Cauchemars prémonitoires
Dis
moi ce à quoi tu rêves et je te dirai à quoi tu penses ! Voire qui
tu es et ce qui pourrait t'arriver ... Et peut-être qu'en poussant
un peu, tes rêves inouïs pourraient être de pénibles
prémonitions. Les mauvais songes sont les reflets de l'inconscient.
Du moins c'est ce que tout le monde dit. Il paraîtrait même que les
rêves seraient juste le condensé de ce qui arrive. Rien de plus
normal.
Je n'ai pas d'opinion là-dessus. En fait, j'essaye
juste de relativiser la signification : j'ai simplement une
imagination débordante et, dans ce sens, mes songes sont de bonnes
matière pour écrire des histoires qui font peur. Une nuit, une idée
de troisième guerre mondiale horrible avec tant de réseaux de
résistants empruntant des tunnels, reliés aux anciennes gares, a
fait surface. J'en ai tiré un récit ! Je vous parle de ça pour
illustrer mes propos : tout ça est une anecdote, une histoire
fictive, juste basée sur un rêve. Mais ce que je vais vous
rapporter est réel, vous le comprendrez en appréciant le lien que
je tisse avec l'actrice principale de mon songe. Elle était spéciale
à mes yeux et pour rien au monde, je ne me permettrais de broder mes
délires créatifs sur elle.
Les choses perturbantes ont
toujours un début. Et l'essence de mon cauchemar commença comme ce
qui suit.
Une nuit, je me retrouvais avec mon compagnon près
d'un resto grill en bordure d'autoroute. Un genre de dîner
américain. À l'intérieur du restaurant, l'ambiance était calme
comme figée par une brume de normalité. Tout fonctionnait au
ralenti. Les serveuses glissaient lentement dans des démarches
graciles de silhouettes fantomatiques. Les clients attablés
mangeaient en fixant le vide. Sans ciller, les paupières ouvertes
voyant un autre monde. Seules les mâchoires mastiquaient,
bougeaient.
Nous nous installions à une table libre et
passions commande. Soudainement, une vieille dame cachée sous la
table surgit. La scène était sordide ! La femme âgée avait des
dents verdâtres en mauvais état. Ses cheveux poivre et sel
grouillaient de larves de mouches. Une nécrose faisait tomber ses
seins en lambeaux de chair rongés par des vers. Ses bras et jambes
étaient des branches de bois sèches et mortes. Avec ses membres
boisés et moisis, elle scalpa d'un coup vif le vêtement et le torse
de mon compagnon. Des gerbes de sang et du derme atterrirent dans les
assiettes pendant que des bouts de tétons volèrent vers les verres
posés sur la table.
Dans le restaurant, un enfant était gelé
par la peur de la scène, il pointait un doigt maigre vers la vieille
dame. Le ventre du garçonnet était recouvert par un large bandage
d'hôpital. Près de lui, un médecin étrange désignait lui aussi
la dame du doigt en disant : " on a essayé de soigner son
cerveau avec de la gélatine ! "
Bien que je me mis à
fuir le sommeil, le mauvais rêve ne me lâcha pas et se développa
en moi. Selon vous, rien de surnaturel, peut-être un peu loufoque et
sordide mais rien de plus. Pourtant, il n'y a rien de plus paranormal
et flippant que de voir ses proches hanter inlassablement ses songes.
Et quand la fiction devient réalité, nous n'avons plus qu'à
angoisser si les choses se réalisaient.
Ce cauchemar crocheta
carrément ses crocs sur ma carcasse. Cabinet castrateur cadenassé.
Cécilia c'est cette chose "
De vous à moi, je précise
les choses : Cécilia est le prénom de ma grand-mère. Le cabinet
castrateur : le lieu de ses futurs rendez-vous médicaux. "
Cécilia c'est cette chose ": mon Dieu, je vous ai vraiment dit
ça ? Je vous parle en des termes abstraits pour fuir ma réalité
car ma chère grand-mère Cécilia rejoignait de plus en plus mes
mauvais rêves. Elle se substituait à la vieille dame aux jambes et
bras décharnés. Elle devenait elle. Elle. Était. Elle.
Progressivement, ses bras devinrent normaux, si ce n'est anormalement
maigres. Le bandage du garçon du cauchemar, fut le bandage de la
vieille dame - de ma grand-mère - . Il couvrait sa poitrine
pourrissante et ensanglantée. Le garçon n'en était pas un. Le
garçon était une fille et la fille ... La fille était moi. Et
comme les éléments horrifiques vont toujours pas trois, le
psychiatre disait : " on a essayé de soigner sa poitrine avec
de la gélatine ! "
Les analystes vous disent que les
rêves sont surtout des condensés de vos journées passées. Sans
préciser que les jours passés peuvent être des journées futures
et qu'un condensé, pour eux, est une réalité. Vous vouliez de
l'épouvante ? Je cauchemardais chaque nuit l'état médical de
ma propre grand-mère. Sauf que ce n'était peut-être pas un
cauchemar.
Le clou du show de l'horreur arrive ! Un jour, elle
nous invita. Je dus me pincer pour vérifier que j'étais bien
éveillée car elle nous donna rendez-vous dans une cafétéria près
d'une autoroute. Presque tout le monde y commanda des burgers. Sauf
moi, je ne mangeais pas : j'avais l'estomac noué.
A la fin du
repas, j'ignorais le laïus du serveur qui vantait la qualité de son
dessert à la gélatine auprès de ma famille. Je ne pensais pas à
la nourriture et n'avais envie que d'une chose : arracher ma
grand-mère aux griffes du cauchemar qui était devenu notre réalité.
Elle nous apprenait - en essayant d'être la moins larmoyante
possible - qu'elle était en stade terminal du cancer du sein.
Inopérable et aucune chance de se soigner même avec le meilleur
traitement. Fidèle à elle-même elle tentait de nous ménager :
elle avait déjà bien vécu et n'avait pas peur de la mort. Moi,
oui. J'avais peur de sa mort, de mes cauchemars et aurais adoré
dessiner en rêve le meilleur des mondes possibles pour elle !
Elle
s'épuisa à parler durant de longues minutes. Pendant que moi, je la
scrutais : elle avait perdu beaucoup de poids et il est possible que
ce soit ce paramètre qui m'ait mis la puce à l'oreille. Son cancer,
je le savais déjà sans même me l'avouer .... Je commençais à me
berner et me mentir à moi-même. Car encore une fois, de vous à
moi, je savais que j'avais fait une série de mauvais rêves
prémonitoires. Je ne dirais pas à quel point le cauchemar peut
rejoindre bien souvent la réalité : cette réplique est commune au
possible. Et vous vous doutez bien que son état empira. Par pudeur
et par respect je n'en dirais pas plus. Sûrement en ai-je déjà
trop dit ...
Tout ce que je peux vous conseiller est de
surveiller tous vos songes, vos songes les plus fous. C'est parce
qu'ils sont mystérieux, mais lumineux, que les chiches lumières
peuvent éclairer vos ténébreuses craintes.