Le nouveau Leatherface
Creepypasta
Au
coin du feu, Sally et Lili, toutes deux cousines se racontent des
récits répugnants. Nous sommes en plein hiver et les deux cousines,
qui ne se voient qu'exclusivement lors de la période hivernale,
instaurent un climat inquiétant. Cette fois, Lili souhaite être la
narratrice d'un récit qui fera grimacer d'effroi. Cette conteuse
commence cette cauchemardesque chronique.
Il
y a de cela une dizaine d'années, les petits commerçants voulurent
se prémunir des vols dans leurs boutiques. Ils installèrent alors,
dans des endroits stratégiques, une grande affichette pour prévenir
de l'omniprésence des caméras de vidéosurveillance et ainsi mettre
en garde les potentiels kleptomanes : « Souriez ! Vous êtes
filmés » Cet avertissement ne tomba pas dans l'oreille d'un
sourd et fut respecté à la lettre par un homme inquiétant.
Un
individu avait tous les vices possibles et inimaginables. Il était
menteur, sournois, agressif et voleur. Le besoin de faire sien ce qui
ne lui appartenait pas était à un stade assez élevé. L'être
perfide, fantasmait, rêvait, voyait et prenait. Son atroce talon
d'Achille était l'alcool. Il s'enivrait nuits et jours de whisky
matures et de grands crus d'exception. Il écumait les bars mais,
comme l'alcool le rendait encore plus mauvais qu'il n'était, et que
de toute façon, il ne payait pas toujours ses consommations, il fut
congédié de tous les pubs. L'homme de débauche commença donc à
s'imbiber d'alcool à son domicile.
La
déchéance de l'alcoolique fut telle que l'exploitation agricole
qu'il tenait et voulait faire prospérer croula très vite sous un
tas d'ennuis. Il connut alors des déboires financiers et comme il
avait de très mauvaises fréquentations, un ami, qui piquait
admirablement en douce des produits onéreux lui confia son astuce.
Selon lui : « voler est aussi simple que d'enfiler une
écharpe autour de son cou et la dénouer lorsqu'il fait trop chaud »
: c'est ce qu'un soir de beuveries son acolyte, le pilier de bar lui
confia. Il précisa sa combine : il suffisait de venir dans une
supérette avec un foulard autour du cou, le retirer en vaquant dans
les rayons, entourer sa main du tissu, saisir avec sa main camouflée
l'objet du larcin, cacher rapidement le produit à voler dans
l'écharpe, puis finir par cacher le butin à l'intérieur de
l'écharpe tenue dans la main : ni vu, ni connu.
L'astuce
fit son chemin dans l'esprit, pourtant imbibé d'alcool de l'apprenti
voleur. Il répéta encore et encore ce stratagème pour piquer de
petites bouteilles d'alcool qu'il s'enfilait une fois rentré chez
lui. Mais très vite, les larcins prirent une drôle de tournure.
Dans chaque anecdote, il existe un point de bascule, un moment du
récit où tout sombre au cœur des atrocités et cela est d'autant
plus vrai lorsque le protagoniste n'a aucune limite.
Les
petites boutiques, régulièrement dévalisées, par l'homme au
foulard étaient modestes et ne comptaient ni vigiles, ni antivols.
Les gérants décidèrent alors d'installer une petite caméra de
vidéosurveillance et cette pancarte, qui dissuaderait de toutes
velléités de vols : « Souriez, vous êtes filmés ».
