sauver mes proches et tout ceux que je connaissais mais cette fois ... Je ne pourrai rien. Car elle se tourna rageusement vers Christophe qui marmonna son désarroi. Je ne pouvais rien faire contre la force destructrice de Saudalia. Alors, je battis en retraite vers ma chambre. J'entendis très nettement les horreurs qui suivirent. A intervalles régulières, un corps lourd, accompagné d'un concert de craquement et de suppliques, retombait sur le sol. Tout le mobilier était détruit en une cacophonie étourdissante. Et enfin, tout ne fut que grésillement. Les plombs sautèrent et le courant fut coupé dans tout l'appartement. Saudalia poussa un son strident et fit exploser tous les vitraux. 

     L'immeuble ne résisterait pas à sa cauchemardesque colère. Alors, je pris la décision de sauter par la fenêtre de ma chambre. J'habitais au rez-de-chaussée, donc mon saut ne m'abima point mais la vision de la destruction de l'humanité me sidéra. C'était comme dans ma toute première vision. Un tas de cadavres et corps déchiquetés marrons et noirs trônait à l'autre bout du terrain. La fillette y était sûrement et je la connaissais probablement. Mais, je n'étais pas capable de la secourir : ses défauts l'avaient déjà perdu. Je souhaitais juste quitter les lieux du massacre. Les bruits de verres brisés, de meubles cassés, les voisins braillant dans leurs logements. Alors je ne sus faire qu'une chose : courir à en perdre haleine. 

     Je ne devrais pas car cette lâcheté me perdra. Dans chaque coin du monde, à tous les tournants des ruelles terrestres, Saudalia arrivera toujours à condamner les vices de la société. Elle saura toujours ou chercher et où trouver. Et je serai sur sa liste et, sans aucun doute, vous aussi. Pendant que l'humanité s'érode, Saudalia rode. Il est peut-être trop tard pour prévenir. La vie humaine, de par ses travers, est probablement déjà condamnée. Mais je ne peux que vous conseiller de prendre garde à vos comportements. Écoutez tous les bruissement de l'humanité restante avant que, définitivement dans notre monde, Saudalia ne s'ancre. Prenez garde car vous seuls, pourrez vous sauver.

vendredi 1 mai 2020


La petite fille aux brins de muguet


D'histoire vraie à légende urbaine, que l'on se racontait au coin du feu pour s'effrayer, la petite fille aux brins de muguet devint le néant. Ce fut comme si elle n'avait jamais connu le jour. Pourtant elle existait : dans une autre dimension, des limbes de son esprit sommeillaient. A cause de cette injustice, la peine et la colère de l'enfant furent si explosives qu'elles engendrèrent une engeance terrifiante. Dans l'antre infernal, la chimère monstrueuse hurla sa furie et jura de se venger. Une voix ensorcelante promit de l'aider dans ses terribles desseins : " Magi somn et immortalise blinde oss".


     Jadis, une petite fille naquit dans la ville de Salem. Elle aurait pu être bénie des déesses à sa naissance. Sa vie en aurait été transformée, mais l'enfant n'eut pas cette chance. La petite avait pourtant un magnifique visage mutin couvert de multiples taches de son, ainsi qu'une chevelure volumineuse et soyeuse. Pourtant, la gamine ne put jouir de sa beauté car elle eut la malchance de naître à la mauvaise époque. Durant ces siècles de superstition propre au Moyen Âge, les rousses subissaient moult persécutions.

     La petite avait beau être une enfant charmante et innocente, elle n'échappa pas à la chasse aux sorcières. Chaque sentier qu'elle arpentait était considéré comme maudit. La petite semait, selon les villageois, l'infamie partout où elle allait. Ses propres parents la blâmèrent de leurs infortunes et la congédièrent à l'âge de huit ans.

     L'enfant se battit pour survivre. Elle se cacha des regards pernicieux le jour et erra de granges en granges la nuit. Un hiver particulièrement glacial faillit l'emporter. Une nuit, alors qu'elle luttait contre le vent froid pour avancer, la rouquine aperçut au loin un orbe clair, une boule lumineuse attractive qui soufflait de douces promesses. La petite suivit la sphère dansante sur plusieurs mètres. Le cheminement de clarté l'emmena vers l'endroit le plus pur qu'elle n'eut jamais vu. Dans une clairière, les étoiles tapissaient la toile du ciel pendant qu'un chatoiement innocent illuminait de belles fleurs blanches. L'enfant fut étourdie par tant d'odeurs florales et de lumières et voulut cueillir la magnificence. Elle souhaitait tant diffuser une impression de pureté, qu'elle élabora toute la nuit les plus belles compositions florales. C'est ainsi qu'apparurent les premiers bouquets de brins de muguet.

