mercredi 27 novembre 2019

L'égout Rattenwater



Connaissez-vous l'histoire autour de l'égout Rattenwater ? Non ? Rien d'étonnant. La plupart des férus d'horreur ne jurent que par l'existence des catacombes de Paris. Un tas de Creepypastas circulent autour de ces lieux. Toutes plus atroces les unes que les autres. Mais ce ne sont que des légendes urbaines. N'est-ce-pas ?


     

     Connaissez-vous l'histoire autour de l'égout Rattenwater ? Non ? Rien d'étonnant. La plupart des férus d'horreur ne jurent que par l'existence des catacombes de Paris. Un tas de Creepypastas circulent autour de ces lieux. Toutes plus atroces les unes que les autres. Mais ce ne sont que des légendes urbaines. N'est-ce-pas ? L'égout échappe à ces épouvantables élucubrations. Même si un de ces couloirs a un accès direct au cœur des abîmes parisiens, l'endroit est sain. J'en suis certain.

     Dans ma ville, les crédules parlent de l'égout en ces termes : " Labyrinthe sans fin. Eau saumâtre. Poisseuse. Qui semble vous engloutir pour ne jamais vous laisser échapper. " Je suis d'un naturel intrépide, stupide, inconscient. Appelez ça comme vous voulez, mais pour Halloween je veux juste visiter ces lieux et les filmer. Après tout, le grand frisson n'est-ce donc pas ce que nous recherchons tous ? Le soir venu, je m'approche avec mon attirail. Lampe torche, téléphone portable et caméra légère dans mon sac à dos. Mais pas mes lunettes de plongée. Je ne plaisante qu'à moitié : " vous allez devoir nager, encore et encore" disaient-ils. Aucun problème : le papillon n'a aucun secret pour moi, même sans ces lunettes.

     La plaque d'égout est d'un verdâtre poisseux, totalement agglutinée dans son orifice. Je m'échine à la dégager dans une avalanche de bruits de succions dégoutants. Je saute alors vers l'inconnu dans un antre sombre presque sans fond. Je tombe les quatre fers en l'air en un craquement atroce. Immobilité et douleur momentanées. Dans mon malheur j'ai de la chance, mon dos est endolori mais indemne : mon sac à dos a amorti la chute. Mes affaires et ma caméra sont désormais inutilisables. Je ne peux plus filmer mon aventure. L'eau noirâtre et agitée m'arrive jusqu'à la taille. J'avance à tâtons pendant plusieurs mètres. Mes pieds dérapent. Bien que je sois chaussé de mes meilleures baskets, elles n'ont aucune adhérence. À chaque pas, mes jambes heurtent des corps mous et visqueux qui semblent se désintégrer. Je suis au comble de l'horreur : bientôt je n'ai plus pied. Alors dans cette eau vaseuse et trouble, je dois nager. Cela doit faire une heure ou deux que j'évolue dans ce dédale dégoûtant. Je suis perdu et épuisé. Je commence à me noyer dans tout cet espace. Le temps file sans que je ne le sache. Ma montre est cassée. Je n'ai alors même plus d'espace-temps. Autour de moi, l'odeur est de plus en plus pestilentielle, peut-être provient-elle de ces choses flottantes. Des...

Couic. 

Couic. 

Couic.


     Les cris sont de plus en plus nombreux et correspondent aux couinements excités des rats qui envahissent le couloir de l'égout. Ils sont peut-être une bonne centaine. Ils sont hideux. Certains ont des oreilles déchiquetées : signes de luttes acharnées entre eux. La plupart, ont des touffes de poils manquantes : la gale. Et leurs tailles, mais leurs tailles ! Même de là où je suis, j'arrive à les voir. Ils s' apparentent plus à des ragondins qu'à des simples rats.

     Je suis libre de nager le crawl rapide pour sauver ma peau. Inutile : les rongeurs sont d'excellents nageurs, bien plus que moi. Et eux aussi ont leurs propres instincts de survies : la faim démesurée. Je nage. En vain. Mes mouvements de jambes sont rapides. Rapidement meurtris. Tous ces couics, couics, couics crissent déjà dans mes oreilles. À l'arrière des incisives animales se cachent des langues gluantes et immenses. Je les sens. Elles sont anormales et râpent les lobes de mes oreilles. Les dents des rongeurs me cisèlent. Néanmoins, au delà de la douleur, je ressens toujours cette même langue qui ergote les mots. Peut-être qu'en plus de ne plus avoir pied, je perds déjà la tête, mais je suis persuadé d'entendre un jargon humain parmi les bruits bestiaux.

     Enfin, un autre son a lieu et précipite la fin de mon malheur. Comme un rappel, un énorme Boum fait rassembler la horde de ragondins en deux rangs distincts. Je ne suis plus dévoré, mais mon répit est de courte durée. Quand on croit le comble de l'horreur atteint, elle nous attrape et nous entraîne dans ses tréfonds. L'ouvrière de l'horreur apparaît devant moi. Elle porte un ersatz de pantalon bleu sanglant, déchiqueté aux genoux. Je parle de genoux, mais ses jambes n'ont plus aucun caractère humain. Elles sont bizarrement courbées, puissantes, couvertes d'un poil touffu et gris. Aux extrémités des doigts, d'immenses griffes mi-terreuses, mi-verdâtres. Campée sur ces pattes arrières, la créature hybride se déplace vers moi en sauts lourds.

     Je voudrais quitter cet enfer, mais mes propres jambes sont immobilisées par une douleur pulsante. Horrifié, je tente de vérifier le bas de mon corps. Mais tout ce que j'aperçois est un appendice qui traîne jusqu'au sol. Une queue de rat atroce d'une trentaine de centimètres. Le nouveau prolongement de ma colonne vertébrale est ensanglanté et piqueté d'un duvet gris.

     Le monstre avance vers moi en dodelinant le haut de son corps. Un organisme improbable fait de cellules humaines et animales. Le torse est bosselé de cratères de sangs coagulés, de dermes humains creusés et de vallées grises velues. Couic. Vite. Couic. Les vocalises stridentes viennent de la tête du rongeur humain. Mais quelle foutue tête ! Même l'amas poilu ne parvient à cacher l'atrocité des détails. Les yeux maquillés ont encore ce beau bleu lavande, mais ils sont perdus au milieu d'hideux attributs. Des lambeaux de chair pendent encore ici et là. Les oreilles sont charcutées, réduites à des trous sombres. Le museau long et hirsute, se finit par les narines roses d'un humain. Les lèvres féminines et pulpeuses cernent les incisives jaunes. La bouche forme bientôt des paroles claires : "Couic, tu seras organique. Couic, l'instant sera magique. Couic, nous nous unirons en un acte érotique."

     À mesure que la ratte humaine approche avec une allure qui se voudrait séduisante, mon corps compulse encore et encore. Je hurle. Ma peur épouse ma souffrance. La ratte avale mes dernières pensées et mes ultimes cris. Au sein de l'égout, dans un concert de Vite et de Couics, l'eau - et tout ce qui dégouline - transcendent tout.

     Connaissez-vous l'histoire de l'égout Rattenwater ? Toujours pas ? Vous devriez... Poussés par quelques rumeurs, des Youtubeurs vont dans ce lieu tout proche : les Catacombes de Paris pour des explorations urbaines. Certains ont peur de l'eau vivace avec les risques de noyade que cela implique. Alors que d'autres sont perturbés par les bruits inqualifiables. Mais ils ignorent que les réels dangers sont les rats venant de l'égout Rattenwater. Des rats, d'un autre genre ...