Le
voleur n'eut pas la crainte lucide et logique d'être, à la longue
enregistré et reconnu, sur les bandes vidéo, mais il fut frappé
par une peur bien plus indicible et ridicule. Le fou n'était pas
aidé par Dame nature et avait, au lieu d'un doux visage, un faciès
grotesque et inquiétant. A cause des mélanges d'alcools et drogues
divers, le dingue ne contrôlait plus ses tics. Il avait la moitié
de la bouche difforme qui tirait vers le bas et tremblotait
nerveusement en permanence. La moue était baveuse et hideuse. Une
malformation importante empêchait l'inquiétant voleur de prononcer
des paroles claires, ses expressions vocales n'étaient que
ricanements et grognements. Le tableau de la monstruosité était au
complet. Tout en lui n'était qu'effroi et grotesque : il avait
en guise de corps, une masse grosse, lourde et maladroite. Afin
d'accompagner l'absence de grâce dans le mouvement, de facilité
d'expression, le monstre était frappé de cet handicap : il ne
savait pas sourire.
Il
fut alors à un terrible tournant dans sa carrière de voleur et se
mit en tête de dessiner un avenir bien plus atroce...
Le
maniaque était peu intelligent mais connaissait beaucoup de contacts
plus vicieux et plus habiles que lui, il ébruita alors une rumeur
aux oreilles des délinquants en qui il avait le plus confiance :
ensemble, ils allaient assembler leurs connaissances et voler des
sourires...
La
nuit tombée, un terrible trio s'introduisit avec finesses et
intelligences dans l'inquiétant service d'une morgue. Les trois
affreux se constituaient d'un habile cambrioleur, d'un fou de
médecine et du voleur de sourire. L'alcoolique n'avait pas bu le
moindre verre pour s'assurer les gestes sûrs qu'on lui avait maintes
et maintes fois appris. Il ne fallait pas se louper : une
glacière transportant un récipient rempli de formol attendait son
dû. Entre les différents tiroirs argentés où avaient trépassé
les défunts, il hésita. Mais, quand il vit la blonde décédée
d'un infarctus, il eut le coup de foudre et sut que c'était une
partie d'elle qu'il voulait emporter. Son sourire, à elle, tirait
gracieusement vers le haut. Ses lèvres étaient fines et
vénusiennes. La bouche en cœur parfaitement dessinée.
Voilà
une aubaine : secrètement, l'effroyable fou avait toujours
voulu se glisser dans la peau d'une femme. Le voleur de sourire
sortit son arme la plus tranchante et, dans une mare de sang et de
bruit spongieux de chair découpée, se mit au travail. Sous la
surveillance du dingue de médecine, il incisa les couches de dermes
précises, détacha minutieusement centimètres de peaux par
centimètres de peaux jusqu'à créer l’œuvre de sa vie qui
illuminerait le restant de ses jours de son atroce aura. Il effleura
la beauté morte, sentit la peau de la défunte et en gloussant porta
son précieux à son propre visage. Dans la morgue, un monstrueux
mythe naquit.
Une
semaine après, une odeur de charogne, de viande avariée planait
dans une petite épicerie. Une drôle de silhouette ondulait des
hanches mais vacillait sur des hauts talons. La femme blonde aurait
pu être sexy mais en réalité, elle était plutôt inquiétante.
Son visage ondulait légèrement par endroits. Personne ne le vit
vraiment, mais des asticots gigotaient aux coins de la bouche et la
blonde qui ne savait qu'en faire les aspirait et les avalait La mort
imprégnait tous les pores de la peau, mais qu'importe car enfin la
créature... souriait.
Au
fil des mois, l'être alambiqué devint une effroyable rousse, une
étrange brune. Une femme chaque fois différente qui transportait
toujours avec elle un sourire glacial et figé, un masque de
courtoisie qui la faisait passer inaperçue. Du moins, était-ce ce
qu'il pensait.
