La dernière zombie Walk
Vous aimeriez aller à une zombie walk ? Pour ma part, oui ! Je suis passionnée par ces défilés de monstruosité. J'en profite je suis insouciante et n'ai que 18 ans ! Soyez jaloux et envieux si vous voulez ! Je croque la vie à pleines dents, surtout aujourd'hui qui voit naître ma toute première zombie walk. Je suis excitée comme jamais, et trépigne d'impatience. J'ai tout anticipé, l'endroit où je vais retrouver mes amis, mon costume de militaire un peu sexy et mon make-up de zombie. Mes parents aussi ont prévu quelque chose. Ce matin, ils ne sont pas là. Rien de grave, ça leur arrive souvent. Tant mieux pour moi, j'ai la belle vie et suis libre de découcher comme je le souhaite et rentrer de soirée torchée comme pas possible.
Ma matinée passe lentement, je me prépare semant une pagaille apocalyptique dans toute la maison et pars rejoindre mon ami Michael au centre commercial. J'aurai pu être à la bourre, pas grave j'aurai été en retard et Mike n'aurait eu qu'à m'attendre ! J'aime jouer les divas, appelez-moi désirée. Mais les routes sont si calmes et désertes, que pour la première fois, de ma vie, j'arrive à l'heure. Je patiente donc dans ma voiture en écoutant une musique Break the lies de Tigerberry.. Alors que je m'imagine dans une salle de concerts aux métal cinglants, j'aperçois dans le rétroviseur mon ami Mike qui court comme si sa vie en dépendait. Il est incroyable, habillé comme son idole Michael Jackson dans le clip Thriller. Arrivé à la hauteur de ma voiture, il ouvre ma portière à la volée, saisis vite ma main et aboie un « magne toi, on bouge ».
Je ne traîne pas dans mon véhicule car je vois trop vite au loin une marée cauchemardesque qui approche près du parking : des choses grondantes et décharnées à la démarche saccadée. Mike gronde des : « merde, merde, merde » et se précipite vers les grilles métalliques du parking qui sont bloquées. Je ne comprends pas son manège, la zombie walk a commencé mais ce n'est pas une question de survie juste une partie de plaisir. J'entre quand même dans son jeu et cours vers lui en riant : « Pas possible, ils ont mis la barre haute pour que ça soit crédible et ont engagé des figurants ! Énorme ! » Paniqué, il m'intime l'ordre de l'aider à pousser la grille coulissante du parking pour leur couper le passage. Comme on galère trop, on finit par abandonner et courir dans les galeries du centre commercial.
Au sein du supermarché, il y a cette musique d'ambiance diffusée dans tous les magasins un peu avant Halloween. L'atmosphère est sacrément angoissante. Pas un client, pas un bruit à part les monstrueux feulements lointains. Mike m'ordonne de me dépêcher car « ils » vont réussir à forcer les portes. C'est gentil de me prévenir, mais j'aimerai qu'il m'explique qui sont ces « ils » mais nous n'avons pas le temps car les événements s'enchaînent.
Michael cherche, comme si sa vie en dépendait, des objets « pour se défendre » sur les étals du supermarché. Je traîne à l'arrière à la recherche d'un réseau sur mon portable et... tant mieux pour moi car très vite, une étagère tombe avec fracas sur la moitié du corps de mon ami. Ses jambes sont bloquées au sol, brisées dans une mare de sang. Mon complice me supplie de l'aider à se déloger. Il est affolé et moi aussi car une monstruosité se tient face à moi. Elle pourrait être une actrice de la zombie walk sauf que non : elle n'est ni grimée, ni maquillée. Le monstre a un regard morne sans vie. Le visage, les bras, les jambes toute la peau est bleuâtre, verdâtre comme à un stade de pourriture avancée. Il traîne son corps avec lenteur et grogne. Un filet de bave tombe sur mon ami coincé sous les étagères. J'aurai pu le sauver mais ce qui se déroule est si affreux qu'il me faut un moment pour réagir. La chose nécrosée, vêtue comme une fêtarde, saute sur mon ami Michael et dévore... son nez. Dans un autre contexte, j'aurai trouvé la rhinoplastie gracieusement offerte ironique. Les dents du mort-vivant mordent la chair, et arrachent, dans un mélange de sang, l'appendice nasal de mon complice qui vocalise des cris de douleur.
Je recule en gémissant et alors que le zombie relève la tête en aspirant goulûment un lambeau de chair, je fuis. Je suis sans doute un monstre, d'abandonner mon copain à son triste sort mais quand je jette un coup d'œil en arrière et vois le mort ambulant déchirer les narines grignotées de Mike et élargir le trou béant du visage, j'accélère le pas.
Dans un univers d'horreur renforcé par les cris de désespoir, les sons de vitrines brisées et les grondements bestiaux, j'arrive dans la petite pharmacie du centre commercial. J'y ai fait un stage et je sais que la salle du personnel possède un téléphone fixe pour appeler n'importe qui à l'aide. Même si partout le show de l'Horreur déploie ses griffes, ici la monstruosité est pire qu'ailleurs.
