L'égout Rattenwater
Connaissez-vous
l'histoire autour de l'égout Rattenwater ? Non ? Rien d'étonnant.
La plupart des férus d'horreur ne jurent que par l'existence des
catacombes de Paris. Un tas de Creepypastas circulent autour de ces
lieux. Toutes plus atroces les unes que les autres. Mais ce ne sont
que des légendes urbaines. N'est-ce-pas ? L'égout échappe à ces
épouvantables élucubrations. Même si un de ces couloirs a un accès
direct au cœur des abîmes parisiens, l'endroit est sain. J'en suis
certain.
Dans ma ville, les crédules parlent de l'égout en
ces termes : " Labyrinthe sans fin. Eau saumâtre. Poisseuse.
Qui semble vous engloutir pour ne jamais vous laisser échapper. "
Je suis d'un naturel intrépide, stupide, inconscient. Appelez ça
comme vous voulez, mais pour Halloween je veux juste visiter ces
lieux et les filmer. Après tout, le grand frisson n'est-ce donc pas
ce que nous recherchons tous ? Le soir venu, je m'approche avec mon
attirail. Lampe torche, téléphone portable et caméra légère dans
mon sac à dos. Mais pas mes lunettes de plongée. Je ne plaisante
qu'à moitié : " vous allez devoir nager, encore et encore"
disaient-ils. Aucun problème : le papillon n'a aucun secret pour
moi, même sans ces lunettes.
La plaque d'égout est d'un
verdâtre poisseux, totalement agglutinée dans son orifice. Je
m'échine à la dégager dans une avalanche de bruits de succions
dégoutants. Je saute alors vers l'inconnu dans un antre sombre
presque sans fond. Je tombe les quatre fers en l'air en un craquement
atroce. Immobilité et douleur momentanées. Dans mon malheur j'ai de
la chance, mon dos est endolori mais indemne : mon sac à dos a
amorti la chute. Mes affaires et ma caméra sont désormais
inutilisables. Je ne peux plus filmer mon aventure. L'eau noirâtre
et agitée m'arrive jusqu'à la taille. J'avance à tâtons pendant
plusieurs mètres. Mes pieds dérapent. Bien que je sois chaussé de
mes meilleures baskets, elles n'ont aucune adhérence. À chaque pas,
mes jambes heurtent des corps mous et visqueux qui semblent se
désintégrer. Je suis au comble de l'horreur : bientôt je n'ai plus
pied. Alors dans cette eau vaseuse et trouble, je dois nager. Cela
doit faire une heure ou deux que j'évolue dans ce dédale dégoûtant.
Je suis perdu et épuisé. Je commence à me noyer dans tout cet
espace. Le temps file sans que je ne le sache. Ma montre est cassée.
Je n'ai alors même plus d'espace-temps. Autour de moi, l'odeur est
de plus en plus pestilentielle, peut-être provient-elle de ces
choses flottantes. Des...
Couic.
Couic.
Couic.
Les
cris sont de plus en plus nombreux et correspondent aux couinements
excités des rats qui envahissent le couloir de l'égout. Ils sont
peut-être une bonne centaine. Ils sont hideux. Certains ont des
oreilles déchiquetées : signes de luttes acharnées entre eux. La
plupart, ont des touffes de poils manquantes : la gale. Et leurs
tailles, mais leurs tailles ! Même de là où je suis, j'arrive à
les voir. Ils s' apparentent plus à des ragondins qu'à des simples
rats.
Je suis libre de nager le crawl rapide pour sauver ma
peau. Inutile : les rongeurs sont d'excellents nageurs, bien plus que
moi. Et eux aussi ont leurs propres instincts de survies : la faim
démesurée. Je nage. En vain. Mes mouvements de jambes sont rapides.
Rapidement meurtris. Tous ces couics, couics, couics crissent
déjà dans mes oreilles. À l'arrière des incisives animales se
cachent des langues gluantes et immenses. Je les sens. Elles sont
anormales et râpent les lobes de mes oreilles. Les dents des
rongeurs me cisèlent. Néanmoins, au delà de la douleur, je ressens
toujours cette même langue qui ergote les mots. Peut-être qu'en
plus de ne plus avoir pied, je perds déjà la tête, mais je suis
persuadé d'entendre un jargon humain parmi les bruits
bestiaux.
Enfin, un autre son a lieu et précipite la fin de
mon malheur. Comme un rappel, un énorme Boum fait rassembler
la horde de ragondins en deux rangs distincts. Je ne suis plus
dévoré, mais mon répit est de courte durée. Quand on croit le
comble de l'horreur atteint, elle nous attrape et nous entraîne dans
ses tréfonds. L'ouvrière de l'horreur apparaît devant moi. Elle
porte un ersatz de pantalon bleu sanglant, déchiqueté aux genoux.
Je parle de genoux, mais ses jambes n'ont plus aucun caractère
humain. Elles sont bizarrement courbées, puissantes, couvertes d'un
poil touffu et gris. Aux extrémités des doigts, d'immenses griffes
mi-terreuses, mi-verdâtres. Campée sur ces pattes arrières, la
créature hybride se déplace vers moi en sauts lourds.
Je
voudrais quitter cet enfer, mais mes propres jambes sont immobilisées
par une douleur pulsante. Horrifié, je tente de vérifier le bas de
mon corps. Mais tout ce que j'aperçois est un appendice qui traîne
jusqu'au sol. Une queue de rat atroce d'une trentaine de centimètres.
Le nouveau prolongement de ma colonne vertébrale est ensanglanté et
piqueté d'un duvet gris.
Le monstre avance vers moi en
dodelinant le haut de son corps. Un organisme improbable fait de
cellules humaines et animales. Le torse est bosselé de cratères de
sangs coagulés, de dermes humains creusés et de vallées grises
velues. Couic. Vite. Couic. Les vocalises stridentes viennent
de la tête du rongeur humain. Mais quelle foutue tête ! Même
l'amas poilu ne parvient à cacher l'atrocité des détails. Les yeux
maquillés ont encore ce beau bleu lavande, mais ils sont perdus au
milieu d'hideux attributs. Des lambeaux de chair pendent encore ici
et là. Les oreilles sont charcutées, réduites à des trous
sombres. Le museau long et hirsute, se finit par les narines roses
d'un humain. Les lèvres féminines et pulpeuses cernent les
incisives jaunes. La bouche forme bientôt des paroles claires :
"Couic, tu seras organique. Couic, l'instant sera magique.
Couic, nous nous unirons en un acte érotique."
À
mesure que la ratte humaine approche avec une allure qui se voudrait
séduisante, mon corps compulse encore et encore. Je hurle. Ma peur
épouse ma souffrance. La ratte avale mes dernières pensées et mes
ultimes cris. Au sein de l'égout, dans un concert de Vite et de
Couics, l'eau - et tout ce qui dégouline - transcendent
tout.
Connaissez-vous l'histoire de l'égout Rattenwater ?
Toujours pas ? Vous devriez... Poussés par quelques rumeurs, des Youtubeurs vont dans ce lieu tout proche : les Catacombes de Paris
pour des explorations urbaines. Certains ont peur de l'eau vivace
avec les risques de noyade que cela implique. Alors que d'autres sont
perturbés par les bruits inqualifiables. Mais ils ignorent que les
réels dangers sont les rats venant de l'égout Rattenwater. Des
rats, d'un autre genre ...