Car
à l'approche des fêtes de fin d'année, les plus modestes
supérettes furent prises d'assaut. Les clients se heurtaient, se
poussaient, jouaient des coudes. Une grande femme à la chevelure
d'or se fit bousculer dans la cohue. Elle tomba violemment sur le
dos. Un pied pressé piétina la blondeur. Et l'horreur eut lieu. Une
mèche de cheveux céda. Au lieu d'un cuir chevelu rouge sanglant, un
derme vert puant et couvert de moisissure fit son apparition. La
cauchemardesque créature tenta de réajuster la curieuse peau de son
visage. Mais elle ne réussit qu'à déplacer le faciès féminin
trop sec et figé. Alors le masque tomba dans une cohorte de larves
de mouches et de vers amalgamés dans des couches verdâtres. Le
souriant visage laissa place au grotesque et monstrueux faciès à la
lèvre pendue et tremblotante. La face inhumaine avait atteint le
sommet de l'épouvante : par endroits, la peau était brûlée,
calcinée par le formol qui conservait tous les sourires volés dans
les morgues. Le monstre grogna des paroles incompréhensibles et bava
la substance poisseuse et putride du masque. Il secoua la tête
en grondant et tenta de réajuster sa toute première identité
blonde mais le derme mal conservé était devenu importable et
inutilisable.
Confronter
son apparence difforme aux yeux de la société, lui fit davantage
perdre l'esprit. Le malade se saisit d'un couteau caché dans sa
poche et agressa toute la clientèle. Dans un délire hallucinatoire,
il pensa que son couteau aiguisé était une dangereuse tronçonneuse
électrique. Il vocalisa et singea le bruit électrique tonitruant en
tranchant des bras, des jambes et des cages thoraciques. Il imagina
son supermarché de l'horreur en coupant des têtes et en les
disposant sur les étals des fruits et légumes. Il s'amusa et fut à
la fois charcutier et maraîcher.
Après
cette terrifiante tuerie, il … parvint à se sauver et échappa aux
forces de l'ordre. Pendant des semaines, une chasse à l'homme fut
menée sans grand succès. Puis, une autre affaire recoupa la
principale : des locataires se plaignirent d'une puanteur
asphyxiante qui venait d'un petit studio loué en centre-ville.
L'appartement fut minutieusement fouillé. Aucun employé qui y mit
les pieds ne sortit mentalement indemne de la macabre découverte.
Le
domicile était puant d'odeurs immondes, de substances glissantes, et
de trophées étranges. Le sol était couvert de larves de mouches
qui explosaient avec des odeurs écœurantes et menaçaient de faire
tomber les agents de police. La pièce principale était emplie de
sons de bestioles volantes en tous genres. Des cafards couraient
entre les pieds aventuriers. Dans la cuisine, le laboratoire de
l'horreur fut découvert. L'atelier du célèbre docteur
Frankenstein, s'il avait vraiment existé, aurait été plus soigné.
Au milieu de livres médicaux, des tas de bocaux de formol trônaient.
Des scalps humains féminins y étaient, la plupart étonnamment bien
conservés. Quant aux échecs laborantins, ils étaient sur des
socles, les peaux pourrissaient et abritaient tout un écosystème.
Les effluves écœurants émanaient de ces masques féminins,
grouillants de vie de coléoptères, au stade de pourritures
avancées. Une trentaine d'autres visages, de nouvelles identités à
enfiler. Comble du cauchemar et de l'incompréhension, une tenaille
et un marteau ensanglanté, jouxtaient trente-deux dents humaines.
Les
inspecteurs firent le lien avec les tragiques disparitions des corps
dans les morgues de la ville et la tuerie de la supérette. Par
contre, le coupable de ces affaires ne fut jamais retrouvé, il
s'évapora dans la nature. Nul ne sut comment, personne ne sut sous
quelle identité. Dans les médias, le tueur en série fut
surnommé le nouveau Leatherface.
Lili
finit de conter cette histoire lugubre avec un soupir désabusé.