Une jeune et jolie blonde lorgne le plafond d'une pièce de la pharmacie en grondant. Elle joue avec une ampoule nue et tente d'attraper la lumière en singeant des paroles. Un zombie, attaché par une chaîne trouvée je ne sais où, se débat dans un coin de la pièce. Cette créature cauchemardesque est Boubou : un ancien collègue que j'ai toujours trouvé enveloppé et bouboule, d'où le surnom. Il est plus hideux que jamais. Il secoue sa puissante corpulente en poussant des bruits de bête enragée. S'il se libère s'en est fini de moi et de la blonde, qui est au centre de la pièce. D'ailleurs la jolie fille sent enfin ma présence.
J'aurai préféré qu'elle ne le fasse pas. Car elle tourne sa figure inexpressive vers moi. La moitié de son visage est dévoré. Un œil pend au bout de son nerf optique, l'autre est griffé et déverse une substance blanchâtre. C'est horrible. Mais j'ai pire pour votre déplaisir. Je connais cette blonde : c'est Taylor, ma sœur . Tous les souvenirs de fratrie éclatent dans mon esprit mais je ne dois pas m'y accrocher car l'ancienne Taylor est morte ce soir. Un zombie a arraché son humanité, a dévoré sa chair et son innocence et a remplacé ma sœur adorée par une chose puante, putride, à punir et éradiquer le plus vite possible.
Le téléphone que je cherchais pour appeler à l'aide me saute aux yeux. Mais pas de SOS, je ne suis pas une victime, c'est moi qui dicte les conditions. Le combiné pourrait être un gadget mais dans ma main vengeresse il est une arme redoutable. Mon premier martyr est Boubou enchaîné au mur. Je jurerai qu'il me reconnaît car un éclat de compréhension illumine son regard. Je fais voler le téléphone vers son visage, éclate ses pommettes putrides, fracasse sa boîte crânienne dans une bouillie de cerveau. Enfin, Boubou rend son dernier non-souffle dans un geste qui ressemble à un salut.
Maintenant, je me penche sur le cas de Taylor. Jusqu'ici, je me contentais de repousser ses faibles assauts d'une main. D'ailleurs, elle m'a mordu à maintes reprises. Mais peu importe, le sort de ma sœur prime sur le mien. Je la libère de sa condition. Je fais ça salement et vite. Comme avec mon premier zombie, je déforme et défonce la boîte crânienne dans des bruits d'os brisés entrecoupés par les plaintes de Taylor qui, bien vite, ne bouge plus.
Les choses ne sont ni noires, ni blanches mais toutes nuancées de sombres teintes grisâtres.
Je suis une douce criminelle qui se souviendra toujours de ce temps. Enfin, sauf quand je me transformerai moi-même en zombie, car je connais mes classiques de l'Horreur : films de Romero, séries à la Walking Dead. J'arrive à rentrer chez moi en tentant d'ignorer l'univers de désolation qui a ravagé ma ville. Je ne vous dirai pas la manière dont je me sens, mais je suis dans un état proche du coma. Je ressens des douleurs partout et suis tellement épuisée qu'une fois arrivée à la maison, je m'écroule sur mon lit.
Quand je me réveille, j'ai mal partout mais je suis toujours en vie. Alors, que je descends à la cuisine, je stoppe net en voyant ma mère sirotant son café. Elle porte la tenue de l'hôpital où elle a dû travailler toute la nuit. Elle est épuisée mais entière et, rassurée, elle me dit : « Ma chérie, heureusement tu es là et n'as rien... C'était épouvantable, les urgences ont été envahies de patients drogués venant d'une rave party. La plupart étaient des junkies de longue date. Ils avaient la peau en décomposition sur tout le corps, et des pieds nécrosés qui leur donnaient des démarches de morts-vivants. Ils essayaient de...manger les infirmiers et grognaient au lieu de parler. Mon dieu, si tu avais vu leurs états. C'était horrible. Un vrai cauchemar comme ces trucs que tu regardes à la télé. C'est à cause de ces drogues. Les ... Mince c'est comment déjà... - Elle fait des gestes évasifs en cherchant ses mots, choquée je comprends l'implacable réalité et lui murmure ce dont il doit être question - Oui, c'est ça : la drogue du Krokodil et ces sels synthétiques, le flakka . Enfin, toi, tu n'as rien. Tout va bien maintenant ma chérie. »
Non. Ça ne va pas. Je voulais juste une zombie walk effrayante, mais j'ai été galvanisée par mon imagination. J'ai laissé Michael se faire dévorer par un simple humain shooté à cette flakka, cette drogue du cannibale et pire, que tout, j'ai charcuté ma propre sœur. Vous, oui, vous, qui me lisez ! Vous aimeriez toujours aller à une zombie walk ? Méfiez-vous derrière les déguisements, nul ne sait ce qui peut se cacher !