     La nuit leva son épais rideau pour faire place au jour. La petite fille au brin de muguet s'installa au coin d'une ruelle. Elle prit soin de rabattre la capuche de l'oripeau élimé sur sa tête pour cacher sa rousseur. Pour la première fois, l'enfant était persuadée que la beauté du muguet la ferait paraître belle et attrayante aux yeux des passants. Malheureusement, la crasse des haillons embaumait l'air d'odeurs putrides. Tous les villageois étaient répugnés et la gardaient en disgrâce.

     Le jour durant, la petite resta vaillante et quémanda de la nourriture. Le vent portait sa voix légère et fluette : " A manger contre un brin de muguet" . L'enfant ne demandait rien d'autre qu'un peu de nourriture en échange d'une fleur. Des heures durant, la gamine grelottante et affamée, garda espoir et voulut distribuer aux passants indifférents des brins de bonté.

     La journée toucha à sa fin. Au coin de la ruelle, la petite serrait toujours dans ses mains bleuies par le froid les fleurs blanches. Les accords de couleurs étaient si beaux qu'on eut dit un tableau sauf que les images mouvaient autant qu'elles mourraient. La petite était si transie de froid qu'elle ne parvenait plus à se lever pour rejoindre l'abri de la nuit.

     Au loin, les enfants les plus turbulents du village arrivèrent. Ils étaient pires qu'une meute de loups enragés. Ils aperçurent la frêle silhouette de la petite qui ne bougeait plus. L'aubaine pour s'amuser était servie sur un plateau d'argent terne et obscène. Ils encerclèrent la fillette et ôtèrent ses guenilles pour voir qui elle était. Choqués par le contraste entre la beauté des fleurs et la laideur due à la rousseur, ils s'enflammèrent. Sous les yeux larmoyants de l'enfant, ils se mirent à arracher les brins d'espoir, déchirer les tiges vertes, et réduire en charpie l'innocence des clochettes blanches. Ils jetèrent les reliquats floraux sur le corps nu de l'enfant en chantant : " des fleurs sur une sorcière" . Ils jouèrent pendant de longues heures en envoyant valser sur la petite tous les objets lourds et blessants qu'ils trouvèrent. Comme la rouquine n'eut ni la force de pleurer, ni de supplier, ils se lassèrent et partirent jouer vers d'autres lieues.

     Au petit matin, une dame drapée d'habits nacrés, traversa la ville. Elle se dirigea vers la ruelle où la petite fille aux brins de muguets avait passé la nuit. L'enfant était perdue au milieu d'une foule de curieux. Les villageois horrifiés répétaient le signe de croix puis crachaient sur un corps étendu au sol. La dame en blanc, intriguée par le sordide de la scène, se fraya un chemin au milieu des badauds. Elle vit l'indécence qui gisait inerte. Le corps d'une enfant qui conjuguait les affronts car elle était rousse et nue. Son corps était nuancé d'ecchymoses vertes et bleues, de cicatrices rouges et de pétales florales blanches.

     La dame fit fi des préjugés et trouva le tableau révoltant. La grande faucheuse avait emporté, dans une effroyable mort, un être innocent. Enfermés dans leurs croyances, les superstitieux, furent horrifiés par la nudité et la chevelure de feu. Pour annihiler les symboles de sorcellerie, la décision fut prise de scalper la chevelure de l'enfant morte et de la brûler. Pas juste les cheveux, mais également le corps de la petite. Un bûcher fut installé sur la place publique avec en son centre la prétendue sorcière. Les bourreaux se régalèrent du spectacle malsain de l'enfant sans vie qui brûlait au milieu des flammes. Les flammèches léchèrent la morte et recrachèrent des volutes de fumée dans le ciel. Nul ne vit les orbes noirâtres et tourbillonnants. Nul n'aperçut la dame en blanc, dont la fureur colorait le globe oculaire d'un noir d'encre. Nul n'entendit ses phrases latines porteuses de sens et de malédictions. " Medareno sometswar. Medareno sometswar. " Alors que la vindicte populaire grondait, les persécuteurs qui admiraient l'enfant calcinée, n'appréhendèrent pas l'horreur qui allait s'abattre sur leurs descendances.

