mardi 20 octobre 2020

 Les Décorations d'Halloween

 

J'aurai tant voulu que les choses soient différentes mais il faut croire que l'art de la divination avait été éteint en mon sein. Je n'avais pas vu le malheur arriver qui s'abattit sur ma fratrie telle la foudre. Et dire que j'avais juste voulu fêter Halloween...


    

     J'aurai tant voulu que les choses soient différentes mais il faut croire que l'art de la divination avait été éteint en mon sein. Je n'avais pas vu le malheur arriver qui s'abattit sur ma fratrie telle la foudre. Et dire que j'avais juste voulu fêter Halloween... 

 

     À la mi-Octobre, j'admirais le défilé de monstruosité dans une émission télévisée. C'était Halloween dans moins de deux semaines et tout ce qui passait à la télé tendait à nous le rappeler.

     "Des bonbons ou un sort !" Un bruit sourd accompagna la voix enfantine et fluette qui était celle de ma benjamine Mona. Elle sautilla dans ma chambre. Déguisée en vampirette, elle imagina qu'avec ses petites ailes de chauve-souris elle parviendrait à voler. Elle captura l'idée de fêter Halloween ensemble à la fin du mois. Mais nous étions trop jeunes : Mona avait six ans, et moi, Sybille n'en avais que douze. Arpenter les rues et toquer aux portes entre sœurs, était dangereux mais accompagnées d'une grande personne, cela aurait été possible.

 

     Nous courrions voir ma mère qui était, comme toujours, très occupée à la cuisine. Nous insistions une bonne partie de la journée. Mais elle refusait toujours et comme elle en eut assez au bout d'un moment, elle eut une solution qui tenait en trois mots : Elphaba à Albbe.

 

     C'est ainsi que nous entreprenions notre premier voyage, pour passer la fête de l'Horreur qui arrivait, à Albbe chez Elphaba notre grand-mère que nous n'avions jamais vue.

     La demeure victorienne était immense et surtout vétuste. Les bardeaux grisâtres des murs menaçaient de se détacher. Le toit était aussi gris et guère en meilleur état.

 

     Des épouvantails mal recouverts de sacs-poubelles encadraient l'ancienne porte en pierre à laquelle nous toquions. Les décorations lugubres tremblaient sous la force du vent.

     Très rapidement, une vieille dame vint nous ouvrir. Elle était grande, osseuse, courbée sous le poids des années. Elle grimaça un sourire et croassa une grinçante bienvenue.

 

     Si vous souhaitez un jour être écœuré par la période fétiche d'Halloween, allait séjourner à Albbe chez notre grand-mère. Cette vieille femme était spéciale à plus d'un titre. Elle aimait vivre au milieu des mauvaises odeurs et de la crasse. Les personnes âgées ont des logis pas toujours briqués, qui sentent le renfermé. Mais chez Elphaba, la puanteur et l'état des lieux étaient répugnants. Nous y mangions de la soupe pendant plusieurs jours. Mona rigolait en disant que c'était de la "tambouille de sorcière".

     Je ne pourrais vous dire à quel point elle avait raison. 

 

     Les jours filèrent. Elphaba était dans l'expectative du jour d'Halloween. Cette date était précieuse et lui permettait de, selon ses dires : "garder l'essence de la vie avec elle". Pour célébrer au mieux la vitalité, Elphaba organisa un jeu de piste dans sa vieille maison. Mais avant... Elle nous proposa une montagne de sucreries et autres chocolats faits maison. Nous étions tellement gavées des infâmes potages que nous acceptions sans réfléchir.

 

     Une heure après, nous avions assouvi notre gloutonnerie, enfin plutôt, ce qu'Elphaba désigna : "le dernier repas des condamnées". Vraiment si nous avions su...

     Mais pour l'heure, les meilleurs déguisements d'Halloween les plus affreux et les plus réalistes étaient dissimulés dans la maison et n'attendaient que nous.

 

     Durant une heure, les pas incertains et les idées troublées par l'excès de sucre, nous cherchions les affreux trophées dans toute la maisonnée. Alors que nous allions laisser tomber, nous trouvions une petite porte qui menait au grenier. Explorer cette pièce ne fut pas aisé, d'abord, car la porte était bloquée et ensuite, puisqu'au seuil de la pièce, nos pieds se placèrent sur une vieille ligne de clous rouillés. Nous hurlions de douleur en sentant le métal se ficher dans les plantes de nos pieds. À moitié sonnés, nous claudiquions à l'aveugle. Et le pire se produisit, les planches pourries du sol cédèrent nous faisant chuter d'un étage.

 

     Pourtant nous avions gagné. Nous avions trouvé, sans vraiment chercher, les trophées. Nous étions les malheureuses gagnantes des costumes d'Halloween plus vrais que nature. Malheureusement, nous ne pourrions pas aller parader avec dans les rues. Et les élancements douloureux dans nos pieds n'y étaient pour rien.

 

     "Trop pourris ! Inutilisables ! Bons à remplacer ! Poubelles". Elle ronchonna en jetant au loin l'intérieur de deux sacs-poubelles. Les étranges décorations de l'entrée. Elle grimaça un : "c'est à vous" .

     Elle commença par Mona. Guillerette, elle plaqua sans ménagement ma sœur dans le sac-poubelle. Elle frappa régulièrement ma sœur qui remuait en lui intimant le silence. Elle déplaça et cassa des petits objets. Comme des bruits de... végétation. Des brins d'herbes séchées qui se briseraient.

     Quand elle eut fini, elle retira le sac-poubelle et exhiba fièrement son œuvre d'Halloween. Mieux qu'un déguisement, une terrifiante œuvre d'art vivante. Un épouvantail qui remuait et cachait en son atroce centre ma sœur. Elle me réserva le même sort.

 

     Toute la nuit d'Halloween, dans la ville d'Albbe, nous fûmes piégées dans des épouvantails lugubres. Le calvaire dura bien après que le mois d'Octobre fusse fini. J'ignorais par quel miracle, mais nous étions encore vivantes après nos délivrances. Dans la ville d'Albbe, en attendant une autre fête de l'Horreur où nous ferons office de décorations, nous furent remisées de côté au grenier. Et dire que nous avions juste voulu fêter Halloween.