Étonnée, Sally lui demande où elle a entendu cette horreur. Ce
récit est répugnant, dingue, dépasse même le célèbre film :
« Massacre à la tronçonneuse ». Au loin un bruit
réellement flippant, fait sursauter Sally. Alors qu'elle se serine
que le précédent récit n'est pas réel mais juste une invention
issue d'un cerveau dérangé, sa cousine retire l'écharpe écarlate
qu'elle porte trop souvent. Elle sourit sournoisement et lève
lentement la tête pour exhiber... sa cicatrice : un fin
stigmate peu assuré, zigzagant, flou qui couvre le long de sa
mâchoire et épouse la courbe de son menton. Nerveusement, elle
remet son foulard et se dirige vers la porte du salon qu'elle ferme à
clé. Elle accompagne son action d'un aveu : il a juré de l'épargner
si elle l'aide à trouver un nouveau visage souriant et heureux.
Interdite,
Sally se lève et regarde le bar dans le salon où un tas de
bouteilles d'alcool attendent d'être consommées : d'excellents
whiskys, de grands crus. Son regard longe le mur et effleure ensuite
une photo de son étrange cousine avec, vraisemblablement, un membre
de sa famille. La photographie encadrée est dissimulée dans un coin
de la pièce. Un homme qu'elle n'a jamais vu, a un geste possessif
sur les épaules de Lili, et regarde méchamment l'objectif. Le plus
angoissant est le bas de son visage : il grimace une moue hideuse
avec un rictus en coin qui penche péniblement vers le bas. Toute la
moitié du visage est figé en une répugnante expression et
immortalisé à jamais dans une colère sans limite. Pendant que
Sally comprend péniblement, que le nouveau Leatherface est réel et
sans doute le père de Lili, elle entend un bruit électrique
effrayant, émanant du film d'horreur le plus terrifiant. La source
du vacarme est une tronçonneuse électrique qui s'acharne et lacère
la porte en bois du salon.
Bien
qu'interdite et choquée par l'effroyable embuscade dans laquelle
elle est tombée, Sally quitte la pièce et court dans le couloir,
elle déboule dans une pièce couverte des posters d'une célèbre
saga cinématographique avec un psychopathe à la tronçonneuse.
L'imitation pousse plus loin : face à elle est posé sagement
le corps d'une femme comme momifié, gelé dans sa jolie mort. Sally
avise une fenêtre qui se brouille progressivement. Elle avance vers
elle dans un flou inquiétant. Son pied se bloque dans un piège à
ours et les mauvaises mâchoires croquent la chair du bas de la jambe
dans un bruitage de peau mordue et d'os brisés. Sally ne lutte point
pour se dégager mais au contraire s'évanouit.
Une
heure après, Sally, qui avait vraisemblablement été droguée par
la nourriture de sa cousine, sort de sa torpeur. Elle est attachée
par d'épaisses cordes poisseuses d'immondices. Lili lui intime
l'ordre de sourire car elle est filmée. Cette folle pointe une
caméra sur la malheureuse captive sur la table de la cuisine.
L'abomination, arrive. Le nouveau Leatherface se tient près d'elle
un couteau rouillé à la main et un marteau dans l'autre. Bubba
Sawyer, le héros de « Massacre à la tronçonneuse »,
avait toujours eu des masques de cuir humains angoissants, mais cela
n'était rien comparé à la nouvelle grandeur de la perversité. Le
nouveau Leatherface a la figure la plus dégoûtante et effrayante
qui existe : les oreilles du déguisement humain ont été
travaillées en pointes, les dents remplacées par une dentition
animale, trop grande, trop pointue, trop sanglante, trop moisie. Les
pommettes du visage sont exagérément en relief ; les yeux
vicieux, déformés. Le démentiel accident de la nature pousse un
grognement et commence le long et violent massacre de Sally. Il
martèle les membres inférieurs, casse chevilles, rotules, tibias et
fémurs : rien n'est épargné. Souhaitant préserver certaines
parties tendres du haut du corps, Leatherface coupe délicatement la
viande pendant une bonne heure assurant à Sally un voyage progressif
et insidieux au cœur du massacre le plus réel et horrible qu'il
soit.