     En 1845, " La petite fille aux allumettes" éclot de la plume de génie d'Hans Christian Andersen. Ce conte s'inspirait de l'histoire féodale de l'enfant rousse sacrifiée. Mais en réalité, nul ne fit le rapprochement. L'odieuse immolation de l'autre petite fille avait disparu de l'esprit des lecteurs. D'histoire vraie à légende urbaine, que l'on se racontait au coin du feu pour s'effrayer, la petite fille aux brins de muguet devint le néant. Ce fut comme si elle n'avait jamais connu le jour. Pourtant elle existait : dans une autre dimension, des limbes de son esprit sommeillaient. A cause de cette injustice, la peine et la colère de l'enfant furent si explosives qu'elles engendrèrent une engeance terrifiante. Dans l'antre infernal, la chimère monstrueuse hurla sa furie et jura de se venger. Une voix ensorcelante promit de l'aider dans ses terribles desseins : " Magi somn et immortalise blinde oss".

     Un siècle passa et la tradition du brin de muguet annonciateur de bonheur s'ancra au cœur des croyances. Le 1er mai pour couvrir les proches d'amour, tous s'offraient des brins de muguet. Une enfant accompagnée de sa grand-mère saisit cette chance. La petite, qui se nommait Andréa, avait une vie auréolée de succès. A croire que dès sa naissance, des fées bienveillantes s'étaient penchées sur son berceau. Andréa était d'une beauté éblouissante. En plus de cette perfection innée, la fille chérie de tous avait un bon passe-droit, elle était fortunée : sa richesse suffisait à nimber sa route de lumière partout où elle passait. Sa chère grand-mère était une femme gracieuse et élégamment vêtue d'une longue cape noire irisée fermée d'un bouton nacré. Elle avait avec l'enfant un lien indéfectible. Les deux étaient inséparables.

     Lorsque le 1er mai arriva, la grand-mère et Andréa s'installèrent près d'une Église avec de belles compositions de muguet. Toute la journée, le sourire rivé aux lèvres, elles tendirent leurs brins de bonheur aux petits enfants du village. Les fleurs furent vendues à des sommes astronomiques, mais les dix enfants de la paroisse baignaient tant dans le luxe et l’opulence, qu'ils achetèrent les yeux fermés. Ravie, la vieille dame riait jusqu'au soir pendant qu'Andréa qui l'accompagnait, chantonnait de sa voix fluide : " Mi-doux. Mi-doux. Vole vers vous. Vole vers vous."

     La soirée fit tomber le couperet de l'obscurité annonciateur du plus terrifiant malheur. Dans la petite ville, dix petites têtes blondes chéries de leurs parents, s'installèrent dans une literie chaude. Inconscients de leurs funestes destins, ils se lovèrent dans des draps raffinés. Le plus intrépide des dix se nommait Marc. Le garçonnet n'était pas sage du tout. Il faisait toutes sortes de blagues et lançait toutes les choses dangereuses qu'il trouvait dans les vitres du voisinage. Ce soir-là, malgré le confort des draps, le petit n'arrivait pas à se réchauffer mais comme il voulait jouer les durs, il n'en dit rien à ses parents.

     La nuit tomba et s'apprêta à faire perdre à l'enfant endormi toutes sources de jouissances. Le supplice commença à trois heures du matin. Le moelleux des couvertures n'était plus au rendez-vous. Au contraire, l'enfant sentit des sensations de morsures qui ravageaient son corps, comme si des petites mâchoires d'animaux enfonçaient des dents acérées dans les chairs sensibles. Toujours frigorifié, le garçon émergea difficilement des draps gorgés de son sang. Le pyjama du petit était coulant et poisseux du rouge qui s'écoulait de graves plaies corporelles. " Tu ne dénuderas point. Tu ne voleras point. Tu ne tueras point. Trop tard. Mi-dou. Mi-dou, je vole vers vous, je vole vers vous. Me moque de vous, me moque de vous. Je ne me soucie de vous, ils ne se soucient de vous." Une comptine enfantine macabre résonnait dans la pièce écorchant l'oreille de l'enfant qui tomba au sol sur un tapis de muguet. Un " Voltrom Amibou" fut crié dans la pièce et les tiges de muguet se métamorphosèrent en pointes acérées qui transpercèrent l'enfant. De simples pointes acérées, le muguet se transforma, cette fois, en clous qui immobilisèrent l'enfant sur le sol. Les fenêtres de la pièce s'ouvrirent si brusquement que les vitrages explosèrent en pluie d'étranges fleurs brûlantes qui cramèrent le visage du blondinet. Une silhouette noire irisée vola vers le centre de la pièce. Elle tenait par la main une petite forme enflammée qui promettait : " des fleurs pour nourrir la peur" La grande chose noire s'immobilisa. Elle battit de ses ailes vers le haut et à mesure que les ailerons descendaient vers le sol, apparaissaient des détails presque humains. Le faciès ridé de la vieille dame était d'un blanc irréel ; les yeux étaient courroucés d'un noir d'encre trop foncé. Le visage de sorcière grimaça un sourire et se pencha vers l'être à ses côtés. L'enfant qui l'accompagnait était celle de l’Église. Andréa parla, sa voix était d'une tonalité éthérée et diffusait une odeur de soufre. Le petit ensanglanté et cloué au sol ne comprit pas le vieux dialecte. Alors la rouquine reformula de sa voix désincarnée : " Si j'avais été vêtue de guenilles, m'aurais-tu fait la charité ? A manger contre un brin de muguet ? Aurais-tu accepté ?" La vieille dame murmura en latin et des fils se mirent à coudre les lèvres de l'enfant blond. " Si tel est ton souhait !" ricana Andréa.

     Une odeur nauséabonde embauma l'air de la pièce. Des effluves de pourritures et de crasses empestèrent l'ambiance. Andréa avança vers l'enfant en chancelant. Sa luxueuse beauté fit place à un charme désuet et dénué de richesses. Des tâches de sons bourgeonnèrent sur le visage, les vêtements hors de prix firent place à de vieux haillons salis et défraîchis. La riche enfant devint la petite fille aux brins de muguet qui fut sacrifiée il y a des années. La pauvrette incanta : " tu ne mérites pas de chaleur humaine" . A ses paroles le garçon trembla de froid. La petite rousse passa sa main glaciale sur le crâne de l'enfant et demanda : " Que symbolisent tes cheveux ?" . Le supplicié, dont la bouche était cousue, ne pouvait répondre alors la rouquine continua : " comme tu voudras" . L'effroyable rousse incanta en faisant danser sa main dans les airs. Les cheveux blonds et la peau de la victime clouée au sol furent arrachés centimètres par centimètres. Le scalp voltigea. Le cuir chevelu sanglant traversa la fenêtre de la chambre et disparut dans l'obscurité de la nuit. Des morbides clochettes blanches de brins de muguet fleurirent au sommet de la tête ensanglantée du garçonnet. L'enfant chauve, cloué au sol, sombra progressivement dans l'inconscience. Comme il ne bougeait plus, la petite fille aux brins de muguet s'ennuyait. Elle se souvint qui lui restait neuf autres compagnons de jeux, dispersés dans la ville. La sorcière rousse tendit la main vers sa grand-mère d'adoption qui lui concéda jadis une partie de ses pouvoirs. La vieille dame psalmodia : " Feu. Naissance astrale de la plus grande des sorcières. J'invoque ta présence, entends mon appel. " Un brasier enflamma les pieds du garçonnet et rongea rapidement le reste du corps. Pendant que les sorcières ricanaient à n'en plus finir, le feu finissait de détruire les vestiges de l'heureuse vie du garçon.

     Le lendemain, dix familles furent endeuillées. Elles pleurèrent la mort de leurs enfants qu'elles avaient retrouvées partiellement calcinés. Les autorités ne purent expliquer les morts causées par le feu. Les termes de "combustions spontanées" furent placés. Fait étrange, sur le sol, près des corps des enfants, des lambeaux de chairs brûlées formaient ces mots : " Ils ne méritaient pas de chaleurs humaines" .

     Au village, nul ne revit Andréa et son inséparable grand-mère. Aux yeux de tous, l'enfant disparue devint la petite fille aux brins de muguet. Tous regrettèrent sa disparition et louèrent son impérissable bonté. L'esprit de l'enfant médiévale immolée fut enfin apaisé.

     Partout dans le monde, nous continuons à célébrer le 1er Mai en s'offrant de luxueux brins de muguet. Nul ne sait de quelles origines exactes vient cette tradition. Certains prétendent - sans arriver à expliquer pourquoi - que le muguet est mortel. Si vous entendez cette phrase, faites donc lire l'histoire obscure de la petite fille aux brins de muguet. Cette historiette doit rester dans les mémoires car, sinon, nul ne sait ce qui pourrait arriver....